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ReportageAgriculture

Sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, les « conflits d’usage » opposent anciens exploitants agricoles et zadistes paysans

Ils sont zadistes et paysans et veulent continuer à cultiver les terres qu’ils occupent à Notre-Dame-des-Landes. Seulement, les anciens exploitants les réclament. La préfecture s’est donnée jusqu’en octobre pour régler ces délicats conflits d’usage.

  • Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage

Sous le regard paisible de quelques génisses, le petit sentier boueux qui sillonne à travers le bocage débouche sur un hangar agricole. Au-dessus de l’entrée en bois et taule, une pancarte indique « En avant pour le triomphe de la paysannerie ! ». Mikaël, alias Mika, émerge de sous un tracteur, clé à pipe à la main. Il est paysan-boulanger, cultive des blés anciens et fait du pain une fois par semaine, qu’il écoule sur des marchés et des Amap. Son collègue éleveur, Wilhem, vend le lait de ses vaches à la coopérative Biolait. Ils cotisent tous deux à la Mutuelle sociale agricole (MSA). Une exploitation agricole comme tant d’autres, sauf que celle-ci se situe dans la Zad de Notre-Dame-des-Landes.

L’entrée de la ferme de Saint-Jean.

En 2014, les anciens propriétaires ont décidé de vendre leurs terres à Vinci. À contrecœur, mais ils étaient âgés et épuisés par la procédure d’expropriation. « Ils nous ont prévenus qu’ils allaient remettre les clés à l’entreprise, raconte Mika. Le jour même, des zadistes étaient sur place pour occuper la ferme. » Wilhem est arrivé l’année suivante avec des génisses. Originellement installé aux Fosses noires, dans l’est de la zone, Mika l’a rejoint en 2017.

Mais deux autres agriculteurs cultivent aussi des terres de Saint-Jean. Maurice et Fabien Babin, du Gaec (groupement agricole d’exploitation en commun) du Sillon, dont le siège se situe à Saint-Étienne-de-Montluc, à quelques kilomètres de là. En 2007, ils ont acquis un bail pour exploiter quelques parcelles. L’année suivante, la déclaration d’utilité publique de l’aéroport les a obligés à partir. Non sans compensation : ils ont alors touché des indemnités d’éviction et se sont vus allouer d’autres parcelles à proximité. Cerise sur le gâteau, dès que de nouvelles terres se libéraient dans le département, ils se retrouvaient prioritaires pour les exploiter. « Quand nous sommes arrivés ici, poursuit Mika, nous avons réalisé qu’ils [Maurice et Fabien Babin] avaient aussi signé une convention d’occupation précaire [COP] avec Vinci, afin d’exploiter les parcelles tant que la construction de l’aéroport ne commençait pas. Sauf qu’ils ne cultivaient pas tout, mais ils déclaraient les hectares à la PAC [politique agricole commune]. » Les zadistes ont donc installé vaches et cultures sur une trentaine d’hectares, dont la moitié environ faisait l’objet d’une COP entre AGO-Vinci et le Gaec du Sillon.

« Les anciens exploitants ont été triplement compensés, en indemnités, en terres et en aides PAC » 

Aujourd’hui que l’aéroport est abandonné et les terres devenues propriétés de l’État - qui va les rétrocéder au Conseil départemental -, Mika et Wilhem ont déposé des formulaires individuels, et souhaitent tous deux régulariser leur situation, via des conventions d’occupation précaire. Sauf que les Babin revendiquent également la ferme et une partie des terres. C’est ce qu’on appelle un conflit d’usage. À qui doivent aller les terres ? Aux anciens agriculteurs ou aux jeunes installés ? « Les terres sauvées du bétonnage doivent aller à l’installation de nouvelles personnes », répond sans hésiter Vincent Delabouglise, de Copains 44.

Mika, le paysan-boulanger.

Mikaël Mary, de l’association Amelaza (l’Association pour le maintien des exploitations légales sur l’ancienne zone aéroportuaire), qui défend les intérêts des anciens exploitants, souligne pour sa part que selon le Code de l’expropriation, les anciens locataires sont prioritaires pour exercer le droit de rétrocession. Dans Presse océan, il estime qu’une fois ces rétrocessions faites, « il restera suffisamment de place pour tous les projets d’installation, à condition que les parcelles en friches ou occupées par des carcasses de voitures soient remises en bon état agricole, que l’accessibilité des parcelles soit garantie et que le “cabaning” dévoreur d’espace cesse. »

Faux, répond Mika : « Pour que notre projet soit viable à long terme, nous avons besoin de 30 à 40 ha supplémentaires, surtout que nous envisageons de travailler à 3 ou 4. » Pour lui, si les Babin récupèrent la moitié des 30 ha de leur ferme ainsi que les bâtiments, cela signe l’arrêt de mort de leur aventure paysanne. « Les anciens exploitants ont été triplement compensés, en indemnités, en terres et en aides PAC, ajoute-t-il. Ce ne sont pas des agriculteurs en difficulté mais des Gaec plutôt prospères, qui se sont agrandis. »

Les deux paysans ne sont pas les seuls dans cette situation. Au total, d’après la préfecture, entre 50 et 90 ha de terres sur les 300 ha occupés sont concernés par des conflits d’usage. À l’autre bout de la Zad, le projet de la ferme de la Noé verte pourrait être recalé pour les mêmes raisons. Pourtant, là aussi, il remplit toutes les conditions énoncées par le ministre de l’Agriculture pour être régularisé. Jean-Baptiste, surnommé « Gibier », y cultive légumes et tubercules depuis deux ans. Ce père de deux enfants s’est installé avec toute sa famille sur le lieu, où se développe également une conserverie coopérative. « On a créé un marché et une épicerie à la Paquelais, on accueille les habitants des alentours pour faire des conserves de fruits et de légumes, décrit le maraîcher. La Noé verte participe à dynamiser ce territoire, et est un espace d’appui à l’installation paysanne. »

« Gibier » à côté de la future conserverie.

Mais Mikaël Mary et son associé, du Gaec de Chavagnes, souhaitent là aussi récupérer une partie des terres qu’ils exploitaient avant d’être évincés. « Nous sommes disponibles pour les rencontrer et pour discuter de la situation, insiste Gibier. Prenons le temps de trouver des solutions, sans monter ce conflit en épingles. »

« La préfecture doit étudier tous les dossiers, pas seulement ceux des zadistes » 

Catherine Laillé, éleveuse de porcs et présidente de la Coordination rurale de Loire-Atlantique, connait bien certains des 25 agriculteurs qui composent l’Amelaza. Elle soutient leur « combat pour récupérer leurs terres » : « Ils ont été expropriés contre leur gré, cela a été très douloureux et a parfois menacé la viabilité de leur exploitation. S’ils demandent aujourd’hui la rétrocession de ces terres, c’est qu’ils en ont besoin pour pérenniser leurs exploitations. » Une nuance, cependant, « les anciens exploitants qui veulent récupérer les terres de Willem, Micka et Gibier n’ont pas été expropriés, précise Vincent Delabouglise. Ils ont choisi de négocier leur départs en renonçant à leur droit d’exploitants contre des indemnités d’éviction souvent conséquentes. »

La syndicaliste se dit également choquée par la méthode de la préfecture : « On a mis la charrue avant les bœufs, on a installé les zadistes avant d’installer les historiques. On a tout fait à l’envers, car il faut donner la priorité à ceux qui ont été expropriés. Il y a un deux poids, deux mesures, car la préfecture doit étudier tous les dossiers, pas seulement ceux des zadistes. »

« Ce sont les zadistes qui collectivement, en occupant et en cultivant les terres, ont permis de faire échouer le projet d’aéroport et de sauver les terres agricoles, rappelle Gibier. Aujourd’hui, nous continuons de porter ce projet collectif pour ce territoire, qui prend soin des personnes et des écosystèmes. Nous espérons pouvoir convaincre les autres acteurs que ce projet a du sens et mérite d’être défendu. »

À la ferme de Saint-Jean.

A cet imbroglio, s’ajoute une nouvelle donnée depuis jeudi 31 mai : Ouest France a annoncé que l’État avait « discrètement » décidé de permettre au département de Loire-Atlantique de racheter 895 hectares sur la Zad (le département les avait achetées en 1974 en vue du projet d’aéroport, puis les avaient cédées à l’État et Vinci en 2012, toujours dans la logique de la poursuite du projet). Les deux fermes pourraient être concernées, et donc revenir au département. Leur avenir dépendrait alors de la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique, dont le Président apprécie pour l’instant peu les zadistes.

Les services administratifs et la préfecture ont aussi un rôle à jouer, ils se sont donnés jusqu’à octobre prochain pour démêler ces conflits. Une première étape importante sera la remise du diagnostic foncier, prévu pour ce début juin. Réalisé par la chambre d’agriculture, ce rapport pourrait permettre d’y voir plus clair sur la répartition des terres et les situations économiques et agronomiques de chaque agriculteur.

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