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Marie-George Buffet : "Mais qu'est-ce que fout la gauche?"

INTERVIEW - Ancienne ministre des Sports durant la Coupe du monde 1998, Marie-George Buffet revient 20 ans après pour le JDD sur cet événement. Elle s'interroge également sur l'état de la gauche un an après le début du quinquennat d'Emmanuel Macron.

Michaël BlochetAnne-Charlotte Dusseaulx , Mis à jour le
Marie-George Buffet a été ministre des Sports entre 1997 et 2002.
Marie-George Buffet a été ministre des Sports entre 1997 et 2002. © Sipa

C’était il y a 20 ans. La France gagnait sa Coupe du monde . Ministre des Sports à l’époque dans le gouvernement de Lionel Jospin, Marie-George Buffet nous a reçu dans sa circonscription à Stains pour évoquer ses souvenirs. Ancienne patronne du parti communiste, elle évoque également la question des alliances pour l’élection européenne de 2019. La députée appelle à élaborer une liste commune avec la France insoumise pour le scrutin, alors que le PCF tient son conseil national ce week-end.

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Est-ce que les mois de juin et juillet 1998 ont été les deux plus beaux mois de votre carrière?
Non mais c’était un moment intense. Honnêtement, j’ai toutefois plutôt été soulagée quand cela s’est terminé. 

Pourquoi? De quoi aviez-vous peur?
Des hooligans. Il y a eu deux incidents graves : un dans un train, et l’attaque contre l’adjudant Nivel [le gendarme Daniel Nivel avait été agressé à Lens par des supporters allemands en marge du match Allemagne-Yougoslavie, NDLR] .

Si vous ne deviez garder qu’un bon souvenir de 1998, ce serait lequel?
Ma visite à Clairefontaine avant le Mondial. Pour la première fois, je côtoyais cette équipe très sympathique. On a un peu trop mythifié cette “équipe black blanc beur” mais c’était un peu cette ambiance qui régnait. Le moment le plus drôle, cela reste la Garden-party à l’Elysée après la victoire. Jacques Chirac était complètement déchaîné.

Et votre pire souvenir?
C’est quand j’ai rendu visite à la famille de Daniel Nivel. Vous vous sentez une responsabilité sur les épaules. Il n’était responsable en rien et les hooligans se sont acharnés sur lui.

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Le sport ne peut pas régler les problèmes de la société

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Qui était le meilleur supporter? Jacques Chirac ou Lionel Jospin?
Vous connaissez la rigueur de Lionel Jospin. C’est une qualité, mais il a parfois du mal à se lâcher. Jacques Chirac était davantage dans le côté supporter. Son enthousiasme était sincère. 

Vous dites qu’on a trop rêvé à cette équipe black blanc beur. Pourquoi?
On a eu un début de Coupe du monde assez difficile. Le défilé des géants à Paris avait fait un flop. Il n’y avait pas une grande ambiance populaire. Puis tout s’est emballé à partir des quarts de finale contre l’Italie. Comme on avait caractérisé cette équipe comme étant “black blanc beur” à l’image de la nation, tout le monde a voulu y voir un symbole. Le sport ne peut pourtant pas régler les problèmes de la société.

Est-ce que la fin de ce rêve, ce n’est pas un peu le France-Algérie de 2001 avec l’envahissement du terrain par des supporters algériens?
Pour moi, c’est plutôt Knysna. C’est la rupture d’amour entre l’équipe de France et l’opinion publique.

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Qui a déclenché l’envahissement durant le match France-Algérie de 2001? J’aimerais un jour qu’une véritable enquête soit faite

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Vous vous étiez impliqués dans l’organisation de ce match entre la France et l’Algérie?
Le match a lieu un mois après les attentats du 11-Septembre. La question du maintien du match s’est posée en raison des risques sécuritaires. Mais, si on annulait le match, on aurait pointé du doigt l’Algérie. En accord avec le Premier ministre, nous avons décidé de maintenir le match. Est-ce que l’envahissement était quelque chose de politique? Je n’en suis pas si sûre. J’ai assisté au départ de cars de Stains où les petits enfants français d’origine algérienne avaient le maillot de l’Algérie. C’est normal. Il y avait une vraie joie d’aller voir ce match. Qui a déclenché l’envahissement? J’aimerais un jour qu’une véritable enquête soit faite. Je ne suis pas sûre que ce soit des gens d’origine algérienne qui l’ait déclenché. J’aimerais aussi savoir pourquoi beaucoup d’élus étaient absents de la tribune officielle.

Aujourd’hui, êtes-vous sûre que la victoire des Bleus en 1998 a été totalement propre?
Depuis que j’ai entamé la bataille contre le dopage, j’ai une règle : s’il n’y a pas de contrôle positif, je ne peux pas accuser. Sinon, on entre dans l'ère de la suspicion et on perd toute crédibilité. Je rappelle toutefois le contexte. En 1998, l’agence française de lutte contre le dopage n‘est pas encore en place. Il n’y a pas d’agence autonome, il n’y a pas d’agence mondiale antidopage. Les fonctionnaires du ministère font les contrôles. Quand ils en font un à Tignes avant la Coupe du monde, ils s’en prennent plein la figure. A l’époque, les journalistes prennent partie pour l’équipe de France contre le ministère de la Jeunesse et des Sports. Les choses ont évolué : quand l’OM râle parce qu’il a un contrôle avant la demi-finale de coupe d’Europe contre Salzbourg, aucun journaliste ne suit.

L’opinion publique a évolué?
Oui, elle soutient aujourd’hui la lutte antidopage. En 1998, durant l’Affaire Festina, je me demandais tous les matins si l’opinion n’allait pas se retourner. On touchait au Tour de France, une épreuve mythique pour les Français. Finalement, l’opinion a tenu.

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Il faudrait redonner au ministère des Sports une force financière

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En fait-on assez aujourd’hui pour la lutte antidopage?
Globalement oui. Les sportifs de haut niveau sont obligés de déclarer leur planning. Tel des terroristes, ils peuvent être visités la nuit. Il y a une réelle lutte antidopage. A-t-on gagné? Non, parce que les enjeux financiers et les enjeux géopolitiques sont énormes. Aujourd’hui, comme on l’a vu en Russie, il peut y avoir un dopage d’Etat. Ce qui manque aujourd’hui, c’est peut être davantage de moyens dans la recherche et une parole politique forte. Depuis Jean-François Lamour, cela manque.

Laura Flessel est-elle une bonne ministre des Sports?
J’aime la personne mais aujourd’hui il n’y a plus de ministère des Sports. Vous avez vu son budget? Elle n’a plus d’administration. On lui enlevé la vie associative, on l’a mis à l’Education nationale. On ne l’entend pas. Il faudrait redonner à ce ministère une force financière.

Le plan banlieues de Macron était très attendu. Qu'en avez-vous pensé?
Il n'y a rien! A partir du moment où on a senti que le plan Borloo était mis de côté, on avait compris. C'était terminé. Je comprends la colère des maires. Tout est parti de l'appel de Grigny, ils ont travaillé sur le plan Borloo, ils se sont investis. On n'en tient pas compte et on fait appel à quelques personnalités qui font un peu bling-bling [dans le conseil présidentiel des villes, NDLR]. Quant au plan Borloo, je le discutais : non pas sur la partie Anru [Agence nationale pour la rénovation urbaine] car il mettait les moyens, mais sur les nouveaux dispositifs. Depuis Bernard Tapie [il a été ministre de la Ville en 1992-1993, NDLR] , on ajoute des dispositifs aux dispositifs. Je souhaite qu'un jour il n'y ait plus de ministère de la politique de la Ville.

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Emmanuel Macron un libéral ultra qui est même parfois un peu autoritaire

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C'est aussi ce que dit la majorité…
Quand on regarde la mise en oeuvre des droits en Seine-Saint-Denis : on s'aperçoit qu'il y a moins d'enseignants par rapport au nombre d'élèves que dans les Hauts-de-Seine ou à Paris, qu'il y a moins de magistrats, moins de soignants, moins de policiers… On a empilé des dispositifs mais sans mettre les moyens. Il y a une question financière. Mais surtout : comment donne-t-on envie aux gens de travailler dans ces départements?

Comment fait-on justement?
En en parlant en positif! Pas seulement quand il y a de la violence. Dès que j'interviens sur la Seine-Saint-Denis, je commence par le positif. Quand j'ai interrogé le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, sur les moyens d'assurer la sécurité dans les lycées, j'ai d'abord dit que j'avais trois lycées dans ma circonscription qui sont dans les 10 meilleurs lycées de France sur l'évolution des élèves de la seconde à la terminale. Et donc le ministre m'a répondu en parlant de l'excellence en Seine-Saint-Denis. Je ne nie pas les problèmes, on en a! Mais valorisons aussi ce qu'il se passe de positif.

Que pensez-vous de la première année de mandat d’Emmanuel Macron ?
C’est un libéral ultra qui est même parfois un peu autoritaire. Il méprise les corps intermédiaires comme les syndicats ou les élus locaux. Mais par contre, il est très à l’écoute des corps intermédiaires des milieux économiques. A force d’oublier ceux "qui ne sont rien", il n’est pas loin de la démagogie. Je me dis aussi : mais qu'est-ce que fout la gauche?! C'est surtout ça le problème.

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Le mot 'gauche' a été abîmé

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Et justement qu'est-ce que fait la gauche?
Elle est tellement atomisée... [Silence] L'un des plus beaux moments de ma vie militante, c'est 2005 et le référendum européen. On avait fait appel à l'intelligence des électeurs qui se précipitaient dans les débats ; on faisait des meetings comme jamais plus j'en ai vécus après… Toute la gauche était rassemblée. Il y avait une dynamique formidable. Et nous avons gagné. Dans la foulée, nous n'avons pas été capable de construire tout de suite quelque chose ensemble. Je m'en veux. On a fait une tentative avec Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche en 2011, ça n'a pas perduré. Pour 2017, Jean-Luc Mélenchon part avec La France insoumise et on - j'ai tout fait pour - se réunit sur sa candidature. Puis l'élection se passe, arrivent les législatives et 'boum', ça recommence.

Comment l'expliquez-vous?
La gauche ne pourra pas s'unir complètement. Il y a quand même des problèmes de fond. Prenons l'Europe, la position du PS, y compris de Générations de Benoît Hamon, n'est pas tout à fait la même que celle des communistes ou de La France insoumise. Mais si je prends ces deux derniers, Ensemble et d'autres, qu'est-ce qui nous sépare sur le fond? On pourra toujours trouver des choses, le nucléaire… Mais je le vois à l'Assemblée depuis un an : on porte les mêmes idées. S'il y avait de nouveau un espoir, plein de gens se réveilleront. Mais là…

Jean-Luc Mélenchon parle de moins en moins de 'gauche', mais se place au côté du peuple…
Je comprends son raisonnement dans le sens où la gauche est marquée par les échecs. Peut-être aussi par le non-respect de ses engagements. C'est vrai que le mot 'gauche' a été abîmé. Mais dans la vie politique française, on est de gauche ou de droite. Cette réalité existe encore. Redonnons du sens à la gauche par le contenu de nos propositions et redonnons du sens à la gauche par la portée de nos discours.

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Si on part divisés à l'élection européenne, les Français nous le feront payer

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Le leader de la France insoumise a-t-il joué trop perso après la présidentielle?
Je ne ferai pas porter la responsabilité à lui ou à Pierre Laurent! Ce sont des mécanismes. Vous avez un bon résultat et au lieu d'aller chercher le deuxième bon résultat qui va confirmer, vous essayez d'en faire profiter votre organisation. Mais ça ne marche pas! C'est là-dessus qu'on bute, qu'il faut qu'on ait un débat : qu'est-ce qu'on place en premier?

Etes-vous optimiste sur ce dépassement?
Il faudrait un mouvement social qui nous y pousse. Je ne suis pas sûre que les partis en eux-mêmes aient la force interne de passer cette vitesse supérieure. Mais c'est un cercle vicieux : c'est dur d'entrer en lutte quand vous vous dites qu'il n'y a pas d'espoir à gauche, que Macron va rester pendant quatre ans et que peut-être il sera réélu. Non, je ne suis pas très optimiste…

N'êtes-vous pas un peu seule à vous battre pour cette unité? Aux européennes, la France insoumise et le PCF semblent vouloir partir chacun de leur côté.
Si tout le monde part tout seul en 2019, quel sera le résultat? La seule solution pour s'en sortir est de construire une liste d'hommes et de femmes qui par leur activité, leur compétence, leur engagement, peuvent nous représenter. Je ne vois que ça. Si on commence les calculs selon les influences des uns et des autres, c'est râpé d'avance. Et si on est divisé, aucune formation n'en profitera : les Français nous feront payer cette division.

Le "Tu préfères" de Marie-George Buffet


Zidane ou Deschamps?
Deschamps. Il faut le soutenir en ce moment il est entraîneur de l'équipe de France.

Jean-Luc Mélenchon ou François Ruffin?
Jean-Luc, par amitié.

Laura Flessel ou Patrick Kanner?
Laura Flessel.

Stade de France ou Parc des Princes?
Stade de France. C'est là que j'ai vécu les bons moments.

L’Humanité ou Le Media?
L'Humanité.

Hulot dans Ushuaia ou au gouvernement?
Blanc bonnet et bonnet blanc.

Mai 68 ou mai 2018?
Mai 68, ça me rajeunit, j'étais en terminale.

Le Front de gauche ou la France insoumise?
Mais le Front de gauche n'existe plus.

Permanence ou Assemblée nationale?
Ah j'aime bien être ici [dans ma permanence].

Rond ou carré?
Carré.

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