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Les trois erreurs des élites contre le populisme

Aujourd'hui, le discrédit de la politique et de l'économie est plus fort que tous les arguments que l'on a pu employer pour contenir le populisme. Il faut penser autrement les réponses à apporter face à un mouvement qui ne cesse de s'étendre en Europe.

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 31 mai 2018 à 16:12

En Slovénie, dimanche 3 juin, l'ancien Premier ministre conservateur Janez Jansa, qui a fait campagne sur les thèmes de l'invasion migratoire, a de bonnes chances d'emporter les élections législatives. Victor Orban est venu de la Hongrie voisine le soutenir. Le pays n'a que 2 millions d'habitants, dira-t-on, quelle importance ? Voilà un pays européen de plus, à côté de l'Italie, où la population succombe aux discours populistes.

La vague progresse comme inexorablement dans l'ensemble des pays occidentaux. On s'était trop vite réjoui du « coup d'arrêt » donné l'an passé aux Pays-Bas et en France, la vérité est que le péril populiste est devant nous. La cause en est une profonde mésestimation du phénomène par ceux que les populistes nomment, à tort ou à raison, « les élites ». Trois erreurs ont été commises.

Paresse Intellectuelle

La première relève de l'analyse politique commise au départ. Il y a trente ans, la montée de l'extrême droite a été fustigée comme le retour du fascisme. Un étiquetage réflexe qui cachait une grande paresse intellectuelle. Le nationalisme des années 1930 était conquérant (Allemagne, Italie, Japon), celui d'aujourd'hui est, tout à l'inverse, défensif et fataliste. Puis l'ajout aux thèses anti-migratoires des thèmes antimondialisation du populisme d'extrême gauche (Le mélenchonisme, le Mouvement 5 étoiles, le corbynisme) est venu amplifier le jeu tout en le troublant, autorisant des rapprochements de programme et des transferts inédits. Comme une bande de Möbius, le paysage politique s'est retourné pour joindre les deux extrêmes dans le même camp du « dégagisme » de l'élite, avec la colère comme très efficace ciment commun.

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Lente adaptation

La deuxième erreur est économique. Le capitalisme libéral schumpétérien est très inégalitaire et il fait des perdants par millions. La réponse de l'élite a été double. Un, expliquer que les politiques de « l'offre » en faveur de la croissance fonctionnent, elles font baisser le taux de chômage (exemple l'Allemagne), et en conséquence tout le monde finira par s'y retrouver. Deux, adapter les filets sociaux de sécurité qui datent de l'après-guerre et l'ère fordienne. Cette réponse double bute sur la lenteur de l'adaptation nécessaire, sur le manque de courage des partis traditionnels à réformer avec radicalité l'Etat providence. D'où leur perte de crédibilité et le dégagisme. Mais, plus profondément, elle se heurte à la nature même du nouveau capitalisme financiarisé, technologique, socialement et politiquement aveugle, sans aucun état d'âme vis-à-vis des perdants.

Erreur morale

La troisième erreur est morale. L'« élite » croit avoir fait du bon travail et les mécontents ne sont que des « mal-informés ». La planète ne s'est jamais aussi bien portée : des milliards d'emplois ont été créés par la mondialisation, la pauvreté extrême (vivre avec moins de 1,90 dollar par jour) est en train d'être vaincue, la mortalité infantile a été divisée par deux en trente ans, l'espérance de vie atteint 75 ans, contre 50 ans en 1960, et, contrairement aux discours populistes, les inégalités mondiales ont baissé grâce une répartition de la production beaucoup plus équilibrée. Bref, l'humain vit plus longtemps et bien mieux, les progrès se diffusant à une vitesse inédite et prodigieuse. Et puis, pour la première fois depuis deux siècles, les populations du Sud ont enfin accès à une prospérité et à l'espoir d'une vie digne. Les Européens de foi socialiste ou de culture chrétienne devraient se réjouir et non se plaindre. Qu'il y ait quelques perdants au Nord est, somme toute, un prix à payer très faible. Cette belle consolation morale n'a, évidemment, qu'un bien faible écho dans le coeur de ceux qui perdent leur emploi dans les vallées rouillées de Lorraine ou de l'Illinois.

Dédain et incompréhension

Ces trois erreurs d'analyse s'enrobent dans un dédain qui n'est parfois que de l'incompréhension, mais qui est ressenti très fortement. Les cartes électorales démontrant que les électeurs de Donald Trump ou de Marine Le Pen sont « les moins diplômés » confortent lesdits électeurs plutôt qu'elles ne les ramènent dans le droit chemin. L'Italie nous apprend que tous les discours de l'élite sur « les mauvaises solutions » du populisme, par rapport à celles raisonnables de Bruxelles, des partis traditionnels et des experts de tout poil, ne convainquent aucun électeur de la Ligue ou du M5S. Au contraire. Le discrédit de la politique et de l'économie est plus fort et il a des arguments : c'est vrai que les partis politiques ont été incapables, c'est vrai que le capitalisme est « non inclusif » pour reprendre les euphémismes du FMI ou de l'OCDE.

Vieilleries

Quant aux valeurs « morales », les élites ont bien du mal à convaincre que ce qui a fait la force du monde occidental ces deux siècles derniers, c'est-à-dire la réussite par le travail, la famille, une solidarité avec les gens de sa condition et le respect des usages du village, sont des vieilleries. Les populistes les vantent au contraire et ils sont entendus quand ils les disent menacées par les ratés de l'intégration et par l'incivilité.

Il est temps de repenser entièrement les réponses au populisme pour les rendre autrement crédibles. La difficulté est que les bonnes réponses relèvent d'un « multilatéralisme fort », comme le dit très justement Emmanuel Macron. L'immigration comme la transformation du capitalisme pour le rendre « bon » ne trouveront d'issue que par la coopération mondiale. Le drame est que les populistes nationalistes ont gagné beaucoup de pays et qu'ils entravent cette seule bonne voie.

Eric Le Boucher

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