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High-Tech

Octave Klaba, itinéraire du geek surdoué polonais fondateur d'OVH, qui fait ses premiers pas en bourse

PORTRAIT - C'est le grand jour pour Octave Klaba débarqué de Pologne à 17 ans sans parler un mot de français qui s'introduit aujourd'hui en bourse. Ce geek timide et passionné a créé OVH, premier hébergeur européen, qui va entrer en Bourse avec une valorisation de plus de 3,6 milliards d’euros. Un pionnier du Web qui a réussi en famille.

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Débarqué de Pologne à 17 ans sans parler un mot de français, ce geek timide et passionné a créé OVH, premier hébergeur européen, valorisé plus d’1 milliard d’euros. Un pionnier du Web qui a réussi en famille.

Débarqué de Pologne à 17 ans sans parler un mot de français, ce geek timide et passionné a créé OVH, premier hébergeur européen, valorisé plus de 3 milliards d’euros. Un pionnier du Web qui a réussi en famille.

AFP

Le champion français du cloud OVHcloud (informatique dématérialisée) s'introduit ce vendredi 15 octobre à la Bourse de Paris. Un pari risqué alors que les marchés sont entrés dans une phase de turbulences et que plusieurs sociétés ont reporté leur IPO. En outre, le groupe a connu une panne importante deux jours plus tôt, un incident qui tombait au plus mauvais moment, six mois après le grave incendie qui avait affecté son data center de Strasbourg.

Peu après l'introduction, le titre était en nette hausse (plus de 4%) ce qui valorise le groupe à 3,6 milliards d'euros. Cette opération est l'une des plus importantes cette année sur les marchés européens. Le fondateur Octave Klaba et sa famille resteront largement majoritaires à l'issue de l'opération. Le groupe prévoit un taux de croissance des ventes de 25% à l'horizon 2025, mais a prévenu qu'il n'y aurait pas de distribution de dividendes pour les futurs actionnaires. Motif? Octave Klaba souhaite se concentrer avant tout sur l'investissement, avec 2 milliards d'euros prévus sur la période 2020-2025.

"Nous avons fait cette introduction là pour honorer tous ceux qui croient, comme nous, dans ce même rêve de construire une alternative européenne, un fournisseur de cloud, pour l'Europe", a déclaré Octave Klaba lors de la cérémonie d'ouverture chez Euronext, lors de laquelle était présent le secrétaire d'Etat chargé de la Transition numérique, Cédric O.

Voici le portrait, mis à jour, que Challenges lui avait consacré en juin 2018.


Inutile de chercher Octave Klaba sur les parcours de golf, aux tables des grands restaurants ou dans les réceptions mondaines. Il ne peut pas. Il a pourtant fait une exception le 2 avril 2018 pour se rendre au Grand Véfour, dans le jardin du Palais-Royal. L’événement, organisé par Bernard Arnault, rassemblait le gratin du CAC 40 pour lui remettre le prix d’entrepreneur de l’année. Avant d’entrer dans le restaurant, Octave Klaba a eu un moment de panique. Il était venu comme d’habitude, avec son tee-shirt de geek et son blouson de cuir, pas vraiment dans le ton du lieu ! A la va-vite, il avait enfilé une veste, mais gardé son tee-shirt. C’est plus fort que lui.

Le fondateur d’OVH, champion français des data centers, est un irréductible geek. Mais derrière ce visage de poupon se cache l’un des plus redoutables esprits de sa génération. Il sait magistralement jouer de son accent polonais, qu’on le soupçonne de cultiver pour endormir ses interlocuteurs dans les négociations. Il est d’ailleurs meilleur en langue qu’il ne le dit. Outre le polonais et le français, il parle anglais et, même s’il s’en défend, il comprend parfaitement quand on lui parle en russe.

La fibre antiaméricaine d'Octave Klaba

Octave Klaba apprend patiemment à se plier aux exigences de ses nouvelles fonctions. Il était le directeur technique d’une PME familiale qui marchait bien. Tout a vraiment basculé en 2017, quand il rachète la division cloud du géant américain VMware. Pour la première fois, la famille Klaba ne peut pas s’autofinancer et doit ouvrir son capital.

C’est ainsi que les fonds d’investissement KKR et TowerBrook injectent 250 millions d’euros dans l’entreprise roubaisienne, la valorisant à plus d’1 milliard d’euros. La famille Klaba conserve plus de 80% du capital. Avec cette acquisition, OVH a changé de dimension. Déjà présente en Allemagne, en Grande-Bretagne, au Canada, à Singapour, elle devient tout d’un coup une multinationale avec une implantation aux Etats-Unis. "Ce fut un choc, pour lui et pour toute l’entreprise, confie un salarié. On ne s’y attendait pas."

De fait, les Etats-Unis avaient toujours suscité une sorte de crainte à cause du Patriot Act et de l’extraterritorialité de la loi américaine. Octave Klaba, né dans un pays communiste, est viscéralement attaché au respect des données privées, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis. En 2015, il a fermement condamné le projet de loi sur le renseignement qui, selon lui, "va permettre la surveillance de masse de la société française". Il sera malgré tout victime de cette surveillance: selon le lanceur d’alerte Edward Snowden, ses communications mobiles ont été espionnées par la NSA et le GCHQ, les agences de renseignement américaine et britannique…

Sp/Ovh

Sa mère Halina, son père Henryk et son frère Miroslaw, en 2012. La famille possède plus de 80 % d’OVH et chacun des membres y travaille.

"C’est très important de protéger les données de nos clients, estime-t-il. Les hébergeurs américains ne peuvent pas garantir la même confidentialité, même pour les données qui restent en Europe." Octave Klaba a toujours su jouer de la fibre antiaméricaine en promettant à ses clients que les données entreposées chez OVH ne seraient jamais divulguées outre-Atlantique. Et le meilleur moyen de ne pas subir les pressions de Washington était encore de ne pas y mettre les pieds. "Il a tout étudié très soigneusement avant de s’y risquer, confie un proche. Il a créé une structure, OVH US, totalement indépendante, avec un conseil d’administration et un directeur général américain. Il y a une séparation juridique totale entre l’entreprise américaine et le groupe OVH." Depuis, OVH a ouvert deux fermes de données aux Etats-Unis, une sur la côte Ouest et une à l'Est et affirme que OVH ne peut pas être soumis au Patriot Act.

Enracinement français

Les Klaba ont été lourdement marqués par l’Histoire avec un grand H. La famille s’installe en France après la Première Guerre mondiale, entre Divion et Béthune. Le grand-père est mineur. Un grand-oncle meurt à Dunkerque pendant la Seconde Guerre mondiale. Chez les Klaba, on se sent Français. En 1945, ils se rendent en Pologne pour voir leur famille restée au pays. Quand ils veulent repartir, on leur confisque leurs passeports… Henryk, le père d’Octave, y naît en 1949. Il grandit en Silésie et fait des études d’ingénieur à l’école polytechnique de Varsovie. Les Klaba sont mal vus par le régime. On les soupçonne d’avoir des liens avec les services secrets français. Ils sont envoyés dans les coins les plus reculés du pays. Henryk gère une société agroalimentaire. Octave grandit dans des villages isolés, plus à l’aise avec les machines qu’avec les copains de l’école. Dès l’âge de 9 ans, dans les années 1980, il commence à tapoter sur l’antique ordinateur de son père. Et bricole même un petit logiciel pour gérer les salaires. En 1989, le mur de Berlin s’effondre.

Ni une, ni deux, la famille remballe ses affaires et s’installe à Roubaix. L’ingénieur Henryk Klaba travaille comme ouvrier dans la région. Octave a 17 ans et n’a jamais quitté la Pologne. Son niveau de français ne lui permet pas d’aller au lycée et il se retrouve en quatrième au collège avec des élèves beaucoup plus jeunes que lui. Il poursuit malgré tout ses études d’ingénieurs à l’Icam de Lille. Il y crée une association de webmasters. "Je concevais des serveurs gratuitement, raconte-t-il, juste pour apprendre." C’est ainsi que commence l’aventure OVH. Officiellement, OVH veut dire "On vous héberge". Pour les initiés, ce sont les initiales d’Oles Van Herman, le surnom d’Octave sur les forums d’informatique. A l’époque, les geeks sont souvent très méprisants envers les débutants, mais Octave prend toujours soin de partager son savoir et devient, à sa manière, une célébrité. Pour le lycéen timide qui n’osait pas poser de questions de peur qu’on se moque de lui, c’est une consécration.

Francois Mori/Ap/Sipa


Avec Laurent Allard, directeur de la stratégie d’OVH, à la clôture du sommet annuel de la société à Paris, en 2015. Octave Klaba est fan de rock et compose lui-même ses titres.

Cabane et cave

L’association fait face à une difficulté: comment héberger les sites de tous ces webmasters? Un copain de l’Icam lui donne l’adresse d’un hébergeur pas cher aux Etats-Unis. Il y transfère les sites et propose de payer l’hébergement en nature en lui faisant de la publicité en France. Très vite, les capacités du serveur sont atteintes. Octave, qui fait son stage de fin d’année outre-Atlantique, rend visite à l’hébergeur pour voir s’il peut configurer un serveur plus costaud. Il débarque dans un trou perdu de Pennsylvanie et trouve une simple cabane équipée de quelques PC avec une connexion Internet sur un fil de cuivre. Ce n’était que ça, le data center américain: trois PC et un câble!

De retour en France et diplôme en poche, Octave décroche un emploi dans une entreprise prestigieuse, Alcatel. "J’avais un bureau sans Internet, se souvient-il, on intervenait sur des répondeurs téléphoniques. Il n’y avait aucune innovation." Il démissionne au bout d’un mois. Et se rappelle la Pennsylvanie, la cabane… et le fameux hébergeur qui vient justement de cesser son activité. Octave Klaba reprend les clients français et démarre son propre business, installant ses machines chez Claranet, dans une petite rue près de l’Elysée, qui abritera le futur siège de Free.

Les choses se passent mal. Octave finit par être viré comme un malpropre et se retrouve sur le trottoir avec ses serveurs. Un jeune entrepreneur lui propose de la place dans une cave, rue Amelot, près de la Bastille. En quelques semaines, Octave y installe 800 serveurs. Il faut assurer la maintenance depuis Roubaix. Henryk, le patriarche, se charge souvent de l’opération, quitte à bondir dans sa voiture en pleine nuit quand l’excès de consommation électrique fait disjoncter la cave. Le propriétaire de la cave, lui, ne s’étonne de rien. C’est un certain Xavier Niel. "On lui a prêté des baies, raconte le patron de Free, pour qu’il y installe ses serveurs. Il travaillait comme un malade, il lui arrivait de dormir dans la salle des machines! Un beau jour, il a voulu me payer. Mais non, c’était gratuit! Rien à faire, il voulait à tout prix payer." Il ne voulait rien devoir à quiconque. "Xavier m’a demandé si j’avais de la chance, raconte Octave Klaba. Mais la chance ça n’existe pas. On se la crée ou pas." Quelques mois plus tard, les caves de la rue Amelot sont insuffisantes. Xavier Niel lui vend alors un sous-sol dans le XIXe arrondissement. "Personne ne voulait lui prêter de l’argent, sourit Xavier Niel. Nous lui avons fait un crédit. Il a tout payé au bout de deux ans!" Octave Klaba installe quelque 10.000 serveurs dans la cave. Le bâtiment, lui, compte 400 appartements. Il se fait accepter par les copropriétaires en leur proposant de les chauffer avec la chaleur récupérée des serveurs.

Franck Crusiaux/Rea

Inauguration du campus OVH par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, en février 2016, dans le Nord. Le groupe tient à son implantation française et européenne, garante du respect des données de ses utilisateurs.

Le circuit familial d'Octave Klaba

C’est encore Henryk, le père, qui met la main à la pâte avec une innovation importante: un circuit hydraulique pompe de l’eau dans une nappe phréatique à plus de 50 mètres sous terre et la fait circuler dans un tuyau de refroidissement pour abaisser la température des serveurs. La consommation d’énergie est divisée par quatre, tout comme la facture EDF.

Octave s’est rapidement senti à l’étroit dans l’Hexagone. Dès 2004, il se lance à l’assaut de l’Europe. En Espagne, pour le soleil, en Pologne, parce que c’est son origine. Il y passe un an, le temps d’avoir une fille, Nathalie. Il poursuit son implantation européenne en Allemagne et en Grande-Bretagne, tout en ouvrant des fermes de serveurs à Gravelines et à Strasbourg. Les serveurs sont toujours fabriqués par les Klaba dans des ateliers leur appartenant. Certes, les puces sont américaines et les composants fabriqués en Chine. Mais la conception est 100 % Klaba ! La construction des data centers est supervisée par son père Henryk, sa mère Halina s’occupe du contrôle de gestion, Miroslaw, le frère, est directeur technique.

Brian Du Halgouet /Sp/Ovh

A la remise du prix EY d’entrepreneur de l’année, le 17 octobre 2017. Peu à l’aise dans les événements mondains, cet irréductible geek vient en tee-shirt.

En 2013, la société met le pied en Amérique du Nord en ouvrant un gigantesque data center d’une capacité de 360;000 serveurs à Beauharnois, près de Montréal. "A l’époque, affirme Octave Klaba, c’était le plus grand centre de données du monde." Détail important, celui-ci n’a pas d’air conditionné, utilisant le système de refroidissement à eau mis au point par Henryk.

Il peut lui arriver d’avoir des toquades. Pour gérer les équipes, il s’est entiché des ennéagrammes, une sorte de guide des personnalités, basique, simple, voire simpliste disent les mauvaises langues. Il se définit comme le type n° 7, l’enthousiaste. De fait, il n’arrête pas de prononcer le mot passion Parfois, le geek premier de la classe se veut aussi penseur profond et n’hésite pas à donner des leçons de management: "Pour avoir une bonne équipe, il faut se connaître soi-même…"

Transformé par la maladie

Le cancer dont il a été victime lui a donné une densité existentielle. Et lui a permis de faire partie des premiers vaccinés contre la Covid-19 quand la pandémie s'est déclenchée. "Je suis un rescapé, dit-il. S’il n’y avait pas eu les progrès de la médecine, je serais mort." Du coup, il porte un regard plus profond sur les choses, toujours enthousiaste, mais un rien plus détaché. "Il passe son temps à dire qu’il va péter toutes les règles, rigole un collaborateur. En réalité, il est juste bordélique dans sa gestion." Au contraire, pour Didier Leroy, vice-président exécutif de Toyota, "il a une vision extraordinaire du management, et une vraie passion pour tout ce qu’il fait." Mais la crise de la quarantaine, pour Octave Klaba, c’est d’avoir eu envie de revenir travailler, après le cancer, alors qu’il aurait pu jouir de sa fortune et passer son temps à composer du rock façon Led Zeppelin. "J’aime jouer ma propre musique, reconnaît-il, j’ai enregistré des morceaux dans un studio avec de vrais musiciens. Quand j’en aurai suffisamment, je ferai un disque." Octave Klaba continue à jouer sa propre partition.

Franck Crusiaux/Rea


Visite d’OVH par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, avec Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au Numérique, le 5 avril 2018. La licorne est un exemple de réussite.

Le parcours d'Octave Klaba

1975 Naît à Varsovie.

1992 Arrivée en France.

1996 Institut catholique d’arts et métiers.

1999 Création d’OVH.

2001 Rencontre Xavier Niel.

2003 Premier data center de Roubaix.

2004 Création d’une filiale en Pologne.

2017 Rachat du cloud de l’américain VMware. Prix EY de l’entrepreneur de l’année.

Ce qu’ils disent d'Octave Klaba

Xavier Niel, fondateur de Free : « Il est timide mais passionné. Il a réussi sans aide, par son travail. C’est le plus grand succès français de l’Internet, il va devenir un Gafa européen. »

Emmanuel Macron, président de la République : « Octave Klaba aurait pu échouer dix fois, mais il est là, il est le leader européen, l’un des leaders mondiaux. »

Didier Leroy, vice-président exécutif de Toyota : « C’est un homme extraordinaire, passionné et passionnant. Il met son coeur et ses tripes dans ce qu’il fait. Il est sans arrêt en train de se remettre en cause. »

Jean-François Royer, chargé du prix de l’entrepreneur de l’année pour EY : « C’est une personnalité exceptionnelle. Il a créé une entreprise en forte croissance. Octave Klaba est plutôt timide et ne cherche pas à se mettre en avant mais c’est un compétiteur. »

Laurent Alexandre, fondateur de DNA Vision : « Octave Klaba peut témoigner de l’aveuglement technologique de la France. L’Etat a investi des sommes folles pour créer avec de l’argent public deux concurrents à OVH dans l’espoir de bâtir un cloud souverain : cet épisode a empêché OVH de devenir l’égal du cloud d’Amazon. »

IL AIME

Sa Tesla. L’ennéagramme. L’open source. La guitare.

IL N’AIME PAS

Les voitures à essence. Les gens sans passion. L’amateurisme. L’atteinte à la vie privée.

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