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Est-ce que des enfants ont été réellement nommés Clitorine ?

Il n'en existe pas la moindre preuve. Mais la légende urbaine est tenace, largement alimentée par... les médias et Kev Adams.
Photo PHILIPPE HUGUEN. AFP
publié le 4 juin 2018 à 7h16

Question posée par Killian le 31/05/2018

Bonjour,

C’est une question (ô combien essentielle) qui taraude la Toile depuis plus de dix ans. Existe-t-il réellement des enfants nommées Clitorine? Le sujet est âprement disputé, entre les tenants de la légende urbaine, et ceux qui, à chaque discussion sur les prénoms les plus ridicules, assènent qu’ils ont bien croisé un jour la tante d’une Clitorine, ou que leur voisin connaît une institutrice du Mans qui avait une Clitorine dans sa classe. Etc.

Les journalistes ne lisent pas les livres sur lesquels ils écrivent

Il faut dire que les médias contribuent bien à alimenter la turbine de la légende urbaine. Ainsi, la dépêche du midi, en 2013, dans un article intitulé «Palmarès : découvrez le meilleur et le pire des prénoms pour 2014», écrit : «Ainsi, certains parents ont opté pour des prénoms surprenants comme Vagina, Clitorine, Cyanure, Titeuf, Jihad». Le quotidien local renvoie à un livre, «L'Officiel des Prénoms», dont le millésime 2014 venait de sortir.

Sauf que Stéphanie Rapoport, l'auteure de ce livre assure qu'elle n'a jamais rien écrit de tel dans son livre. «Et pour cause, je n'ai jamais eu la preuve que ce prénom existait».

Des articles plus récents, et tout aussi affirmatifs, renvoient à un autre livre, L'anti-guide des prénoms, ou comment mettre du piment dans la vie de son enfant, paru en novembre 2016.

Ainsi, Midi libre, le Progrès, la Voix du Nord ou BFM, s'appuient tous sur cet ouvrage pour écrire que des parents ont bien affublé leur progéniture de ce délicat prénom.

«Clitorine believer»

Ce qui est la preuve que les journalistes ne lisent pas toujours les livres sur lesquels ils écrivent. Certes, on peut lire sur la couverture Clitorine, accompagnant Alkapone et Merdive.

Mais voilà, il suffit de tourner quelques pages (cinq, exactement) pour voir que les auteurs réduisent en pièce la légende urbaine.

Ainsi, dans le glossaire, les auteurs ironisent sur les Clitorine believer, soit le «Petit nom donné à ceux qui connaissent quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît une Clitorine et qui, surtout, y croient.»

Plusieurs pages plus loin, un paragraphe est bien consacré à Clitorine, mais pour émettre d'énormes doutes sur le fait que quiconque ait pu jamais s'appeler ainsi. Il y a autant de preuves de l'existence de Citorine, lit-on, que de preuves de celle du «yéti».

Et ce n'est pas faute d'avoir cherché. Car les auteurs, deux journalistes, sont des chasseurs aguerris de prénoms saugrenus, qu'ils ne répertorient qu'en échange de preuves (notamment actes d'état civil). «Je suis journaliste en presse locale, et je me suis toujours amusé avec les carnets annonçant les naissances, raconte Antoine, un des auteurs. En 2012, j'ai créé un Tumblr avec les noms les plus originaux». Aujourd'hui, le Tumblr est devenu un site et un blog participatif : la ligue des officiers d'état civil (LOEC). «On est 4 à travailler, mais on a une communauté de 30 000 personnes. Et beaucoup sont des auxiliaires très actifs. On a fabriqué des petits "monstres" qui farfouillent partout. Et Clitorine, c'est un peu notre Graal. Je peux vous dire qu'à chaque fois qu'un des membres tombe sur une discussion où quelqu'un affirme connaître une Clitorine, il essaie d'obtenir des preuves.»

Or, des preuves, ce réseau des officiers d’état civil n’en a donc jamais recueilli la moindre.

L’INSEE ne répertorie pas le prénom

On n'en trouvera pas non plus dans le fichier des prénoms de l'INSEE. Cette base est établie à partir des bulletins de naissance des personnes nées en France. Les informations contenues dans le fichier des prénoms sont basées sur les bulletins d'état-civil transmis à l'Insee par les officiers d'état-civil des communes.

Cette absence ne signifie pour autant pas forcément qu’il n’existe aucune Clitorine. En effet un prénom ne figure dans le fichier qu’aux conditions suivantes:

Il faut qu’il ait été attribué au moins 20 fois entre 1900 et 1945 ou depuis 1946. Ou alors qu’il ait été attribué au moins trois fois pour une année de naissance. Le fichier ne permet pas d’être totalement conclusif.

Serait ce possible?

Pourrait-on seulement nommer ainsi un enfant? En théorie, oui. Même si les choses ne sont pas évidentes. Comme le rappelle l’INSEE, il n’existe pas de liste de prénoms autorisés. Depuis 1993, l’officier d’état civil ne peut plus refuser le prénom choisi par les parents. Mais il peut toutefois avertir le procureur de la République s’il estime que le prénom nuit à l’intérêt de l’enfant (exemple : prénom ridicule ou grossier). Le procureur peut ensuite saisir le juge aux affaires familiales qui peut demander la suppression du prénom sur les registres de l’état civil.

Des Clitorine fictives… et celle de Kev Adams

Résultat, les seules Clitorine qui existent bel et bien sont des personnages fictifs:

Dans le Grand Cactus, une émission de la RTBF, un duo de personnages récurrents se compose ainsi de Clitorine et sa comparse Jessica (dites les poufs).

Il existe aussi une BD intitulée Clitorine et Masturbin.

Impossible enfin de ne pas mentionner la Clitorine de Kev Adams. Lors d'un spectacle à Marseille, l'humoriste interprétait son sketch dit des «noms atypiques». Demandant aux membres de l'assistance de se manifester s'ils étaient dans ce cas, il vit une jeune fille lever le bras et se déclarer Clitorine. La séquence, ayant été captée, a beaucoup contribué à persuader les jeunes que des Clitorine existaient bel et bien. La preuve, Kev Adams en a rencontré une.

Cordialement

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