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Porcs, bovins, volailles, la vraie vie de la viande française dans l'élevage intensif

Au-delà des discours bucoliques, où il est question de «fermes» à taille humaine et de bétail batifolant dans les prés, voici comment vivent et meurent porcs, vaches laitières et poulets de chair.
par Sarah Finger
publié le 4 juin 2018 à 18h05

En France, environ 80% des animaux sont élevés en intensif, dans des cages ou bâtiments dont ils ne peuvent sortir. Pour l’heure, le consommateur ignore tout de la précédente vie de sa viande quand il achète un produit : il n’est informé sur le mode d’élevage des animaux qu’en ce qui concerne les poules pondeuses (code 0 pour les œufs bio, jusqu’au code 3 pour l’élevage en batterie). Dans le cadre des débats sur la loi agriculture et alimentation, les députés ont adopté un amendement porté par le CIWF, une ONG internationale contre l’élevage intensif, sur l’étiquetage de la viande : s’il est définitivement validé, il permettra de savoir, à partir de 2023, comment a été élevé l’animal (en plein air ou pas).

Vie de cochons

Pour les porcs, le découpage est net : 95 % sont élevés en intensif, 1% en plein air. Aptes à se reproduire dès l’âge de 6 mois, inséminées artificiellement, les truies donnent au moins deux portées par an, soit 26 porcelets chaque année en moyenne.

Au cours de leur gestation, durant cinq semaines, les truies sont enfermées dans des cages individuelles. Elles ne peuvent ni marcher, ni sortir, ni même se tourner, seulement se lever ou se coucher. Lorsqu’elles mettent bas, elles sont placées dans une autre cage métallique, qui ne leur permet pas davantage de mouvement. Elles donnent naissance à une douzaine de porcelets qu’elles vont allaiter, toujours enfermées dans cette cage.

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Peu après leur naissance, l’éleveur coupe ou meule les dents des porcelets. Les mâles sont castrés sans anesthésie : ce «charcutage» doit éviter une odeur désagréable de la viande à la cuisson qui ne concerne que 3 à 5 % d’entre eux. La coupe de la queue de tous les porcelets est aussi quasi systématique : pratiquée à vif durant leur première semaine de vie, elle vise à prévenir les blessures entre ces animaux qui, pour tromper leur ennui, mâchent la queue de leurs congénères. Invités à se prononcer dans le cadre de l’examen de la loi sur l’agriculture, les députés ont tranché : la castration à vif de dix millions de porcelets et la coupe des queues resteront légales.

«Porcs charcutiers»

Agés de moins d’un mois, les petits sont enlevés à leur mère, qui sera à nouveau rapidement inséminée. Une truie est ainsi utilisée durant trois ans et donnera environ 65 petits avant d’être envoyée à l’abattoir. Pour les porcelets, débute la phase de «post-sevrage» (6 à 8 semaines) suivie de l’engraissement (environ 4 mois). Les cochons passent d’une vingtaine de kilos à environ 120, chacun doit disposer d’au moins 1m²…

Ces animaux curieux, qui, dans la nature, explorent la terre et fouillent le sol, vivent ici dans la promiscuité et une totale vacuité, sur un sol nu et ajouré destiné à évacuer excréments et eaux de lavage. Devenus des «porcs charcutiers», ils sont âgés de 26 semaines (6 mois et demi, alors que leur espérance de vie est d’une dizaine d’années) quand ils sont envoyés à l’abattoir. Là, ils sont généralement «étourdis» par électronarcose (une décharge électrique envoyée par une pince appliquée sur la tête). Mais environ 15% des porcs sont gazés (immergés dans une cuve où du CO2 les asphyxie). Ensuite, tous sont saignés.

Vaches à lait

Les vaches de réforme représentent plus de la moitié de notre consommation de viande bovine. Autrement dit, la viande dite «de bœuf» est le plus souvent issue d’une vache qui a été exploitée toute sa vie pour son lait.

Les génisses peuvent se reproduire à partir de 2 ans. Pour déclencher puis maintenir leur production de lait, elles sont fécondées par insémination artificielle chaque année et donnent donc naissance à un veau par an. Tout le lait étant réservé à la consommation humaine, leur petit leur est enlevé à l’âge d’un jour.

La production moyenne d’une vache laitière avoisine 25 litres par jour. Elle est traite même pendant sa gestation. Cette hyperproductivité a un coût pour l’animal : inflammations ou infections des pis, boiteries causées par l’hypertrophie des mamelles… La plupart d’entre elles ont accès aux pâturages. Mais certaines sont en permanence confinées à l’intérieur, (7% selon l’association Welfarm), voire constamment attachées.

Coup de matador

A 5 ou 6 ans (alors qu’elles peuvent prétendre à une existence d’une vingtaine d’années), elles sont engraissées durant 2 à 4 mois puis envoyées à l’abattoir. Certaines de ces condamnées attendent un veau : 3% des vaches laitières sont abattues en Europe durant le dernier tiers de leur gestation…

Les vaches qui sont étourdies avant d'être saignées reçoivent un coup de matador (pistolet muni d'une tige perforant le crâne). Les autres sont abattues rituellement, c'est-à-dire égorgées en pleine conscience. Selon l'ancien ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll, l'abattage rituel est pratiqué sur 15 % des bovins. Il est décrit comme un spectacle particulièrement éprouvant, même par un spécialiste de la viande : «L'égorgement d'une vache laitière de race Holstein peut durer deux minutes. C'est insupportable», déclarait le président du groupe Bigard devant la commission d'enquête parlementaire sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie.

Chair de poules

Imaginons un poussin naître dans la filière «poules pondeuses». Si c’est un mâle, mauvaise pioche : il est broyé ou gazé. Si c’est une femelle, elle a 68% de chances de finir dans un élevage en batterie. Si notre poussin naît dans la filière «poulet de chair», sa probabilité de finir en élevage intensif atteint 80%. Pour lui, les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là : si c’est un «poulet standard», il a 40 jours à vivre.

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Les poussins arrivent dans les hangars à l’âge d’un jour. Sélectionnés pour produire un maximum de chair, ils sont rapidement victimes de la croissance accélérée de leurs muscles. Leurs pattes, leur squelette, les soutiennent à peine. Ils bougent d’autant moins que dans les hangars la densité peut atteindre 22 poulets par m². Ils ne quittent pas ces bâtiments sombres et surpeuplés, leur litière n’est pas changée pendant toute la durée leur (modeste) vie. Tous pataugent dans leurs excréments.

Leur premier et dernier voyage a généralement lieu la nuit, ou tôt le matin. Ils sont ramassés à la main, par poignées, ou bien mécaniquement, grâce à des «machines de ramassage» qui, par un système de tapis roulant, les entassent dans des caisses de chargement. Les plus faibles ou les blessés sont euthanasiés sur place. A l’abattoir, suspendus par les pattes, vivants et conscients, leur tête est d’abord plongée dans un bain électrique avant d’être tranchée.

En chiffres

Le cheptel des vaches laitières compte 3,6 millions d'animaux. Les Français sont les premiers consommateurs européens de matières grasses laitières et de fromages (26,8 kg en 2015).

14 000 élevages produisent chaque année 23,8 millions de porcs charcutiers. Un Français consomme en moyenne 33 kilos de porc par an, un quart sous forme de viande, trois quarts sous forme de charcuterie.

917 millions de volailles ont été abattues en 2017 en France, dont 82% de poulets. Chaque Français avale en moyenne 18,8 kg de poulet par an.

Sources : ITAVI, FranceAgrimer, Interbev, CIWF, Welfarm.

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