Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Au Nigeria, les écoles coraniques se mettent aux maths et à l’anglais

La classe africaine (13). Le nord du Nigeria progresse vers un système éducatif hybride, intégrant peu à peu les écoles islamiques dans un parcours adapté aux réalités sociales.

Par  (contributrice Le Monde Afrique, envoyée spéciale à Kano, Nigeria)

Publié le 01 février 2018 à 13h54, modifié le 14 mai 2018 à 10h02

Temps de Lecture 4 min.

Muhammad Lawal Ubale, professeur d’anglais à l’école de Tsakuwa, loue la pension complète qui évite, selon lui, aux jeunes étudiantes d’aller mendier pour se nourrir.

A tout juste sept ans, Zainab se débrouille dans trois langues. Au haoussa, sa langue maternelle, et à l’arabe, qu’elle étudie à travers le Coran, est venu s’ajouter l’anglais, « la langue du business », comme dit la petite fille. Avec ses camarades de l’école coranique de Tsakuwa, elle rêve déjà de devenir une marchande fortunée de Kano, la métropole du nord du Nigeria, située à 40 kilomètres de son village.

Découvrez notre série La classe africaine

Son école fait partie des douze établissements pilotes de l’Etat de Kano dans lesquels le gouvernement expérimente l’intégration de nouvelles disciplines dans l’enseignement coranique afin de le faire converger vers le système éducatif national. L’éducation coranique est parfois la seule dont bénéficient les enfants du nord du Nigeria, où la charia a été réintroduite dans les années 2000. Ici, Zainab étudie également les mathématiques et les sciences naturelles. Les frais de scolarité sont gratuits.

« Modèle attractif »

« Nous allons nous agrandir l’année prochaine », promet la directrice de l’établissement Hadiza Adamu Hassan, en regardant les enfants qui recopient assidûment la leçon inscrite au tableau, cahier sur les genoux à défaut de bureaux. Le bâtiment est récent mais poussiéreux car l’harmattan terriblement épais cette année a recouvert d’une fine couche de sable le sol des salles de classe et la cour de récréation, leur donnant des allures défraîchies. Mais ce manque de moyens ne rebute pas les familles.

« Le modèle est attractif pour les familles. Nos 300 élèves sont toutes en pension complète, ce qui prévient l’absentéisme ; elles n’ont pas besoin d’aller mendier pour se nourrir. Les malams [maîtres coraniques] transmettent le savoir religieux et nos professeurs assurent l’enseignement de la lecture et du calcul. Notre objectif : 100 % de réussite à l’examen d’entrée au collège », poursuit-elle.

Ce programme qui doit également être mis en œuvre dans les quatre autres Etats du nord-ouest du pays – Jigawa, Kaduna, Katsina et Sokoto – s’inscrit dans le cadre de la politique du gouvernement nigérian menée depuis 2008 en faveur d’une éducation plus inclusive. DFID, l’agence de coopération britannique, l’a financé à hauteur de 125 millions de livres sterling (142 millions d’euros) versés au cours des dix dernières années. L’offre a été adaptée aux élèves des écoles coraniques, afin qu’ils puissent acquérir des notions fondamentales et compléter le cycle primaire d’éducation.

A l’ecole primaire tsangaya du village de Tsakuwa, dans l’Etat de Kano, les jeunes filles n’ont pas de bureau pour étudier. Mais le manque de moyen ne rebute pas les familles.

Pour y parvenir, un long travail de dialogue a été mené avec les communautés et les malams favorables à l’accès à une double éducation. Un socle de compétences de base, suffisant pour entrer dans le secondaire, a été défini. « Les fondements sont là, mais la suite dépendra beaucoup de l’environnement politique des Etats et de la continuité des flux de financement », a conclu prudemment DFID au moment de clore le projet, en 2017. Plus de 27 000 élèves en ont bénéficié.

Participation croissante des filles

Côté gouvernemental, nulle intention de faire machine arrière : « L’éducation moderne est encouragée par la religion », insiste l’ancien malam Abdusshakur Abba Nuhu. Dans un pays où les djihadistes de Boko Haram ont construit leur discours autours du refus d’une scolarisation calquée sur les modèles occidentaux, ce coordinateur de projets au ministère de l’éducation de Kano est habitué à ce que l’on soupçonne les maîtres coraniques de résister à un enseignement moderne. « Des malams font barrage ? Pas à ma connaissance. Les maths et l’anglais sont incontournables pour nos enfants s’ils veulent s’intégrer dans la société moderne qu’est le Nigeria d’aujourd’hui. »

Seconde ville nigériane par la population, Kano, dont la province éponyme excéderait les 13 millions d’habitants, se rêve en vitrine du nord. Mais pour assouvir ses désirs de modernité, il lui faut restructurer en profondeur l’offre éducative.

Selon les calculs du professeur Hafiz Abubakar, gouverneur adjoint de l’Etat de Kano, trois millions d’écoliers sont actuellement scolarisés dans 6 000 établissements primaires publics. En parallèle, autant d’enfants fréquenteraient plus ou moins assidûment les quelque 23 000 écoles confessionnelles de l’Etat.

Les responsables locaux s’enorgueillissent d’une participation croissante des filles. « Il y a déjà autant de filles que de garçons dans les écoles confessionnelles », affirme Mohammed Dayya, du bureau des statistiques au gouvernement de Kano et ancien maître coranique.

Trois millions d’élèves « convertis en mendiants »

Six millions d’écoliers, mais combien d’oubliés ? La réalité est difficile à percevoir. Le gouverneur de Kano, Abdullahi Ganduje, faisait état l’an dernier de trois millions d’enfants sur la touche, pour la plupart des « élèves des écoles coraniques convertis en mendiants ».

Suivez-nous sur WhatsApp
Restez informés
Recevez l’essentiel de l’actualité africaine sur WhatsApp avec la chaîne du « Monde Afrique »
Rejoindre

Pour Muhammad Lawal Ubale, professeur d’anglais à l’école de Tsakuwa, la pension complète est le meilleur ami de l’assiduité. « C’est sûr, mes élèves ne risquent pas de finir dans la rue. Mais aura-t-on les moyens de reproduire ce modèle à grande échelle ? », interroge l’enseignant qui a rejoint l’école dès son ouverture en 2014. « On manque déjà de tout ici, de livres, de stylos, de cahiers… les défis s’accumulent ! C’est un challenge chaque jour de faire classe ici. »

Mannir Inuwa voit les choses sous un angle plus optimiste. Fraîchement diplômé de l’université des sciences et technologies de Kano, le jeune professeur de mathématiques originaire de Kumbotso, au sud de Kano, a été posté à Tsakuwa à la rentrée dernière et croit fort dans le modèle et dans le potentiel de ses écolières. « Tant que j’ai mon tableau, je peux faire cours. Le savoir passe ainsi dans la tête de mes élèves », explique-t-il tout en dessinant des fractions au tableau. Le secret de son enthousiasme ? Sa foi en la religion et dans les mathématiques : « Quand Dieu te donne l’envie d’apprendre et l’accès à la connaissance, tu as toutes les chances de ton côté. »

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.