Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

ReportageCulture

Les musiciens du Vegetable Orchestra jouent... avec des légumes

Depuis vingt ans, le groupe de musique viennois The Vegetable Orchestra place les légumes au cœur de sa démarche artistique. Reporterre a vécu l’un de ses concerts, à l’issue duquel une soupe, faite des restes de la fabrication des instruments, est partagée avec le public.

  • Rheinsberg (Allemagne), reportage

« Passe-moi un poireau, s’il te plaît ! » Assis autour d’une table de jardin, en ce bel après-midi de printemps, Jörg évide un grand radis blanc tandis que Susanna taille une aubergine en lamelles. Tamara, elle, trace des sillons sur une carotte. Ces trois Autrichiens ne cuisinent pas un grand festin végétarien, mais préparent leur concert du soir. Avec sept autres membres, ils composent le Vegetable Orchestra, un ensemble musical qui ne joue qu’avec… des légumes.

À l’aide de perceuses, d’économes et de couteaux, ils transforment les légumes du marché en instruments de musique : deux poireaux frottés l’un contre l’autre forment un violon, une carotte creuse et enfoncée dans un demi-poivron donne un trombone ; en versant de l’eau dans un radis blanc, on obtient un « radis chantant » au son unique, « humide, un son typique de légume », s’enthousiasme Susanna Gartmayer, membre du groupe depuis treize ans.

The Vegetable Orchestra fabrique lui-même tous ses instruments à partir de légumes frais.

Le projet n’a rien d’une blague ou d’un jeu d’enfants. The Vegetable Orchestra a été fondé en 1998 à Vienne par des musiciens et plasticiens professionnels. Le groupe cultive un art de l’expérimentation permanente, à la croisée de la musique et de l’artisanat. « L’idée au départ, c’était juste de faire une performance, un happening, se souvient Jörg Piringer, l’un des fondateurs. Mais l’accueil a été tellement bon, et ça nous a tellement amusé qu’on a décidé de continuer. On a découvert le potentiel musical des légumes en apprenant par nous-mêmes, en inventant des instruments et des façons de les utiliser. »

Des instruments à vent.

Le groupe n’utilise que des légumes frais, les plus durs et croquants possible. Pas de tomate, qui pourrait s’écraser, mais des courges, des légumes-racines ou encore des choux, qui supportent mieux les manipulations. « Ce qui est intéressant avec les légumes, c’est l’imprévisibilité, explique Susanna. On ne sait jamais avec quel légume on va jouer ni dans quel état de fraîcheur il se trouve, combien de temps il va durer… Ça dépend des approvisionnements, de ce que l’on trouve le jour du concert, mais aussi des températures. À chaque fois, on joue avec un instrument nouveau. »

Un savant bouillon assaisonné d’influences électroniques et de musiques du monde 

The Vegetable Orchestra s’est produit dans le monde entier, de Hongkong à Mexico, avec parfois quelques difficultés à trouver des légumes adaptés. Ce soir-là, le groupe participe à un festival culinaire à Rheinsberg, au nord de Berlin. Pas de potiron en cette saison, ce sera donc une pastèque pour les percussionnistes Ulrich et Jürgen, seule entorse fruitière à la règle.

Une fois fabriquée la centaine d’instruments nécessaire, les musiciens passent de longues heures en répétition avant le concert pour accorder leurs oignons. « Prenez deux carottes, raconte Jörg, qui proviennent chacune d’agriculteurs différents. À l’œil, on ne peut pas savoir comment elles sonnent. Il faut d’abord les travailler, et peut-être faire des retouches. Souvent, il faut fabriquer deux ou trois instruments pour en obtenir un correct, mais aussi en prévoir un de rechange, au cas où le premier se casserait pendant le concert. »

Le concert du 26 mai 2018 à Rheinsberg, en Allemagne.

Ces « légumusiciens » jouent leurs propres compositions, un savant bouillon assaisonné d’influences électroniques et de musiques du monde. Chacun participe au travail de création. « C’est une organisation démocratique, nous prenons toutes les décisions en commun, sans chef d’orchestre, explique Susanna. Et sur scène, chaque membre est une petite partie de l’ensemble, à égalité avec les autres. »

La dimension politique, y compris environnementale, est partie intégrante de ce projet unique en son genre. « Avec nos légumes, on consomme moins de ressources que pour fabriquer certains instruments classiques ou un ordinateur pour de la musique électronique, constate-t-elle. Et on peut les manger après ! » La volonté des musiciens est de « redonner une importance aux légumes, de les replacer au centre, explique Jörg. Ce qui compte, ce n’est pas le musicien, mais le légume. Ce n’est pas la musique, mais l’instrument. Je ne sais pas si on peut qualifier notre démarche d’écologique, mais on attire l’attention sur ces plantes, et je trouve cela important. »

La scène après le concert.

Le pari semble gagné ce soir-là : conquis, le public applaudit à tout rompre et ne se fait pas prier pour s’approcher de la scène à l’issue du concert. Les enfants emportent les instruments après une petite leçon de « flûte-carotte ». Les adultes partagent la grande soupe — délicieusement persillée — préparée avec les épluchures et restes de légumes. Un moment de partage, cerise sur le gâteau d’une expérience multisensorielle qui associe l’ouïe, la vue, l’odorat et le goût.



  • À noter : Le prochain album de The Vegetable Orchestra, The Green album, sortira à l’automne 2018 et sera suivi d’une tournée qui devrait conduire le groupe en France. Une campagne de financement participatif a été lancée.
Fermer Précedent Suivant

legende