À la gloire de « Around The Fur » des Deftones

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À la gloire de « Around The Fur » des Deftones

Avec son deuxième album, le groupe de Sacramento a signé un des disques les plus emblématiques et intemporels des 90's.

Réécouter un disque de metal (neo, nü ou alternatif), vingt ans après pour l'analyser, voilà une idée qui ne m'aurait absolument pas traversé l'esprit en 1997, année où j'ai dépensé 99 francs en prix vert à la Fnac pour acheter Around The Fur des Deftones (mais si, rappelez vous, on a toujours dit « les Deftones »). Au moment où ce disque sort, le metal joué par des bros en jogging et dreads s'apprête à déferler un peu partout dans le monde, le terrain étant bien préparé par le succès de Roots de Sepultura (classique inattaquable), le 1er album de Korn et celui d'un des groupes les moins photogéniques de la terre : les Deftones (et, si on doit être tout à fait honnêtes, Faith No More).

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Les Deftones sortent ce disque pile au moment le plus opportun, mais ils le font intelligemment (personne ne peut dire où s'arrête le sens du marketing et où commence le cul bordé de nouilles avec ce groupe). Around The Fur est poussé par un des labels hype du moment, Maverick, soi-disant monté par Madonna (ça semble surréaliste d'écrire ça aujourd'hui), et bénéficie de la production de Terry Date, sérieuse caution crédibilité puisqu'il a bossé aussi bien avec Pantera et Prong qu'avec Sir Mix A Lot. Trois noms que je n'ai d'ailleurs pas choisi au hasard tant ils représentent à la perfection l'équation Deftones : metal bouseux (Pantera) + influences indus (Prong) + rap bon enfant qui ne renie pas le crossover (mais si, souvenez-vous la B.O. de Judgement Night où Sir Mix A Lot apparaissait aux côtés de Mudhoney).

Le disque s'ouvre sur « My Own Summer (Shove It ) » et, plus exactement, sur un son de caisse reconnaissable entre mille : aigu, sans la moindre fréquence basse, il est un des grands axes de ce disque. Je suis tout à fait conscient que cet argument peut vous donner l'impression assez désagréable d'être en train de lire un thread sur Audiofanzine mais ce son de batterie, pile entre Snapcase et Roni Size, est vraiment la base du son de l'album. Avec la guitare de Stephen Carpenter, jouée avec un seul doigt, épais, en accordage de Ré et qui, il faut l'admettre, rappelle elle aussi pas mal Snapcase. Sans oublier la voix murmurée, pétée d'effets de Chino Moreno, le leader du groupe qui annonce les refrains criés, soutenus par le défunt bassiste Chi Cheng.

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Mais Deftones c'est avant tout une histoire de rivalité artistique entre les deux têtes pensantes du groupe : le massif Carpenter, qui préférerait jouer dans Machine Head et ne s'en cache pas, et Chino Moreno, qui a grandi en écoutant Duran Duran et Depeche Mode et n'aura de cesse de pousser les murs pour installer ses influences new wave et shoegaze. Eh ouais, shoegaze, car à l'heure où les disquaires soldaient à moins de 10 francs les disques de Ride et Slowdive, les californiens préparaient tranquillement le retour en grâce des guitares cotonneuses et des voix sous MDMA. Carpenter avait beau faire la gueule, le groupe entier jouait des trucs comme « Mascara » et ouvrait une nouvelle porte aux musiques dures en poussant un peu plus loin ce qu'avait pu entreprendre un groupe comme Quicksand (autre influence massive du groupe de Sacramento) ou Helmet, qui ne prendront jamais le train du succès mainstream faute de tubes de la trempe de « Be Quiet And Drive Far Away ».

Et la mystique dans tout ça ? Et bien c'est justement l'absence de mythologie autour du groupe qui explique sans doute l'adhésion des petits culs blancs des lotissements résidentiels du monde entier à leur metal hybride - ça et le fait que les Deftones aient traversé les années sans trop subir les affres du temps. Pendant que Korn jouait à fond la carte de « l'autre Amérique » (comme disait Télérama en parlant de Larry Clark et Harmony Korine), celle des gamins issus de foyers brisés qui ont les mains dans la crasse (le fameux job d'assistant légiste de Jonathan Davis) et le scandale (le tatouage HIV de Davis, les coucheries avec les actrices pornos, la connotation scatophile du nom du groupe), les Deftones ont gardé cette image des quatre copains de lycées rejoints par leur pote dealer de weed (le fameux « DJ » Frank Delgado qui contribue de deux gribouillis synthétiques à l'album) avec un look pas très différent de celui qu'ils ont au saut du lit. Groupe multiculturel, formé par des enfants d'immigrés chinois et mexicains, les Deftones ne revendiquent rien de politique. À mille lieux d'un groupe comme At The Drive In (ou même Rage Against The Machine) qui mettent en avant leur statut d'enfants d'immigrés, Deftones est peut-être le groupe le plus normcore de son époque. Dickies, T-shirts blancs et l'indéboulonnable catogan de son guitariste : on est bien loin du total look Adidas de Korn et des excentricités de Coal Chamber, Papa Roach ou des frat rockers de Limp Bizkit.

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S'il faudra attendre le semi-faux pas « Back To School » pour voir les Deftones signer un morceau taillé pour les virées en SUV, Around The Fur s'adresse, lui, davantage aux geeks du monde entier, mal dans leurs chaussettes, biberonnés au metal alternatif et scotchés devant Final Fantasy VII et Crash Bandicoot.

Around The Fur est probablement aussi le premier disque d'or emo de l'Histoire. Se terminant sur « Head Up » hommage au fils décédé de Max Cavalera - qui éructe d'ailleurs sur le morceau ce qui deviendra le nom de son groupe (« Soulfly ») - le disque est emocore au sens premier du terme. Les paroles nébuleuses de Moreno qui tanguent en permanence entre dégoût de soi et des autres reprend l'histoire à peu près là où Kurt Cobain l'a laissée avec In Utero. C'est surtout, avec le Pinkerton de Weezer, le grand disque de l'ennui urbain et de la misère sexuelle des années post grunge. Moreno est d'ailleurs tellement obsédé par l'album de Weezer que les Deftones reprennent alors régulièrement « Tired Of Sex » sur scène.

Disque de geek ? Et on fait quoi du décolleté plongeant en couverture, alors? En bons dudes de banlieues pavillonnaires, les Deftones passaient pas mal de temps à se la coller pendant l'enregistrement du disque et c'est un de leurs potes qui a pris cette photo - sur laquelle figurait à l'origine Frank Delgado, discrètement photoshopé pour ne pas fâcher les épouses des membres du groupe. On touche ici à l'essence même de ce que sont les Deftones : un groupe dangereux mais pas trop, torturé mais pas trop, qui se prennent la tête mais pas au point de splitter et qui sont là avant tout pour vous permettre de vous défouler et d'oublier votre quotidien, exactement comme une partie de Laser Game ou un film de Wes Craven.

Exactement ce qu'est devenu le metal en 20 ans : un divertissement bon enfant, qui ne fait plus peur à grand monde mais qui peut encore jouir d'un certain potentiel subversif - un genre qui est un peu devenu à la musique indépendante ce que David Lynch est au cinéma d'auteur. Un ticket de train fantôme vaguement crédible qui ne fait de mal à aucune mouche et qui offre un certain potentiel de crédibilité en société. En 2017, pendant que Korn et consorts tentent de raccrocher les wagons comme ils le peuvent, engoncés dans un costume de rock stars que seul Metallica a réussi à porter plus ou moins décemment dans le quart de siècle passé, Around The Fur et les Deftones continuent d'emballer les trentenaires nostalgiques qui sont passés des banlieues de leurs parents aux trois-pièces parisiens. Et puis, voyons les choses en face : c'est juste un putain de bon disque. Adrien Durand est sur Noisey. Noisey 1997 c'est toute la semaine ici.