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«Justice»

A La Haye, le Congolais Bemba acquitté, la cour pénale décrédibilisée

Deux ans après sa condamnation à dix-huit ans de prison pour «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité» en Centrafrique, le Congolais a été acquitté vendredi par la CPI.
par Maria Malagardis
publié le 8 juin 2018 à 20h46

«C'est une tragédie, un revers incroyable», confie, quelque peu sonnée, Karine Bonneau de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), après l'annonce, vendredi après-midi, de l'acquittement de Jean-Pierre Bemba par la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye.

La décision a aussitôt fait l’effet d’un coup de théâtre, accueillie par des cris de stupeur mais aussi des applaudissements dans la salle d’audience. Au moment précis où les juges de la cour d’appel ont totalement renversé le verdict prononcé contre ce même inculpé il y a deux ans, le 21 mars 2016.

Ce jour-là, Jean-Pierre Bemba avait été condamné à dix-huit ans de prison, la peine alors la plus lourde jamais prononcée par la CPI. Bemba avait aussitôt fait appel mais personne n’aurait pu prédire que ce nouveau jugement aboutirait à un verdict aussi radicalement opposé, après huit ans de procès et dix ans d’emprisonnement pour Bemba, arrêté en 2008.

Le choc est rude pour le bureau du procureur de la CPI qui avait fait de ce long procès un symbole. D'abord parce que l'accusé est un homme puissant, le «premier gros poisson» en réalité, jamais arrêté par cette juridiction internationale. Dans son pays, la république démocratique du Congo (RDC), Bemba est en effet un homme qui compte, depuis longtemps : tour à tour chef de guerre, vice-président du pays, candidat à la présidentielle, sénateur. C'est aussi un riche homme d'affaires, qui n'entrera en politique qu'après 1997 et la chute du maréchal Mobutu auquel sa famille était liée. Sa milice armée, transformée par la suite en parti politique, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC), aurait commis de nombreuses exactions dans des provinces où Bemba s'est un temps replié.

Viols. Reste que ce ne sont pas les crimes éventuellement commis dans son propre pays qui lui étaient reprochés devant la CPI, mais ceux commis dans un pays voisin : la Centrafrique. En 2002, confiné dans le nord-est de la RDC, Bemba répond à l'appel à l'aide du président centrafricain Ange-Félix Patassé, alors confronté à une rébellion armée. Or, à Bangui, la capitale centrafricaine, le contingent du MLC va pendant plusieurs mois multiplier les atrocités : pillages systématiques, mais aussi viols et tortures. Les témoignages recueillis dès cette époque par la FIDH reflètent une sauvagerie et une cruauté sans limites qui méritent le qualificatif de «crimes de guerre» et de «crimes contre l'humanité».

Mais qui est responsable ? Bemba ? A l’époque des faits, il n’est pas en Centrafrique, se contentant de «prêter» ses hommes à Patassé. Et en 2007, au moment où la CPI annonce l’ouverture d’une enquête le concernant, il est confronté à d’autres enjeux : il doit fuir son pays lorsque sa rivalité avec le président congolais Joseph Kabila tourne à la guerre ouverte. Moins d’un an plus tard, il est arrêté dans son exil bruxellois et envoyé à La Haye. Ses partisans crieront aussitôt au procès politique, ses avocats n’auront de cesse de rappeler son absence du lieu des crimes commis.

Du côté de la CPI, en revanche, le cas Bemba apparaît bientôt comme une opportunité historique : pour sanctionner pour la première fois les violences sexuelles qui n'ont jamais pu être prouvées dans des jugements précédents. Et en imposant également la notion de «supériorité hiérarchique», celle qui rend les «chefs» comptables des exactions de leurs troupes sur le terrain. Même à distance. Reste à le prouver.

Lacunes. «Bemba savait», affirme Karine Bonneau, de la FIDH. «Ses troupes avaient déjà commis des exactions en RDC et il connaissait leur comportement. Par ailleurs, il a été plusieurs fois interpellé notamment par le président de la FIDH dès cette époque. Or jamais Bemba n'a sanctionné le moindre militaire», déplore-t-elle.

Sauf que la CPI n’a pas poussé les enquêtes sur les subordonnés qui se trouvaient sur place, se contentant du cas symbolique de Bemba. Ses arguments n’auraient pas été examinés avec l’attention requise, ont estimé trois des cinq juges de la cour d’appel pour justifier vendredi leur décision surprise. Laquelle évoque d’autres lacunes, plus techniques, qui accablent le bureau du procureur, très affaibli par cet échec retentissant : dix ans de procès pour rien.

Mais les conséquences sont aussi dévastatrices pour les 5 229 victimes centrafricaines qui avaient accepté de témoigner. Dans ce pays meurtri par tant d’autres tragédies, la confiance dans la justice risque d’être compromise pour longtemps. Quant à la RDC, la libération de Bemba risque de bouleverser la donne de la présidentielle de décembre. Lors d’un scrutin qui s’annonce sous tension, Bemba ne sera-t-il pas tenté de jouer les hommes providentiels face à Joseph Kabila ? Les cartes sont en tout cas désormais rebattues. Mais pour la justice internationale, dans l’immédiat, c’est tout simplement : échec et mat.

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