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Analyse

La psychiatrie publique proche du délabrement

Alors que la demande d’hospitalisation est de plus en plus importante en France, il manque des lits et des soignants.
par Eric Favereau
publié le 7 juin 2018 à 20h56

En annonçant en janvier des mesures pour la psychiatrie, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, avait dressé un constat clair. Et pointé une urgence : «La psychiatrie ne sera plus le parent pauvre de la médecine.» Puis : «C'est une discipline qui s'est paupérisée et sur laquelle il n'y a pas eu un vrai investissement depuis des années», a-t-elle alors dit au Monde, avant d'ajouter : «Pourtant, les besoins sont en constante augmentation, parce que la société est de plus en plus dure, qu'il y a plus d'addictions, moins d'accompagnement des familles… En psychiatrie, il y a le pire et le meilleur.»

Crise profonde. Six mois plus tard, c'est le pire qui rejaillit. Et ce qui se passe au centre hospitalier spécialisé du Rouvray est aussi symptomatique du décalage énorme entre les attentes des personnels et les réponses des autorités sanitaires. De fait, la psychiatrie publique va terriblement mal. Elle fait face à une crise profonde aux multiples causes. La plus concrète étant depuis les années 70 une «désinstutionnalisation» massive des patients, avec une réduction spectaculaire du nombre de lits. En quarante ans, les malades sont en grande partie sortis de l'asile, et ce mouvement était largement justifié. Il n'empêche, les chiffres sont impressionnants. Le nombre de lits d'hospitalisation en psychiatrie dans les établissements de santé publics et privés est passé de 100 000 dans les années 70, à 78 328 en 1994, puis à 60 794 en 2002, et 57 000 en 2015. Les patients en psychiatrie sont aujourd'hui suivis le plus souvent dans le cadre d'une prise en charge ambulatoire : 76 % des patients reçus au moins une fois dans l'année sont pris en charge exclusivement sous cette forme. En 2014, plus de 20 millions d'actes ont ainsi été réalisés, notamment dans les 3 700 centres médico-psychologiques, considérés comme les pivots du dispositif ambulatoire. On l'oublie, mais jamais une discipline médicale n'avait connu un tel bouleversement. Et cela s'est fait sans beaucoup de ménagement. Les limites ont été manifestement franchies.

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Alors que la demande de soins en psychiatrie augmente régulièrement, il manque des lits partout en France. Les autorités de tutelle, arc-boutées sur des logiques budgétaires, ne veulent pas en ouvrir de nouveaux, imposant de fait des durées de séjour de plus en plus courtes aux malades mais aussi des conditions de travail de plus en plus difficiles au personnel. Les équipes sont souvent épuisées, démoralisées, se devant de répondre à des consignes contradictoires. L’asile, devenu CHS (centre hospitalier spécialisé), est devenu souvent inhospitalier. Certains diront que l’hôpital psychiatrique en a gagné en «efficacité», mais le lieu est devenu dur, rude, sans chaleur, avec pour symptôme une multiplication récente des mesures de contention ou d’isolement.

Réaction désespérée. Devant ce délabrement, les psychiatres ont déserté les hôpitaux publics pour aller dans le privé. Les personnels de santé, eux, se sont retrouvés encore plus en première ligne. Et cela sans formation particulière, le diplôme d'infirmier psychiatrique ayant entre-temps disparu. Il est de ce fait révélateur que les difficultés de l'hôpital de Rouvray aient entraîné une réaction désespérée du personnel de santé et en écho un relatif silence des médecins. Comme si ces derniers n'y croyaient déjà plus.

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