Barbara, l'histoire d'une voix
Des cours de chant à l’essoufflement dont témoigne son dernier disque, la voix de Barbara a traversé différentes phases : limitée, expressive, éclatante et brisée.
Toute de noir vêtue, les cheveux coupés à la garçonne et le trait d’eye-liner soulignant un regard sombre : voilà comment nous apparaît l’image de Barbara, figure incontournable de la chanson française.
Depuis les années 1960 et ses premiers grands succès (Dis quand reviendras-tu, Nantes, Göttingen) jusqu’à sa disparition, le 24 novembre 1997, la chanteuse cultive ce même personnage, cette même apparence : sombre et élégante, à l’image de ses chansons.
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Une facette de la ‘Dame en noir’ a pourtant constamment évolué : sa voix. Un instrument qui l’a rendue célèbre avant de lui faire faux bond. Quels mystérieux ingrédients ont composé cette voix, lui ont conféré son pouvoir magnétique ? Et pourquoi s’est-elle tant usée ?
Portrait vocal de Barbara en cinq points, avec l’éclairage de Serge Hureau, fondateur et directeur du Hall de la chanson, et enseignant au Conservatoire National d’Art Dramatique de Paris.
Des accents lyriques
Il serait tentant d’affirmer que l’art vocal de Barbara hérite des grandes voix qui la précèdent, notamment celle d’Edith Piaf. Et pourtant, rien - ou peu de choses - rassemblent les deux artistes, du moins en ce qui concerne leur façon de chanter.
« Il y a bien quelques points communs : le fait de rouler les R - même si c’est plutôt l’usage d’une époque - et le porté de la voix. Mais Piaf est une chanteuse de rue et Barbara, elle, n’a pas le même coffre. Elle va plutôt chercher à moduler sa voix », explique Serge Hureau.
Le coffre, la puissance vocale, c’est ce après quoi court la jeune Barbara, dans ses premières années. Adolescente, elle prend des leçons particulières de chant lyrique, puis intègre le conservatoire de Paris avec le statut d’auditrice, avant de faire ses premiers pas sur scène dans un chœur d’opérette (Violettes impériales de Vincent Scotto).
Or ses premiers professeurs jugent sa voix trop limitée pour l’opéra, et quand elle fait ses premiers essais chansonniers dans les cabarets, on lui reproche cette fois-ci de chanter trop fort… « Lorsque Barbara auditionne pour la première fois au cabaret de l’Ecluse, elle n’est pas retenue parce que la salle est toute petite, et qu’elle chante avec trop de force. Sa technique lyrique, finalement, la desservait », raconte Serge Hureau.
On peut entendre les restes de cette formation classique dans ce premier passage télévisé (émission Cabaret du soir du 12 juillet 1958). Mais des cours du conservatoire, Barbara aura l’intelligence de ne conserver que ce qui se révèle compatible avec l’art de la chanson : maîtrise du souffle, souplesse, justesse. Car chanter dans un micro, « c’est comme murmurer à l’oreille de quelqu’un » rappelle Serge Hureau. Et ça, Barbara va vite le comprendre et en user, développant tout un art de la nuance.
Sa plus belle histoire, pour nous
« Barbara est une magnifique interprète d’elle-même, mais il ne faut pas oublier qu’elle s’approprie tout aussi bien les chansons des autres », remarque Serge Hureau.
Après avoir appris à chanter pour se faire entendre jusqu’au fond d’une salle, Barbara découvre peu à peu comment toucher le fond des âmes. Elle murmure, joue avec les différentes couleurs de sa voix et, surtout, raconte. D’abord les petites histoires des autres : Yvette Guilbert, Georges Brassens, Jacques Brel... puis écrit et compose ses propres chansons.
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Au-delà de son talent d’auteur-compositeur, elle est avant tout une interprète, une chanteuse qui possède un timbre particulier, une empreinte vocale qu’elle sait adapter à chaque mot. Sa voix est celle d'une mezzo-soprano, capable d’autant de gravité (L’aigle noir) que de légèreté (Elle vendait des pt’its gateaux).
Mettre en scène les mots et les nuances
Barbara est une travailleuse acharnée. Mais si elle peaufine sa diction, ses nuances vocales, elle ne vocalise pas, ne cherche pas à développer ou entretenir sa voix. Ce qui lui tient le plus à cœur avant de monter sur scène, c’est l’ordre selon lequel elle interprète ses chansons : « C’est comme un rituel pour elle, avec des chansons par lesquelles elle doit nécessairement passer pour en interpréter d’autres », explique Serge Hureau. Pour elle, le concert est un parcours dont chaque étape doit avoir une signification.
Il en est de même dans la composition de ses chansons : elle ne recherche pas la prouesse vocale. Ce qui lui importe, c’est la musique, que la mélodie accompagne parfaitement le sens de chaque mot. Et si les constructions harmoniques de ses compositions peuvent paraître simples, elles sont pourtant taillées sur mesure, épousant parfaitement les contours de sa voix.
Dans la chanson Nantes, par exemple, la mélodie commence en la bémol majeur, une tonalité plutôt douce, avec laquelle sa voix s’élève comme dans un murmure, une berceuse aux paroles tristes mais simples (Il pleut sur Nantes - Donne moi la main - Le ciel de Nantes - Rend mon cœur chagrin). Puis le chant se fait fort, grave, la mélodie bascule dans une tonalité éloignée et plus dramatique (fa # mineur), et la voix ne berce plus. Au contraire, elle raconte avec précision et violence la mort d’un père.
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En amont d’un concert, ce sont ces enchaînements de sens et de nuances que Barbara travaille avec acharnement. En coulisses, elle est davantage metteur en scène que chanteuse, car elle sait qu'une fois devant le public, elle saura tout donner, faisant entièrement (et peut-être trop) confiance au déploiement instinctif de sa voix.
Fragilité et brisure
« La permanence [de la voix] n’existe que dans les disques », rappelle Serge Hureau. S’il est tout à fait naturel qu’une voix évolue au fil des années, il n’est pas inéluctable qu’elle s’abîme et s’essouffle. Or Barbara enchaîne les concerts et ne ménage pas sa voix, « pire encore, souligne Serge Hereau, elle l’a totalement abîmée. »
« C’est dramatique mais il faut le dire : quand sa voix flanchait et ne ressemblait plus à ce qu’elle espérait, au lieu de faire des vocalises et de se soigner, elle prenait de très forts médicaments. » Des « médicaments poisons » - comme elle l’écrit dans ses mémoires - et qui, pris à répétition, vont la détruire entièrement.
Il y a cette fameuse série de concerts à Pantin, en 1981, pendant laquelle se révèlent clairement les premières faiblesses vocales de la chanteuse. Mais loin de décevoir son public, ces quelques représentations confirment son statut d’icône. Lorsqu’un soir, elle se retrouve aphone, les spectateurs prennent même la suite de sa chanson.
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Un dévouement rare, touchant, de la part d’un public qui parfois l’idolâtre. Mais un dévouement qui, sous certains aspects, peut être regretté : « Il y a de la part du public de Barbara une forme de complaisance, déplore Serge Hureau. Et je trouve dommage que cette chanteuse comme son entourage aient laissé sa voix se détériorer à ce point. »
Voix parlée, voix écrite
« Plus jamais je ne rentrerai sur scène. Je ne chanterai jamais plus ». Ainsi commencent les mémoires de Barbara, entamées au printemps avant sa mort. Son état de santé s’est considérablement détérioré et la “femme qui chante” ne peut justement plus chanter.
Pour autant la voix de Barbara ne s’éteint pas et, désormais, elle écrit. Pour « continuer le dialogue ». Raconter, encore et encore. C’est donc sous la plume qu’elle révèle ses secrets, les épisodes les plus sombres de son existence tels que l’antisémitisme et l’inceste.
Reste aussi la voix parlée de la chanteuse. Élégante et maniérée, devant les caméras des journalistes comme en répétition, Barbara prend des accents de duchesse dont elle n’a pourtant pas les origines.
D’autres fois, elle s'exprime avec une forme de gouaille, dans une totale spontanéité. Serge Hureau se rappelle par exemple ce concert organisé pour le Sidaction et durant lequel elle lance des préservatifs au public, scandant sans aucune timidité : « Allez mes p’tits gars, vous allez me les mettre maintenant ! »
Car depuis les années 1980, la chanteuse veut se faire entendre d’une autre manière, en soutenant associations et causes humanitaires. Barbara, c’est donc une voix de « femme qui chante », comme elle aimait à se définir, mais aussi une voix qui raconte et dénonce. Peut-être est-ce cette dénonciation (si actuelle) qui résonne encore aujourd’hui et qui touche toutes les générations, même celles qui ne l’ont pas connue. En 2015, dix-huit ans après sa mort, Barbara, (d’après un sondage BVA-Doméo-Presse régionale), était encore la deuxième chanteuse préférée des Français.
Pour en savoir plus :
- Etonnez-moi Benoît : Barbara avec Roland Romanelli, son accompagnateur et; Bernard Serf "gardien de sa mémoire"
- 42e rue : Barbara et la comédie musicale
Références