Exil intérieur
Chostakovitch ne se remettra pas d’un tel lynchage, une menace qui pèsera lourd sur lui-même mais aussi sur ses proches. Désormais exclu de l’Union des compositeurs, brisé dans son élan créateur, espionné par le Kremlin, livré à l’opprobre publique, il ne renoncera pourtant pas à son art, prisonnier d’un interminable exil intérieur. «Même s’ils me coupent les deux mains, je continuerai à écrire de la musique, la plume entre les dents» dira-t-il à un ami.
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Son calvaire, Barnes l’évoque en une série de gros plans: sa traversée de la guerre, ses ruses pour contourner la censure, ses moments d’humiliation lorsqu’il sera contraint de se compromettre en faisant son autocritique et en signant «une lettre contre Soljenitsyne, alors qu’il adorait ses livres».
Avancer masqué
Histoire d’une dramatique dégradation spirituelle, ce roman dénonce au passage toute l’infamie du régime soviétique, les purges, les dénonciations, les procès truqués et autres persécutions. Reste l’obstination d’un créateur qui ne cessera de s’avancer masqué pour composer une œuvre visionnaire, par-delà le fracas du temps et le chaos de l’histoire.
Julian Barnes, «Le fracas du temps», traduit de l’anglais par Jean-Paul Aoustin, Folio, 255 p.