Exposition : la peinture balte illumine Orsay
L’exposition «Âmes sauvages» au Musée d’Orsay à Paris révèle ces peintres européens aussi inconnus qu’extraordinaires. Du jamais-vu.
Michael Baryshnikov a traversé l'océan rien que pour voir cette exposition. Le plus grand danseur du monde, installé à New York, n'est pas russe d'origine, comme on le croit, mais Letton, et pour lui, « Âmes sauvages », la première présentation des peintres baltes – issus de Lettonie, Lituanie et Estonie — en Europe, est un événement.
Cela en est devenu un pour nous aussi, tout au long d'un voyage extraordinaire dans la peinture et des paysages empreints de féeries, mythes et légendes de l'Est de l'Europe, au bord de la mer Baltique.
Il y a des blancs ou plutôt des couleurs étincelantes dans l'histoire de l'art. Le beau des Baltes foudroie comme l'impressionnisme ou le symbolisme, dans la seconde partie du XIXe siècle et au début du XXe, quand naît une conscience nationale balte, par opposition à la Russie.
L'URSS communiste les avalera tout cru : Barychnikov, 70 ans, qui a fui le Bolchoï en pleine gloire pour demander l'asile politique au Canada lors d'une tournée, sait que cette chorégraphie des couleurs au musée d'Orsay est plus qu'une exposition. Une proclamation d'indépendance.
Du «Avatar» avec un siècle d'avance
Beaucoup de tableaux irradient de la fulgurance d'une séquence de rêve, comme ce bébé au sommet d'une montagne, face à une fleur. Un oiseau de proie tourne autour de lui dans un décor paradisiaque : mais l'oiseau protège-t-il l'enfant ou va-t-il l'attaquer ?
On reste hypnotisé aussi par « L'optimiste et le pessimiste » : au fond lequel était serein, et qui dégageait réellement de l'angoisse ? Faire le point, le flou ou le fou.
Foisonnement sidérant : certaines peintures évoquent des scènes d'« Avatar » de James Cameron avec un siècle d'avance. On dirait des croquis préparatoires. Les Baltes témoignent d'une liberté sans limite.
D'autres toiles, plus classiques, mais intenses, fixent paysages, portraits, nus aussi, en faisant vibrer la lumière, comme des lucioles d'une salle à l'autre. Cette « Jeune paysanne » peinte par le Letton Johann Walter en 1904 nous fixe dans les yeux. Le ciel, en aplats rectangulaires, annonce Mark Rothko.
Pourquoi « Âmes sauvages », le titre de l'expo ? Peut-être la définition du plus beau tableau, une adolescente romantique et énigmatique peinte en 1909 par l'Estonien Konrad Mägi.
Nous n'avions jamais entendu ce nom. Il tient face aux plus grands. L'artiste a théorisé cette « voix de l'âme : pour elle, la vie est un rêve profond où se devinent péniblement des liens d'une autre nature, des abîmes étrangers et inaccessibles à notre misérable intelligence ».
On dirait du Victor Hugo faisant tourner les tables. Voilà pour l'âme. Quant à la sauvagerie, la voilà décrite par le peintre letton Peteris Krastins : « Si seulement j'avais des ailes pour partir vers les forêts noires comme la nuit »…
L'appel de la forêt, du large, de l'absolu. On pense à Zorn le Scandinave, de l'autre côté de la Baltique, révélation du Petit Palais il y a un an et demi. La peinture, même du passé, n'a décidément pas tout dit.
Des géants dorment dans des musées que nous ignorons, comme ces chefs-d'œuvre venus de Riga. Ils nous réveillent à Paris pour un mois encore. Ce jeudi soir, c'est la nocturne : entre chien et loup, l'heure des Baltes.
« Âmes sauvages », Musée d'Orsay (Paris VIIe), 9h30-18 heures (21h45 le jeudi), fermé mardi, 9-12€. Gratuit le 21 juin au soir pour les 18-30 ans, avec des concerts. Jusqu'au 15 juillet.