Waël et un de ses amis, décédé pendant le naufrage du 2 juin. Crédit : InfoMigrants
Waël et un de ses amis, décédé pendant le naufrage du 2 juin. Crédit : InfoMigrants

Wael a 24 ans, Mahfouz a 33 ans. Ils étaient à bord de l’embarcation qui a fait naufrage le 3 juin au large des côtes tunisiennes de Sfax, entraînant la mort d'au moins 70 personnes. Les deux hommes ont survécu. InfoMigrants a pu parler à ces deux miraculés, témoins du drame.

Dans la nuit du 2 au 3 juin 2018, au moins 70 personnes sont mortes dans le naufrage d'une embarcation de migrants surchargée, au large des côtes tunisiennes. Les ONG craignent un bilan bien plus lourd - de plus de 100 personnes. Selon les survivants, il y a avait au moins 180 migrants à bord. Leur embarcation a chaviré alors qu'ils cherchaient à traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe. InfoMigrants a pu recueillir les témoignages de deux survivants, deux Tunisiens, Waël et Mafhouz.

Témoignage de Waël :

"C’était ma quatrième tentative. Les trois premières avaient échoué. Ce jour-là, dans la nuit du 2 au 3 juin, j’ai voulu réessayer la traversée de la Méditerranée. Nous sommes montés dans des petits canots qui nous ont emmenés jusqu’à une plus grosse embarcation pour traverser la mer. Il y avait beaucoup de personnes, entre 180 et 200 personnes, nous étions entassés les uns sur les autres. Je ne connaissais que les personnes avec lesquelles j’étais venu. La nuit était très sombre et nous ne savions pas ce qui nous attendait.

Peu à peu, l’eau s'est infiltrée à l’intérieur du bateau. L’embarcation était conçue pour transporter 80 ou 90 personnes au maximum. Alors nous avons commencé à paniquer, nous avons demandé à la personne qui dirigeait le bateau de retourner vers la côte tunisienne. Il nous a répondu qu’il ne pouvait pas, que le passeur lui avait donné l’ordre de ne pas revenir, quelles que soient les circonstances.

L’embarcation a fini par couler. Ce fut extrêmement dur. Chacun essayait de survivre. Les gens criaient et pleuraient. Au bout d’un quart d’heure, beaucoup de gens étaient morts. Seuls ont survécu ceux qui savaient nager.

J’ai perdu beaucoup de mes amis dans ce naufrage [dont l'homme sur la photo, ndlr]. J’ai vu des gens qui se sont sacrifiés pour sauver des femmes et des enfants. Je n’ai remarqué la présence de ces femmes et de ces bébés qu’au moment du drame quand ils se sont noyés… Je suis anéanti. J’aimerais tant que les trafiquants soient dénoncés et jugés. 

Ce drame ne m’empêchera pas de retenter la traversée. Il n’y a pas d’espoir en Tunisie pour moi."

Témoignage de Mafhouz :

"Mon histoire n’est pas différente des autres migrants. Je suis au chômage alors que j’ai un diplôme universitaire et que je maîtrise quatre langues. Depuis 2011, la situation économique s’est complètement dégradée en Tunisie.

En ce qui concerne le naufrage, j’aimerais parler des visages que je n’oublierai jamais. J’ai entendu beaucoup d’histoires pendant la traversée. J’ai vu tant de rêves s’évaporer en quelques secondes. Je me souviens notamment de Serge, un Ivoirien. Il rêvait d’aller en Italie pour devenir footballeur. Il voulait rejoindre le Milan AC.

Serge s’est noyé cette nuit-là. Il s’est noyé en portant le maillot de son équipe préférée. Son visage ne quittera jamais ma mémoire.

Je me souviendrai aussi des rescapés : je sais qu'il y a un jeune Marocain qui a survécu. Il était amoureux d’une Française. Il a payé 3 900 euros au passeur pour aller la retrouver en Europe. Je me souviens aussi d’un Libyen. Il avait embarqué à cause de ses opinions politiques. Il disait qu’il avait reçu des menaces de mort."

Je me rappelle aussi d’une femme enceinte et d’étudiants tunisiens diplômés. Eux aussi ont survécu.

Tant qu'il n’y aura pas d’avenir en Tunisie, il y aura des traversées. Je ne supporte plus que la classe politique ne serve que ses propres intérêts. J’ai tellement de rancœur. J’en veux à tous ces politiques qui nous appauvrissent et nous forcent à prendre des risques inconsidérés pour fuir le pays."

 

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