LETTRE DE JOHANNESBURG
Sous l’énorme toit de béton du palais des expositions de Durban, il n’y avait plus un siège libre en ce jour de fin février. Ambiance fiévreuse, ambiance militante, on parlait de changer le monde, celui des affaires comme celui des inégalités raciales, lors de cette première conférence consacrée à la « transformation économique radicale » de l’Afrique du Sud.
Plusieurs centaines de personnes avaient fait le déplacement, c’était bien plus que ne l’espérait la Fédération pour la transformation économique radicale (FFRET), organisateur de la conférence conçue pour donner à entendre témoignages et réflexion sur la meilleure façon de changer, vingt ans après l’avènement de la démocratie, l’économie encore très blanche de l’Afrique du Sud.
Le FFRET est une organisation inclassable qui regroupe des « business forum », c’est-à-dire des organisations militant pour ouvrir l’accès aux Noirs aux pans fermés d’une économie où règnent des monopoles cachés, grande spécialité sud-africaine et héritage lointain de l’époque de l’apartheid. Mais le FFRET est aussi un groupe de pression dévoué à l’ex-président, Jacob Zuma.
Un concept fourre-tout
Contraint de quitter le pouvoir à la mi-février, juste avant la conférence, il avait désigné, précisément, la « transformation radicale de l’économie » comme l’une des urgences nationales, sans en définir les termes avec toute la clarté voulue. Au moins, côté politique, les loyautés sont limpides : quand Jacob Zuma a comparu vendredi 8 juin devant un tribunal de Durban dans une affaire de corruption, le FFRET était là, en soutien, au « père de la transformation économique radicale ».
Ce concept, au fond, a l’avantage d’être un peu fourre-tout. Les intellectuels y voient la matrice de l’indispensable redistribution de l’accès aux richesses, dans une société encore férocement racialisée, menaçant à terme d’exploser à force d’inégalités. Les acteurs politiques pro-Zuma y trouvent un levier pour s’attaquer à l’actuel président, Cyril Ramaphosa, tombeur de leur héros, et accusé d’être tiède sur le sujet (on le traite de « pseudo-révolutionnaire). D’autres y distinguent plus simplement une aubaine pour toucher au pactole des marchés publics.
On balance là entre justice raciale et profit personnel, et il s’agit moins d’un paradoxe ou d’un simple dévoiement que du reflet de l’état pendulaire d’un pays plein de contradictions, à la fois figé et traversé par des forces de transformation.
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