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Contre Trump, l’Union fait la force

Angela Merkel a enfin acté qu’il fallait plus de solidarité dans la zone euro pour garder dans son giron les pays tentés par le populisme et éviter la désintégration de l’UE.
par Jean Quatremer, Correspondant à Bruxelles
publié le 10 juin 2018 à 20h16

Et si Donald Trump était une chance pour l’UE ? Confrontés au président américain, les Européens ont d’abord fait le pari que la raison finirait par l’emporter, une fois que le nouveau locataire de la Maison Blanche aurait pris ses marques et que les contre-pouvoirs prévus par la Constitution américaine auraient commencé à jouer. Si sur le plan intérieur cela a partiellement fonctionné, en matière internationale, ce n’est pas ce qui s’est passé. Non seulement parce que le président des Etats-Unis dispose de larges pouvoirs dans ce domaine, mais aussi parce qu’il peut, par simple refus de jouer le jeu diplomatique, mettre le feu à la planète, comme le G7 en a fourni la démonstration. Les Européens ont la certitude qu’ils ne sont plus considérés par Washington comme des alliés naturels, mais comme des ennemis potentiels, ce qui bouleverse l’ordre international hérité de la Seconde Guerre mondiale.

Rétorsion. Il serait inexact de croire que l'unilatéralisme américain est une novation. Jusqu'à la mise en place de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995, il était même la règle et il le reste encore en partie, comme l'ont montré les sanctions qui ont frappé les banques européennes qui ont osé utiliser le dollar pour commercer avec des pays placés sous embargo par les Etats-Unis, comme l'Iran. La différence, aujourd'hui, est le refus assumé de Trump de jouer le jeu du multilatéralisme, au point de remettre en question l'existence de l'OMC : ce n'est pas un hasard si la Maison Blanche n'a pas encore désigné ses juges au sein de l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC. Ce qui est nouveau aussi, c'est l'extrême brutalité de Trump qui clame via Twitter ses oukases, refuse toute négociation et est incapable de tenir parole, mais aussi d'une mauvaise foi sidérante.

Face à cette brutalité, la Commission n’a eu d’autre choix que de taper du poing sur la table au lendemain de l’imposition de droits de douane sur l’acier et l’aluminium européens en attaquant les Etats-Unis devant l’OMC. Mieux, des mesures de rétorsion sur près de 3 milliards d’euros d’importations américaines devraient entrer en vigueur début juillet. Profitant du retour de l’isolationnisme américain, l’UE a occupé l’espace laissé libre : elle a signé un accord commercial avec le Japon et, à terme, l’Australie ou encore la Nouvelle-Zélande. Elle s’apprête aussi à conclure le Mercosur avec le Mexique. L’UE compte profiter de la stupidité de l’administration Trump : ainsi le Mexique va annoncer un quota d’importation de porc de 350 000 tonnes pour pallier le retrait américain. La prochaine étape de la guerre déclenchée par Trump contre ses (ex ?) alliés pourrait avoir lieu lors du sommet de l’Otan à Bruxelles en juillet. Si les Européens restent attachés au parapluie américain, faute d’avoir les moyens à brève échéance de faire face seuls aux dangers qui les menacent, ils savent qu’il est en train de se replier : Trump a qualifié, lors de sa prise de fonction, d’obsolète l’Organisation atlantique et il n’a pas l’intention de continuer à payer pour la défense des Européens. Mais là aussi, ces derniers vont avoir du mal à tourner une page de soixante-dix ans : iront-ils jusqu’à acheter du matériel militaire européen pour envoyer un signal ? On peut en douter.

Silence. Si l'UE a su pour l'instant se montrer unie face aux menaces extérieures (Trump et Brexit), elle est gagnée par la fièvre «populiste», comme en Italie, ce qui porte en germe le risque de désintégration. C'est pour éviter cette catastrophe que l'Allemagne, qui a besoin de l'UE pour résister à Trump, puisqu'elle sera la première touchée par la guerre commerciale qui s'annonce, et plus généralement pour assurer sa sécurité, a enfin commencé à bouger sur l'approfondissement de l'Union. Après des mois de silence, Angela Merkel et son ministre social-démocrate des Finances, Olaf Scholz, ont reconnu la nécessité d'instaurer un minimum de solidarité financière au sein de la zone euro, comme le réclame Emmanuel Macron, seul moyen de garder à bord les Italiens et les autres pays du Sud. Et de les détourner des tentations europhobes. Un beau retournement dialectique : les populistes au secours de l'Europe…

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