Religieuses sexuellement agressées : «Les prédateurs ont la part belle»

La parole reste discrète parmi les religieuses agressées sexuellement par des prêtres. Pierre Vignon, prêtre du diocèse de Valence, reçoit les témoignages de ces femmes.

 Pierre Vignon est prêtre du diocèse de Valence et juge à l’officialité (tribunal ecclésiastique) de Lyon.
Pierre Vignon est prêtre du diocèse de Valence et juge à l’officialité (tribunal ecclésiastique) de Lyon. DR

    Pour le président de l'association La parole libérée, ce pourrait potentiellement être un « énorme scandale ». Si la parole s'est libérée chez les enfants victimes d'abus sexuels de la part de prêtres, elle reste très discrète chez les religieuses. Le père Pierre Vignon, 64 ans, prêtre du diocèse de Valence, est également juge à l'officialité (tribunal ecclésiastique) de Lyon (Rhône). C'est à ce titre que des victimes d'abus sexuels s'adressent à lui.

    Pourquoi est-il si difficile pour une sœur de briser la loi du silence quand elle a été agressée sexuellement par un homme d'Église ?

    PIERRE VIGNON. La loi du milieu fait qu'on ne désire pas entendre ce genre de révélation. Imaginez quelqu'un qui s'est donné à Dieu dans la virginité consacrée. Elle a quitté le monde pour ne plus baigner dans l'ambiance habituelle et elle la retrouve dans son monastère. Il y a de quoi faire une période de déni. Mais la vraie raison est plus profonde. Un pervers prédateur procède en trois étapes : la fascination ; l'occupation progressive du terrain en repoussant toujours plus loin les limites ; et la reprogrammation. Quand la victime est reprogrammée, elle est prise au piège très subtil que le prédateur a mis en place pour l'enfermer dans sa propre culpabilité retournée contre elle.

    Comment alors en sortir ?

    Il faut avoir une forte personnalité pour réussir à déprogrammer un tel emprisonnement interne et oser dénoncer publiquement votre prédateur. Ajoutez à cela que celui-ci ne s'en prend en général qu'aux personnes fragiles. Les autres consœurs n'arriveront pas à croire ce qu'on dit du brillant prédicateur ou confesseur qui visite la communauté.

    Avez-vous l'impression que cette parole se libère ou est-ce encore un tabou ?

    J'ai heureusement l'impression qu'elle commence à se libérer. Mais on n'en est qu'au début. Les prédateurs ont la part belle parce que les victimes se laissent piéger par eux. Si une religieuse arrive à comprendre que ce n'est pas elle la fautive et la coupable, mais le religieux pervers qui a abusé de la situation, elle sera plus courageuse pour dénoncer. Les bourreaux auront la vie beaucoup plus difficile si les victimes non seulement parlent, mais s'unissent entre elles pour se défendre.

    Ces drames sont-ils suffisamment pris en compte dans l'Église de France ?

    Hélas, non ! Pour un documentaire en préparation sur ce sujet, les évêques que je croyais courageux pour en parler se sont tous défilés avec un art ecclésiastique consommé : Je ne peux rien dire car je ne sais rien à ce sujet. Quand on sait que le déni et le démenti sont la tentation principale de tout dirigeant, on peut dire que la situation n'est pas encore prise en compte dans l'Église de France.

    Comment un homme d'Église peut-il en arriver à agresser sexuellement une religieuse ?

    C'est qu'on a affaire à un pervers sexuel, ce qui est toujours difficile à admettre dans un tel milieu où on s'ingénie à ne pas penser mal des autres. L'expérience montre pourtant que les prédateurs sont prêts à toutes les ruses pour s'approcher de leurs proies, surtout si les religieuses, au lieu d'avoir développé une riche personnalité adulte, ont été formées de façon infantile par des supérieures dominantes.

    Que faire pour éviter ces drames ?

    Il faut parler. Et pour cela, il faut sortir d'un défaut courant dans les ambiances religieuses. Il existe parfois un infantilisme psychologique qui consiste à ne pas nommer le mal par son nom. On confond en général le mal et l'idée du mal. Je m'explique : des parents doivent avertir une jeune fille préadolescente, et même avant, des dangers qu'elle court. Si elle a été avertie, elle saura reconnaître le mal quand il se présentera et elle saura se défendre. Si on ne parle jamais de « ces choses-là », la jeune fille est démunie et peut tout à fait devenir victime, livrée pieds et poings liés par la bêtise des siens. Il en est de même dans la vie religieuse. Une supérieure et des sœurs intelligentes prieront le prédateur de se tenir à carreau et elles le dénonceront allègrement s'il tente de franchir les limites.