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    11/06/2018

    Pour canaliser les détenus, l'administration aurait fermé les yeux

    Mon codétenu prône le djihad

    Par Theo Englebert

    Billal a rencontré le Gang de Roubaix en prison. Mehdi a lui côtoyé Fabien Clain, « la voix de l’Etat islamique ». Plusieurs ex-détenus racontent comment une idéologie radicale s’est installée en prison avec la complaisance de l’administration.

    Ce mardi de septembre 2001 reste gravé dans la mémoire de Billal (1). Il est à l’époque incarcéré à la maison d’arrêt de Laon (02). « Je revenais d’un parloir », se souvient l’ex-détenu :

    « Je suis dans un couloir et je vois tous les mecs sur le terrain de foot en train de crier “Allaou Akbar !” avec les mains en l’air. Dans les étages, tout le monde crie aussi. En arrivant dans ma cellule, j’allume la télé et je découvre le 11 Septembre. »

    La prison est en liesse :

    « Quand je te dis que tout le monde crie, c’est toute la détention : blancs, noirs, Arabes, Gitans, Afghans, Roms, même des Kurdes. Tout le monde était content. C’est l’expression d’une sorte de revanche. C’est assez bizarre, mais c’est la réalité. Tout ça, on le sentait venir, ça traînait… »

    Billal a passé au total près de douze ans en cabane entre 1996 et 2017. Il est témoin de l’influence grandissante des radicalisés sur les prisons :

    « Mes copains de détention c’est le Gang de Roubaix tu vois. J’ai des potes qui sont partis en Bosnie, des potes qui sont partis au combat, d’autres qui sont partis en Égypte pour étudier. »

    Il tient à préciser : « Je veux donner un témoignage. Ce n’est ni un parti pris contre l’État et l’administration ni un dénigrement des gens que j’ai croisé en prison. Je veux restituer “une” vérité ».

    Mehdi (1), un délinquant multirécidiviste de petite envergure a passé plusieurs années à Fleury-Mérogis. En prison, il fait la connaissance de Fabien Clain qui revendiquera quelques années plus tard les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015, au nom de l’État islamique. Kamel Daoudi, quant à lui, est arrêté deux semaines après les attentats du 11 septembre 2001 et condamné pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Il est encore aujourd’hui assigné à résidence. Au fil des décennies, les trois hommes ont côtoyé plusieurs vagues de détenus djihadistes et de prêcheurs radicaux qui semblent avoir prospéré sous l’œil complaisant de l’administration. Et les conséquences sont terribles : la moitié des 22 terroristes qui ont commis un attentat sur le sol français depuis janvier 2015 sont passés par la case prison.

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    L'ancienne prison de Loos. / Crédits : Theo Englebert

    Les premiers djihadistes français

    Après plusieurs mois de conversations téléphoniques, Billal nous attend sur le quai de la gare de Lille-Flandre, un dimanche après-midi de mai. Sa dernière peine de prison ferme s’est conclue un an plus tôt. Lunette de soleil et vêtements de sport, l’homme entre dans la quarantaine avec un physique toujours affûté. Il nous montre le chapeau militaire sombre sur sa tête :

    « Un souvenir de la Bosnie. On m’en a tellement parlé en prison qu’un jour j’ai voulu aller visiter ».

    Billal n’a que 18 ans en 1996 lorsqu’il tombe pour la première fois, condamné à dix mois de prison ferme pour trafic de stup’. Sur le chemin qui le conduit à la maison d’arrêt de Douai, le jeune homme a peur. Dans les coursives, l’atmosphère est froide. Proche de la Cour d’assise, l’établissement accueille des meurtriers et le grand banditisme local. Bilal partage sa cellule avec Charles (1), un Ivoirien condamné pour escroquerie. L’homme le prend sous son aile. Dans les années 90, les prisons du Nord obéissent aux règles du milieu et les braqueurs demeurent les tauliers :

    « Il y avait encore une mentalité [sorte de code d’honneur des voyous, ndlr]. Le lendemain, j’ai reçu un petit colis de la part de tous les mecs de l’étage, avec de quoi tenir les deux premières semaines. »

    Les premiers mois d’incarcération de Billal coïncident avec la fin du Gang de Roubaix. Formé autour d’une poignée de Français passés par les milices terroristes de Bosnie proches de l’organisation Al-Qaïda naissante, le groupe mènera une série de braquages ultra-violents dans le Nord. Ses membres sont aujourd’hui considérés comme les premiers djihadistes français. Mouloud Boughelane et certains membres plus jeunes de l’équipe sont emprisonnés à Douai. « À l’époque ils sont super respectés pour leur détermination, leur engagement total et parce qu’ils sont sur de l’armement lourd : lance-roquette, kalachnikov… Il y a ce côté guerre contre la police. À l’époque chez les gros délinquants, on est anti-police ! », se souvient Billal. Malgré leur réputation, les membres du Gang de Roubaix se tiennent à l’écart des autres détenus :

    « C’est un groupe constitué avec un objectif, ils ne sont pas à la recherche de nouveaux soldats.  »

    Imams radicaux et cassettes de Tariq Ramadan

    Les membres du Gang de Roubaix se gardent de tout prosélytisme. Mais d’autres se chargent de faire entrer dans les prisons une idéologie orthodoxe et politique de l’islam. « Les directeurs étaient bien contents quand un imam entrait dans une détention : il canalisait les détenus. Alors ils laissaient tous les mecs de l’UOIF [Union des organisations islamiques de France] prêcher. » À l’époque, l’organisation est très proche des Frères musulmans et prône une pratique rigoriste de l’Islam sans pour autant prôner le djihad armé (aujourd’hui rebaptisée Musulmans de France, la structure rassemble des courants très divers). C’est en prison que Billal découvre la religion. Il commence à prier et à lire assidûment. « Tous les livres qu’on avait venaient d’Arabie Saoudite ou d’Égypte, donc déjà dans une certaine doctrine, une vision wahhabite de l’islam », détaille l’ex-détenu qui poursuit :

    « Ils ont été malins. Bien avant internet, ils distribuaient gratuitement des cassettes. Les explications du Coran avec la voix de Tariq Ramadan, c’était un best-seller en prison.  »

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    Le Coran qu'on a donné à Billal en prison. / Crédits : Theo Englebert

    Des cassettes de prêche circulent clandestinement. Dont « les fameux nashids » – des chants religieux. « Mais au début, en 1996, la tendance c’est surtout des prêches d’imams algériens du GIA [Groupe islamique armé] et du FIS [Front islamique du salut] », se remémore-t-il.

    L’administration pénitentiaire a fermé les yeux

    Selon Billal, pour acheter une forme de paix sociale, l’administration pénitentiaire aurait montré une certaine complaisance vis-à-vis des courants fondamentalistes et ultraconservateurs :

    « Un islamiste en prison, c’est un mec qui fume pas, qui ne boit pas, qui ne va pas violer des gens, il ne va pas faire entrer du shit, il ne va pas faire l’amour au parloir… Il ne fait rien de ce qui fait chier un surveillant. Il est très facile à contrôler », résume Billal. « Il est devenu difficile à gérer à partir du moment où il a fallu contrôler ce qui sort de sa bouche. »

    Billal est aux premières loges. Il assiste au manège des prêcheurs « toujours discrets et humbles », insiste-t-il et en dresse le portrait :

    «  Quand le mec arrive, il a un certain comportement : il ne prend pas la tête, il est toujours disponible, il est serviable et il connaît la religion. »

    Les salafistes se contentent d’incarner l’exemple aux yeux du jeune converti et de ses compagnons. « Deux ou trois personnes autour de lui commencent à être sensibles, elles le saluent et veulent apprendre la prière. Il les forme », raconte Billal. À court-terme, l’effet est bénéfique pour le personnel pénitentiaire :

    « En général, il y a cinq ou six mecs autour [d’un leader]. Eh ben, ces cinq ou six mecs deviennent moins chauds, polis, propres et ils se comportent différemment. Mais arrive un moment où, en promenade, ils sont quinze dans un coin et ils ne parlent que de religion. »

    Lors de sa dernière peine, Mehdi est incarcéré à Fleury-Merogis. Son passé pénitentiaire, ressemble à beaucoup d’autres. Adolescent, il sombre dans la petite délinquance, multiplie les séjours en prison et les « sorties sèches », c’est-à-dire sans suivi ni réinsertion. À Fleury, il rencontre Fabien Clain. Le Toulousain est détenu pour avoir organisé une filière djihadiste destinée à envoyer des combattants en Irak. Quelques années plus tard, il fera les gros titres de la presse. Il est identifié comme la voix qui a revendiqué, au nom de l’État islamique, les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015. Quand Mehdi raconte Clain, on retrouve le portrait dressé par Billal. Celui d’un détenu modèle, pieux et érudit.

    « Je le rencontre en promenade. En fait, je suis à une ou deux cellules de lui donc on est dans la même cour. » Quand Mehdi arrive à Fleury-Merogis, Fabien Clain vient de réintégrer la détention classique après un an sous le régime DPS (Détenu particulièrement signalé). « Il ne faisait jamais de vague, jamais. Il essayait de montrer qu’il avait un grand savoir, qu’effectivement il pouvait le faire partager, à qui bon le voulait. » Progressivement des liens se tissent. « On était un petit groupe plus ou moins religieux. On faisait du sport. Il venait souvent nous parler. On a eu des discussions sur la bonne pratique. » Clain conseille aux détenus de prier avec lui, ce qu’ils font jusqu’à ce que les prières soient interdites dans les cours de promenade. Cela n’empêche pas l’homme de continuer à jouer son rôle de guide spirituel :

    « Il faisait des appels à la prière pour nous indiquer l’heure, des trucs basiques comme ça. »

    Le 11 Septembre change la donne

    Billal est libéré en 1997. Il replonge immédiatement : il fait un voyage en Hollande le jour même. Il devient, d’après ses propres termes, un « précurseur en matière d’importation d’herbe ». L’homme est arrêté et condamné à trente mois de prison fermes :

    « Ma deuxième peine, c’était à Loos. J’étais à l’école du crime. Quand je ressors de là-bas, je retrouve mes potes, on s’est tous rencontrés dans la même cour de promenade et on va au braquo [braquage]. Après une saison de six mois, on se fait péter [arrêter] en décembre 2000.  »

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    Billa devant un commissariat de Lille. Le Gang de Roubaix y a loupé un attentat. / Crédits : Theo Englebert

    Lorsqu’il retourne derrière les barreaux, Billal est fiché au grand banditisme et placé sous le régime DPS. Il commence un long tour des établissements pénitentiaires du Nord et d’Île-de-France. « Dans les années 2000, il y a un nouveau paradigme qui rend les islamistes radicaux plus visibles en prison », explique Kamel Daoudi, ancien détenu accusé d’avoir entretenu des liens avec Al-Qaïda. Les attentats du 11 septembre 2001 agissent comme un catalyseur sur la population carcérale. Billal fait le même constat :

    « Je voyais des barbus partout. Il y a des mecs qui jusque-là ne savaient pas comment exprimer leur mécontentement. Ils prennent parti. Il y a une forme d’effet de mode on va dire. »

    « Le choix de la violence »

    Au cours des quatre années qui précèdent son procès pour différents braquages commis en 2000, Billal ne songe qu’à échapper à son sort. À l’extérieur, il s’est marié et au moment de son arrestation sa femme attend un enfant. Le jeune détenu va patiemment éprouver les systèmes de sécurité de chaque forteresse qu’il visite. En 2004, il est condamné à neuf ans de prison ferme. Il s’évade.

    Après ses quelques mois de cavale, Billal est repris. Direction la toute nouvelle maison d’arrêt de Lille-Sequedin où il est placé à l’isolement. « C’est l’enfer. » Pendant six mois, son univers se résume à un petit couloir de six cellules et une minuscule cour de 20 m² en forme de camembert. Les six détenus isolés parviennent à se parler par les fenêtres. Dans une geôle voisine de la sienne se trouve Lionel Dumont. L’islamiste, ancien milicien bosniaque et numéro deux du Gang de Roubaix, vient d’être extradé vers la France après son arrestation à Munich.

    Billal se lie d’amitié avec celui qu’il décrit encore aujourd’hui comme « un mec bien en gros ». Le djihadiste lui relate sa cavale et la guerre en Bosnie. « Je le vois comme un idéaliste et surtout un mec sérieux avec une connaissance de la religion, du monde, de la politique », raconte Billal :

    « Il me séduit, j’aime son approche, j’aime bien ce qu’il dit. Je comprends ce qu’il a fait et comment il en est arrivé là. L’offre me semble idéologiquement solide. C’est un projet, une façon de voir. Après il y a l’arbitrage sur l’utilisation de la violence ou pas. J’avais le choix. »

    Billal est séduit par le djihadisme. Il va cependant s’en détourner. « C’est à ce moment-là que je me dis que je vais utiliser d’autres armes. Je voulais défendre ma génération par les mots. » À l’isolement, il écrit plusieurs nouvelles ainsi que sa propre histoire. Billal reste lucide. Sans les liens étroits qui le rattachent à sa famille, sa décision aurait sans doute été différente.

    État islamique : le choc des générations

    En 2008, Billal sort de prison avec la ferme intention de ne pas y retourner. « J’étais convaincu depuis longtemps que ça ne valait plus le coup et je préparais ma sortie. J’ai vu reculer les valeurs du banditisme. » En 2015, il retourne cependant à Fresnes pour un bref séjour et n’en croit pas ses yeux. « C’est pourri, pourri, pourri… », martèle-t-il :

    « Je suis en D1, juste en face de l’étage des radicalisés. C’était le début de l’expérimentation des quartiers étanches. Mais en fait, ces quartiers ne sont absolument pas étanches. Les mecs, je les voyais partout : à la douche, en salle d’attente… »

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    Billal devant la prison de Loos. / Crédits : Theo Englebert

    Billal y rencontre de jeunes hommes très différents des islamistes qu’il a pu lui-même côtoyer. La première génération de prêcheurs djihadistes « c’est la vague des étudiants de Ben Laden ou de ses disciples, les anciens d’Afghanistan. Toute cette génération des années 90 a eu une formation politique, idéologique et théologique ». Rien à voir avec cette « nouvelle vague ». « C’est des gosses qui récitent ce qu’ils ont entendu sur internet », résume-t-il. « Certains d’entre eux sont des revenants ou des partants pour la Syrie. Je suis atterré par le niveau de leurs échanges. » Kamel Daoudi qui a assisté quelques années plus tôt aux prémices du phénomène fait un constat similaire :

    « À la fin de mon incarcération, j’ai vu arriver les premiers revenants. On était passé de gens plutôt érudits, à des gens qui ont une connaissance assez floue et incomplète de la religion ».

    Les plus dangereux passeraient sous les radars

    Les individus les plus dangereux ne seraient pas forcément concernés par les mesures d’isolement aux yeux de Billal :

    « Le climat qu’on a instauré est favorable à la discrétion maximale. On parle de la fameuse taqyia [dissimulation], mais tout le monde est ultra discret en détention. La radicalisation en prison est beaucoup plus importante que ce qu’ils disent. »

    Billal insiste :

    « C’est des gens discrets qui ne demandent qu’à passer à travers les mailles du filet. »

    Billal, Mehdi et Kamel semblent avoir fait leur choix. Tous ont trouvé à l’extérieur une raison de se détourner de la violence. Aujourd’hui ils sont libres, mais durement marqués par leur expérience de la prison. La situation inquiète Billal :

    « Il y a toute une génération qui est en train de se préparer pour dans quinze ans. Tous les mecs qui se sont fait buter ces dernières années, ils ont des petits frères et leurs petits frères ont des amis. »

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

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