Les sœurs Goadec : quand le répertoire traditionnel rencontre la nouvelle vague celtique

Au début des années 1970, la musique bretonne prend d’assaut la scène musicale parisienne. C’est tout d’abord le mythique concert d’Alan Stivell à L’Oympia du 28 février 1972 – retransmis en direct sur Europe 1 – qui constitue l’acte fondateur du revival breton tourné vers les influences celtiques et des sons folk. Mais ce sont aussi, les concerts à Bobino des sœurs Goadec l’année suivante. Les trois sœurs étant les représentantes d’un répertoire musical plus traditionnel : le kan ha diskan (traduction littérale : « chant et déchant »).

Les sœurs Goadec, sans lieu ni date. Collection particulière.

Maryvonne (1900-1983), Eugénie (1909-2003) et Anastasie Goadec (1913-1998) naissent à  Treffrin, commune rurale du centre-ouest des Côtes-du-Nord. Elles vivent leur enfance au rythme du café-épicerie tenu par les parents. C’est là que les 13 enfants de la fratrie s’initient aux chants traditionnels :  gwerz, kan ha diskan. L’aînée Maryvonne raconte :

« le samedi soir, les jeunes arrivaient. Qui va chanter une danse ?, disaient-ils. Je me défendais et montais au haut de l'escalier. Les garçons insistaient ; alors je chantais. »1

Chanteuse occasionnelle, Maryvonne Goadec ne fait pas « carrière » dans la première moitié du siècle. Il faut attendre 1958, en pleine période de renouveau des festoù noz, pour qu’elle monte sur scène en compagnie de deux de ses sœurs, Ernestine et Louise, à Châteauneuf-du-Faou. Par la suite, semaines après semaine, elles écument les scènes du Centre-Bretagne, où elles croisent parfois un autre groupe familial, les frères Morvan, originaires  de Saint-Nicodème (22). La popularité des sœurs Goadec se renforce dans les années 1960, malgré le décès d’Ernestine et Louise  en 1964. Le trio, désormais, se spécialise dans le kan ha diskan. Cette technique de chant était très présente dans la société rurale traditionnelle de Haute-Cornouaille notamment. Elle rythmait les travaux des champs. Avec les festoù noz à la mode nouvelle, le kan ha diskan évolue vers du chant à danser porté par un duo ou un trio de chanteurs.

Malgré cette adaptation, les sœurs Goadec incarnent alors l’authenticité du répertoire traditionnel. C’est l’époque où l’association Dastum lance de nouvelles opérations de collectes de la  mémoire orale en langue bretonne. Elles sont également une  source d’inspiration pour la jeune  génération montante, Alan Stivell en tête, qui partage leur scène à plusieurs reprises. Au début des  années 1970, alors que la diaspora bretonne à Paris se dilue peu à peu, les artistes bretons se produisent sur les grandes  scènes  parisiennes. En décembre 1972, alors qu’Alan Stivell électrise L’Olympia, les sœurs Goadec se produisent à La Mutualité en compagnie du Glenmor. Vient le tour de Bobino en 1973, où trois soirs de suite elles montent sur la scène du mythique music-hall de Montparnasse, cœur du quartier breton. Un 33 tour y est enregistré. Dans cette décennie 1970, qui voit la Bretagne industrielle entrer progressivement en crise, les sœurs Goadec participent pleinement à l’affirmation d’une culture bretonne singulière, reconnue par une Charte culturelle en 1977.

Les sœurs Goadec, probablement dans les années 1970. Crédit: TammKreiz.

Le trio s’arrête à la mort  de l’aînée Maryvonne en 1983. Mais la tradition familiale  continue d’être portée par Louise Ebrel, fille d’Eugénie née en 1932. Cette dernière sert désormais la tradition du kan ha diskan sur scène en compagnie de la nouvelle génération musicale bretonne : les  punks des Ramoneurs de menhirs notamment.

Thomas PERRONO

 

 

1 Propos repris de  l’article « Le kan-ha-diskan atypique des sœurs Goadec », Ouest-France, 29 septembre 2013, en ligne.