POLITIQUE - C'est la fin de la première étape de la réforme de la SNCF. Au lendemain du 30e jour de grève, la plus longue de ces 30 dernières années, le Parlement a adopté définitivement ce jeudi 14 juin la loi présentée par le gouvernement et la ministre des Transports Elisabeth Borne. Et pourtant le mouvement lancé par tous les syndicats au mois d'avril ne s'arrête pas. Après la pause qui pourrait intervenir pour le baccalauréat, l'action devrait reprendre au moins jusqu'à la dernière vague prévue les 27 et 28 juin.
Mais elle pourrait se poursuivre au-delà, possiblement durant l'été, voire changer de format. "Les cheminots vont décider en fonction des résultats obtenus, mais pour l'instant, je vous le dis solennellement, on est loin d'une sortie de grève, il faut du concret", a ajouté Philippe Martinez. Le patron de la CGT reproche au gouvernement de "crier victoire" et à la majorité de "jeter de l'huile sur le feu" alors que "les problèmes sont toujours sur le tapis".
Si "tout n'est pas dans la loi", c'est qu'une partie (non négligeable) des dossiers n'est pas d'ordre législatif mais sera réglée par la future convention collective. C'est elle qui régira par exemple les conditions de travail des cheminots une fois qu'il n'y aura plus d'embauche au statut, soit en 2020. Le temps est court pour aboutir et une réunion tripartite est organisée ce vendredi. La ministre reçoit les syndicats mais aussi les responsables des entreprises du secteur, à savoir la SNCF mais aussi ses concurrents.
Match retour
C'est en théorie la dernière fois que le gouvernement se met autour de la table, les partenaires sociaux étant ensuite amenés à négocier seuls. Mais en l'absence d'accord, l'exécutif pourra reprendre la main, comme le prévoit la loi adoptée ce jeudi. En attendant, les syndicats demandent à Elisabeth Borne de présenter un cadre global, le plus protecteur possible alors que pour l'heure, la convention "ressemble à un squelette très décharné", selon Rémi Aufrere-Privel de la CFDT Cheminots.
"On ne va pas refaire la réforme", met en garde la ministre. "Après la défaite sur le statut, cette négociation est en quelque sorte le match retour pour les syndicats", considère cependant Frédéric Brillet, co-auteur avec Julie Pichot du livre SNCF, un scandale peut en cacher un autrepublié ce mercredi aux éditions de l'Observatoire).
Contrairement au match aller, les syndicats, la direction et le gouvernement apparaissent comme des alliés objectifs. Car la convention collective ne s'appliquera pas seulement à la SNCF mais aussi à ceux qui seraient tentés d'entrer sur le marché quand la concurrence sera effective. "La SNCF a tout intérêt à ce que la convention se rapproche le plus possible du statut car pendant plusieurs années, elle gardera dans ses effectifs des personnes qui seront au statut jusqu'à ce qu'ils partent à la retraite", explique-t-il.
Tout est négociable, même les billets gratuits
Dans leur livre, les auteurs rappellent que la SNCF chiffre à 430 millions d'euros par an le coût du statut dans le défaut de compétitivité; il représenterait environ 30% de ce déficit creusé aussi par l'organisation du travail, le refus de la polyvalence et des frais excessifs de structure. "Plus la convention se rapprochera du statut, plus cela dissuadera des entreprises privées, notamment étrangères, de venir car elles devront s'aligner et n'auront pas tout l'avantage concurrentiel qu'elles auraient pu espérer", illustre Frédéric Brillet.
"Tout est négociable", confie un bon connaisseur du dossier, évoquant à la fois les horaires de travail, les nombres de jours de repos et l'organisation de la semaine de travail. La question des billets de train gratuits pourrait également être posée alors qu'elle ne fait pas partie du statut. "Si la convention collective dit que toute la famille de l'employé peut bénéficier de tarifs avantageux, toutes les entreprises devront les offrir à leurs salariés", reprend cette source.
Voilà pourquoi, tout en affirmant qu'elle veut une "convention collective de haut niveau", l'UTP qui représente les entreprises du transport ferroviaire refuse de reprendre toutes les garanties accordées par le statut.
Le gouvernement est lui aussi dans une situation d'équilibriste avec un dilemme résumé par Frédéric Brillet. "Il doit favoriser la concurrence pour inciter la SNCF à se transformer et à innover en s'inspirant des autres opérateurs pour que le rail, moyen de transport écologique, soit plus compétitif et regagne des parts de marché par rapport à la route et à l'aérien. Et en même temps, en tant qu'actionnaire de la SNCF il doit veiller à ce que la future convention collective ne soumette pas la compagnie nationale à un dumping social trop dur car son effondrement creuserait ses pertes."
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