L'incroyable maison aux mille vies de Pierre Loti joue sa survie

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L'incroyable maison aux mille vies de Pierre Loti joue sa survie

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La "mosquée" et la salle Renaissance. Deux pièces majeures de la très surprenante maison de l'écrivain voyageur rochefortais, fermée depuis le 30 septembre 2012
La "mosquée" et la salle Renaissance. Deux pièces majeures de la très surprenante maison de l'écrivain voyageur rochefortais, fermée depuis le 30 septembre 2012
© AFP - Derrick Ceyrac, et Hervé Lenain / Hemis

Fermée pour travaux depuis 2012, la maison de Pierre Loti, à Rochefort, va profiter avec 17 monuments emblématiques du nouveau loto du patrimoine. L'argent bénéficiera au plafond de la "mosquée" de cette étonnante caverne d'Ali Baba, née d'une vie de voyages et dont on ignore la date de réouverture.

Bingo pour la maison de Pierre Loti, à Rochefort (Charente Maritime) ! Ce lieu incroyable est l'un des 18 monuments retenus pour bénéficier en priorité du nouveau loto du patrimoine initié par le ministère de la Culture et l'animateur Stéphane Bern (269 sites ont été retenus au total). Victime du temps et des visites, cette maison-mondes issue des voyages et de l'esprit de l'écrivain officier de marine est en travaux depuis près de six ans, sans que l'on sache quand elle fera à nouveau partager ses merveilles. Des associations comme Sos Racisme s'insurgent, elles, contre la bienveillance à l'égard d'un auteur si virulent contre les Arméniens et les juifs.

"Cette maison est assez extraordinaire. Elle fait vivre aux visiteurs un voyage peu commun. Avec une architecture, des objets, des ambiances quasi uniques. Il faut la découvrir, passer dedans pour s'en rendre compte." Maxime Lonlas sait de quoi il parle. Rochefortais, il a fait visiter les lieux l'été, à une vingtaine de personnes, 5 fois par jour, au début des années 2000.

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"Le plus important est que c'est une maison de contrastes", souligne celui qui était étudiant en histoire à l'époque.

"C'est une maison assez classique en façade. On entre, et après un salon rouge et un salon bleu assez traditionnels, les rideaux s'ouvrent sur... !!!"

5 min

On a d'abord un salon rouge, un salon bleu, assez traditionnels. Et ensuite, les rideaux s'ouvrent sur la salle Renaissance d'abord, avec un escalier incroyable, une cheminée monumentale, des tapisseries des Gobelins ! Tout de suite, on part en voyage. C'est ce contraste entre un extérieur sobre, d'une sobriété toute protestante, comme l'était la famille de Loti, et ces pièces incroyables, Renaissance, médiévales, turques, la "mosquée", c'est ce contraste qui marque et créé un déclic. Ce jeu de contrastes rendait toujours intéressante la visite, parce que l'on voyait dans les yeux des visiteurs des lumières s'allumer en fonction de ce qui les intéressait. Et les gens n'hésitaient pas à poser des questions, parce qu'il y avait des objets partout !

La façade classique, austère, de ce bâtiment du XVIIIe siècle se fond dans l'architecture de la ville, ne laissant rien deviner de ses trésors
La façade classique, austère, de ce bâtiment du XVIIIe siècle se fond dans l'architecture de la ville, ne laissant rien deviner de ses trésors
© AFP - Derrick Ceyrac

"C'est la vie de Pierre Loti que l'on traverse"

Dès son plus jeune âge, celui qui est né Julien Viaud (1850-1923) n'a cessé de transformer l'antre de sa famille protestante, cette bâtisse du XVIIe siècle. Enfant, il débute par un aquarium avec des coraux et des poissons en papier, encouragé par sa tante Claire et avec "déjà un imaginaire complètement foisonnant", raconte Claude Stéfani, le conservateur des musées municipaux de Rochefort. Dans le sillage de son frère aîné, Gustave, médecin de marine, Loti attrape le goût du lointain. Et quand il revient de son voyage de 1872 dans le Pacifique, passant par l'île de Pâques, les Marquises, Tahiti, il aménage le bureau de son frère en salle polynésienne, en y accrochant ses souvenirs. "C'est le premier décor", explique Claude Stéfani, qui compare l'endroit à une folie du XVIIIe siècle. "Ensuite, quand il va en Turquie, c'est le salon turc, après la chambre arabe." Suivront une pagode japonaise, une salle gothique, un grand hall renaissance, une mosquée, une salle chinoise ! Avec une prédilection pour l'Orient et la Turquie, en demandant par exemple à un de ses domestiques de faire l’appel à la prière du muezzin au lever du soleil. 

Pierre Loti chez lui en 1892. D'après la photographie de Dornac.
Pierre Loti chez lui en 1892. D'après la photographie de Dornac.
© AFP - Bianchetti Stefano / Leemage

Pour l'ancien guide Maxime Lonlas, "c'est la vie de Pierre Loti que l'on traverse ici". Celle d'"un écrivain incroyable, un dessinateur de très grand talent, élu à l'Académie française assez jeune, à 41 ans, contre Emile Zola d'ailleurs. Mais qui à côté de cela faisait des numéros de cirque, et donnait chez lui des fêtes dans lesquelles il invitait des personnages aussi célèbres à l'époque que Sarah Bernard, avec laquelle il était très ami.

Plusieurs dizaines de milliers d'objets et des décors marqués par la hantise de la mort

Devenu l'un des écrivains les plus adulés des années 1890-1910, l'auteur de Pêcheur d'Islande, Le mariage de Loti et de quantité de récits de voyage a accumulé dans ces murs, exposés ou non, des dizaines de milliers d'objets et souvenirs de voyage. L'homme fantasque qui aimait les mondanités n'est pas un collectionneur. C'est la valeur sentimentale qui prime, même si sa collection d'armes orientales vient de se révéler après estimation d'une très grande qualité. Face à ces "petits morceaux d'existence", le conservateur Claude Stéfani met en avant son rapport à la mort et au temps :

C'est un homme qui avait extrêmement peur de la mort et qui donc se mettait sans arrêt en scène et se remémorait le temps qui passait. Et la plupart de ses décors sont là en fait pour figer le temps. C'est une des raisons de cette maison. Tout comme la revanche sociale. Parce que, Loti adolescent, son père a été accusé de malversations, c'était faux, et la famille a été presque ruinée. Les deux choses conjuguées ont fait qu'il a voulu cette maison palais, mais c'est un théâtre. 

Les armes rapportées par l'écrivain voyageur viennent de se révéler de très grande valeur et seront exposées cet été à Rochefort
Les armes rapportées par l'écrivain voyageur viennent de se révéler de très grande valeur et seront exposées cet été à Rochefort
© AFP - Bruno Barbier / Hemis

Ce théâtre fantastique ne devait pas survivre à celui qui aura des obsèques nationales à Rochefort. Dans son testament, Loti avait laissé à son fils unique Samuel la possibilité de le détruire. "Moi disparu, cela n'a plus de sens", affirme-t-il, exceptés les portraits de famille. Samuel détruira la salle chinoise et la pagode japonaise, mais préservera heureusement toute l'extravagance et la foisonnance du reste, avant de vendre en 1969 à la ville de Rochefort.

Le loto du patrimoine au secours du plafond de la "mosquée"

Cette maison quasi unique au monde va attirer les foules à partir de 1973 : jusqu'à 50 000 visiteurs par an à la fin des années 90. Mais cet ensemble - composé à la fois de la maison d’origine de la famille Viaud, de la maison mitoyenne achetée par Loti en 1895, de celle de son secrétaire, et d'une partie du rez-de-chaussée de la maison voisine - n'a pas été conçu pour. Les multiples (ré)aménagements sur un terrain meuble l'ont aussi fragilisé. Et le temps, ponctué de secousses sismiques, a fait son oeuvre. En septembre 2012, la maison est obligée de fermer pour des travaux complexes. Les objets partent dans des réserves alors que les chantiers du bâti et des décors se multiplient, pour un coût évalué par le conservateur Claude Stéfani entre 8 et 10 millions d'euros. Un montant considérable pour la ville de 27 000 habitants, qui a obtenu des aides de l'Etat, par le plan musées, de la région, du département ou de particuliers

Le conservateur des musées de Rochefort, Claude Stéfani (à gauche), au chevet du plafond de la "mosquée" de Pierre Loti
Le conservateur des musées de Rochefort, Claude Stéfani (à gauche), au chevet du plafond de la "mosquée" de Pierre Loti
© AFP - Xavier Léoty

Mais l'addition continue à être si salée que Claude Stéfani ne peut pas aujourd'hui fixer un calendrier précis jusqu'à la réouverture. Il envisageait 2023 pour le centenaire de la mort de Loti, mais il n'y croit plus guère.

Restaurations et restitutions, passées, présentes et à venir. Etat des lieux, en particulier pour le plafond de la "mosquée", par le conservateur municipal Claude Stéfani

10 min

Des associations s'opposent à une telle bienveillance à l'égard de Loti et de sa maison

Il fut question de la venue d'Emmanuel Macron à Rochefort pour lancer le loto du patrimoine. Les critiques d'associations comme Sos Racisme sur certains écrits de Loti l'en ont peut-être dissuadé. Le président de la République est finalement venu le 14 juin, en très petit comité, avec la ministre de la Culture Françoise Nyssen et Stéphane Bern. Il a tranché à son arrivée : "Il ne faut pas chercher à faire des polémiques sur tout, sinon on ne lirait plus rien. Il ne faut pas avoir de combats anachroniques […] L'œuvre de Pierre Loti n'est pas réductible à la polémique qui lui a été faite." Le lundi précédent, Stéphane Bern avait déjà déclaré sur France Inter : "C'est facile de faire des anachronismes mémoriels (...) Il faut faire la différence entre l'oeuvre et l'homme."

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Dans une tribune publiée par Le Monde ce 1er juin, plusieurs associations avaient dénoncé des textes " d'une violence inouïe à l'égard des juifs et des Arméniens". Ainsi, "dans Jérusalem, il écrivait encore : « En soi, cela est unique, touchant et sublime : après tant de malheurs inouïs, après tant de siècles d’exil et de dispersion, l’attachement inébranlable de ce peuple à une patrie perdue ! Pour un peu, on pleurerait avec eux – si ce n’étaient des Juifs (mots soulignés par l’auteur) et si l’on ne se sentait le cœur étrangement glacé par toutes leurs abjectes figures. »
Les signataires demandent aussi "de retirer cet édifice de la liste des bénéficiaires de cette belle initiative et de débaptiser les établissements scolaires au nom de cet auteur de discours de haine."

Mais le site reste l'un des 18 privilégiés, parmi les 269 retenus. Claude Stéfani, qui reconnaît la turcophilie extrême de Loti, n'a pas idée de ce qu'il pourrait gagner avec cette nouvelle subvention populaire à 15 euros le billet, même s'il est question de 100 000 à un million d'euros. Le conservateur sait que cette subvention populaire inédite ira au plafond de la "mosquée", priorité des priorités. Ramené de Damas, il s'est avéré particulièrement attaqué par des insectes xylophages et il faudrait 450 000 euros pour préparer sa restauration !

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Ecoutez aussi une passionnante émission " Tout un monde" sur Pierre Loti. Par Marie-Hélène Fraïssé :

Pierre Loti, un rêve d'ubiquité. "Tout un monde" du 7 septembre 2008. Avec l'historien et spécialiste des récits d'exploration Alain Quella-Villéger et l'écrivain-voyageur breton Jean-Claude Bourlès

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