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ReportagePêche

Au large avec Breandán, pêcheur professionnel à la ligne par souci écologique

Alors que près d’un tiers des espèces de poissons sont surexploitées, la pêche à la ligne en mer est une alternative à la pêche industrielle. Reporterre a suivi dans une de ses sorties Breandán Ó Geallabháin, qui pratique cette pêche traditionnelle respectueuse de l’environnement.

  • Lanildut (Finistère), reportage

Breandán Ó Geallabháin part à l’aube du port de Lanildut, près de Brest, sur son bateau de huit mètres avec pour matériel une ligne, des hameçons, des appâts et ses bons coins, là où il sait qu’il trouvera du poisson — du lieu jaune en cette saison printanière. Des profondeurs à la surface, de l’aube au crépuscule, il lance sa traîne. Trouve parfois. Cherche toujours. En ce jour d’avril, après plus de 21 heures en mer, il récoltera 400 kg de lieu jaune.

Difficile de savoir combien de pêcheurs français sont ligneurs comme Breandán, car ils n’entrent pas dans les catégories de FranceAgriMer. Néanmoins, sur les quelque 4.000 navires français, les trois quarts sont des petits bateaux de moins de dix mètres et relèvent de la petite pêche. L’association des ligneurs de la pointe de Bretagne recense environ 500 ligneurs sur les côtes de l’Hexagone.

Breandán, 31 ans, a commencé à travailler dès 15 ans sur les gros bateaux qui partent plusieurs jours au large — chalutiers, hauturiers — et a finalement fait le choix de la pêche à la traîne, telle une nécessité éthique et environnementale : « C’est, pour moi, la pêche la plus belle. »

Installé dans le nord du Finistère avec sa compagne, sa fille et un enfant à naître, il a acheté en mai 2015 son bateau de huit mètres, l’Abalone et travaille au rythme des saisons. « Pêcher un seul poisson toute l’année n’est pas franchement écologique pour maintenir l’état de la ressource », explique-t-il. Du printemps à l’été, il se dédie au lieu jaune à la ligne et un peu de turbot et barbus à la palangre ; de l’automne à l’hiver, au congre. Mais, les trois premiers mois de l’année, il ne sort pas du port. « Je respecte la période de frai pour que les poissons puissent se reproduire. » Un choix difficile pour la santé économique de son entreprise, mais qui correspond « à [s]es convictions. »

Les lieux jaunes sont sortis de l’eau encore vivants. Ils seront rapidement saignés et glacés.

Les ligneurs pêchent peu. Ils tirent leur épingle du jeu grâce à la qualité de leurs poissons. Dès qu’il est sorti de l’eau, vivant, le lieu jaune est saigné et plongé dans la glace pour avoir cette chair blanche tant appréciée des restaurateurs et de leurs clients.

« Rien à voir avec certains chalutiers qui traînent pendant des heures leurs filets, explique Ken Kawahara, de l’association des ligneurs de la pointe de Bretagne et de la plateforme de la Petite Pêche artisanale française, dans lesquels les poissons sont morts et écrasés par tout ce que contient le filet. » Ces navires pêchent, avec cinq personnes à bord, jusqu’à 60 tonnes de poissons par mois. C’est à comparer aux deux tonnes en moyenne que Breandán sort seul de l’eau sur la même période.

« La surpêche et la crise du bar » 

« On peut gagner très convenablement notre vie quand tout se passe bien, en faisant peu de volume, mais du poisson de qualité », assure pudiquement Breandán. Une santé économique toujours dépendante de la météo, de la clémence de la mer et de l’endurance de son bateau. L’an dernier, l’Abalone est resté au port 72 jours à cause d’avaries mécaniques. « Je suis sorti seulement 76 jours en mer : pour gagner ma vie, il me faudrait entre 80 et 120 sorties par an. »

Cette pratique a le vent en berne. Le nombre de petits bateaux a été divisé par deux en trente ans. Une tendance qui s’accélère avec « la surpêche et la crise du bar », explique Ken Kawahara, de la plateforme de la Petite Pêche. Ce poisson noble se fait rare au point que l’Union européenne a mis en place des quotas en 2016 pour lui permettre de se renouveler, et une interdiction de le pêcher pendant sa période de reproduction sur toute la zone située dans le nord de la Bretagne. « Cette espèce est essentielle pour les ligneurs, car elle se vend bien, dit Ken Kawahara. Si la crise se poursuit et s’amplifie, un grand nombre de navires pourraient disparaître. Dans la zone de Ouessant [à côté de Brest], on comptait une dizaine de ligneurs de bar vers 2008, plus que deux, trois aujourd’hui. »

La raréfaction du poisson n’est pas propre au bar. À l’échelle mondiale, 30 % des stocks halieutiques étaient surexploités en 2013, selon un rapport de la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture).

Un lieu jaune est remonté à la surface.

C’est pour ne pas aggraver la situation que Breandán s’interdit de pêcher le bar et privilégie le lieu jaune. Seul sur son navire, il lui faut aussi saigner, étriper, glacer ces centaines de kilos de poissons avant que leur chair ne se gâte. Pendant ce temps, le bateau continue sa route à plus de dix nœuds (18,5 km/h) dans le noir complet, en direction de la terre et du repos. Il faut imaginer le froid, la fatigue, les mouvements incessants du navire, l’eau et le bruit, omniprésents. On ne voit rien à deux mètres. On se dit qu’il pourrait un jour passer par-dessus bord. « Il vaut mieux ne pas tomber », répond-il.

La plupart des lieux jaunes finiront dans les restaurants gastronomiques de la région 

Le lendemain, après quelques heures de sommeil, Breandán doit rapidement livrer le poisson à la criée de Concarneau, à 120 km de Lanildut. Cette fois-ci, la pêche a été bonne. La plupart des lieux jaunes finiront dans les restaurants gastronomiques de la région, prêts à mettre le prix pour cette chair de qualité.

Une assiette de lieu jaune au restaurant Globulle rouge, à Brest, que Breandán livre une fois par semaine.

Un mois après cette sortie poissonneuse, le bateau vieillissant de Breandán lui a joué un bien mauvais tour. En rentrant au port, le pilote automatique l’a dirigé vers les rochers, qui ont déchiré la coque. Breandán est parvenu à rejoindre le ponton, à quelques centaines de mètres, sauvant sa peau, mais pas son bateau, qui a sombré. À terre, il a retrouvé sa famille. Sa fille dans ses bras, il s’est dit que ça aurait pu très mal finir.

Breandán est vivant, mais mal au point. La saison commence à peine, mais il n’a plus de bateau. Les restaurateurs avec lesquels ils travaillent l’ont incité à lancer un financement participatif. « J’ai mis ma fierté de côté et me suis décidé à le faire. » Ce soutien lui permettra peut-être d’acheter un nouveau bateau pour repartir au large mouiller sa ligne dans le fond des mers.


LE PORTFOLIO DE NOTRE REPORTAGE

Le photographe Tien Trân a accompagné Breandán Ó Geallabháin pendant 10 jours en avril dernier, un mois avant que son navire ne sombre.



  • La Fondation a publié le 8 juin un Atlas de l’océan. À lire ici ou ici en téléchargement :
Atlas de l’océan-2018

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