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« La France compte 1 000 espèces d’abeilles » indispensables à la pollinisation

Bernard Vaissière, chercheur à l’unité « abeilles et environnement » de l’INRA, appelle à protéger l’ensemble des insectes pollinisateurs.

Propos recueillis par 

Publié le 14 juin 2018 à 11h32, modifié le 14 juin 2018 à 11h36

Temps de Lecture 4 min.

Un bourdon butine une fleur de phacélie.

Bernard Vaissière (Institut national de recherche agronomique) est spécialiste de la pollinisation et de l’écologie des abeilles. A l’heure où les apiculteurs dénoncent les pertes hivernales d’abeilles domestiques, il évoque la situation des abeilles sauvages et les menaces qui pèsent sur les insectes pollinisateurs.

Des apiculteurs se sont mobilisés pour dénoncer des pertes hivernales catastrophiques. Certains auraient enregistré jusqu’à 80 % de mortalité dans leurs ruches. Cette hécatombe concerne-t-elle uniquement les abeilles domestiques ?

Nous n’avons pas de recul, ni de recensement, sur la situation des abeilles sauvages. Elles sont moins vulnérables à certaines maladies ou parasites, comme le varroa, mais d’un point de vue écologique, elles semblent plus exposées. Contrairement aux abeilles domestiques, elles sont majoritairement solitaires et leur reine, la cellule reproductrice, n’est pas protégée par des ouvrières. Des espèces d’abeilles sauvages récoltent aussi des ressources diverses pour constituer leur nid : de la boue, des disques de feuille. Si ces éléments sont contaminés, la colonie est menacée. Les facteurs qui entraînent la réduction des insectes pollinisateurs sont multiples et les insecticides y contribuent considérablement. Il est clair, sans que nous sachions dans quelle mesure, que les abeilles sauvages sont concernées par ce déclin.

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L’interdiction de trois néonicotinoïdes dans l’Union européenne suffira-t-elle à sauver les pollinisateurs ?

Sur le long terme, cette restriction n’aura de sens que si ces produits ne sont pas remplacés par d’autres, encore plus toxiques. J’estime essentiel, aujourd’hui, qu’on prenne la mesure de l’évolution des insectes pollinisateurs et des 20 000 espèces d’abeilles. A ma connaissance, aucune sorte d’abeille n’est résistante à un insecticide et leur existence est de ce fait rendue compliquée par l’agriculture conventionnelle. D’où la nécessité de la transformer en agriculture intégrée, avec une prise en compte de tous les facteurs de production, dont la pollinisation est partie prenante.

De plus, l’interdiction des produits toxiques ne peut se limiter seulement à un ou quelques pays, au risque de créer un différentiel de concurrence ou d’encourager l’utilisation des pesticides dans des pays tiers.

A quel point les insectes pollinisateurs sont-ils précieux pour les cultures ?

Ils contribuent à la reproduction sexuée de 80 % des plantes cultivées et sauvages. Ils sont essentiels au bon rendement et à la bonne qualité des productions en arboriculture fruitière, en maraîchage, en grandes cultures, en semences. Dans un article publié dans Science, nous avons montré que la diversité et l’abondance des insectes pollinisateurs permettaient d’obtenir des variations de rendement de l’ordre de 30 % dans les cultures à travers le monde. C’est considérable et ça veut dire que sans une diversité et une quantité suffisantes d’insectes pollinisateurs, la diminution de rendement et de qualité est drastique dans les cultures dépendantes de cette pollinisation.

En Californie, pour polliniser 300 000 hectares d’amandiers, les arboriculteurs « louent » à prix d’or 34 milliards d’abeilles domestiques chaque année. En France, cette pratique est-elle courante ?

La Californie n’est pas un cas isolé. Aujourd’hui, 2 millions de colonies de bourdons sont élevées à travers le monde, notamment pour polliniser des serres de tomates. A la louche, en France, 200 000 à 300 000 colonies participent à cette « prestation de pollinisation ». Dans certaines cultures, ces abeilles domestiques améliorent et complètent la pollinisation des insectes sauvages. Dans des conditions sanitaires – entre autres – satisfaisantes, les résultats peuvent être intéressants. En Californie, l’utilisation du cheptel apicole est un peu délirante mais les abeilles sauvages commencent à être associées. Ça ne marche pas trop mal.

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Multiplier les ruches est-il une solution pour préserver les abeilles ?

Ce n’est pas en mettant des colonies d’abeilles domestiques partout qu’on va sauver la biodiversité. Il faut tordre le cou à cette idée. A une certaine densité, l’abeille domestique est susceptible de submerger les autres butineuses et de contribuer à leur déclin, voire à leur disparition. Encourager la protection de la diversité et de l’abondance des espèces me semble plus pertinent. La France compte 1 000 espèces d’abeilles. Ce n’est pas rien. C’est plus que les batraciens, les reptiles, les mammifères et les oiseaux réunis. D’un point de vue pollinisation, ça n’a aucun sens de défendre seulement les espèces domestiques. Seules, elles ne peuvent polliniser correctement les cultures, et encore moins les plantes sauvages. Les insectes pollinisateurs se complètent et rendent la pollinisation meilleure. Les abeilles sauvages, par exemple, apportent du pollen à sec déposent des quantités plus importantes lorsqu’elles visitent des fleurs.

Existe-t-il, dans le monde, des endroits où les insectes pollinisateurs ont disparu ?

Benoît Geslin, maître de conférences à Marseille, a étudié la pollinisation des pommiers en Argentine. En Patagonie, grande région productrice et exportatrice de pommes et de poires, il n’y a plus d’abeilles sauvages.

Très honnêtement, des zones privées d’insectes pour réaliser la pollinisation, je n’en connais pas. Il y a toujours des mouches pour intervenir, même de façon aléatoire et peu efficace. En Chine, des humains pollinisent à la main, mais ce n’est pas uniquement lié à une disparition des insectes. Les pommiers et les poiriers sont des arbres autostériles et leur pollinisation dépend des variétés compatibles plantées aux alentours. Faute de variétés compatibles, les humains doivent polliniser eux-mêmes, avec du pollen apporté. C’est aussi une stratégie économique destinée à avoir des fruits absolument parfaits, de taille la plus importante possible.

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