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Entretien avec Diego Fusaro, l'homme qui murmure à l'oreille de Di Maio et Salvini

Capture d'écran - Youtube

FIGAROVOX/ENTRETIEN - A trente-cinq ans, le philosophe spécialiste de Marx et de Gramsci est le théoricien qui a inspiré la campagne du Mouvement cinq étoiles. En exclusivité pour le Figarovox, il décrypte la recomposition politique italienne.


Né à Turin en 1983, Diego Fusaro est docteur en philosophie de l'histoire et enseigne à l'Université de Milan. Il puise dans sa lecture de Hegel, Marx, Gramsci ou encore Gentile pour construire une pensée politique dissonante, très hostile à l'euro et au capitalisme financier. Il publie régulièrement sur son blog personnel.

Le Figarovox a choisi de donner la parole à cette voix influente du débat italien pour mieux comprendre les ressorts des bouleversements politiques transalpins.


FIGAROVOX.- L'entente entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles est-elle l'alliance de vos vœux pour remplacer le clivage gauche/droite?

Diego FUSARO.- Oui, absolument. Dans notre temps, celui du capitalisme financier, la vieille dichotomie droite-gauche a été remplacée par la nouvelle dichotomie haut-bas, maître-esclave (Hegel). Au-dessus, le maître a sa place, il veut plus de marché dérégulé, plus de globalisation, plus de libéralisations. Au-dessous, le serf «national-populaire» (Gramsci) veut moins de libre-échange et plus d'État national, moins de globalisation et une défense des salaires, moins d'Union européenne et plus de stabilité existentielle et professionnelle. Le 4 mars en Italie n'a pas été la victoire de la droite, ni de la gauche: le bas a gagné, le serf. Et il est représenté par le M5S et la Ligue, les partis que le maître global et ses intellectuels diffament comme «populistes», c'est-à-dire voisins du peuple et pas de l'aristocratie financière (Marx). Si ceux-ci sont populistes, il faut dire que les partis du maître sont carrément démophobes, ils haïssent le peuple.

Le président Mattarella a finalement permis la formation du nouveau gouvernement, Savona n'est plus à l'économie mais il fait encore partie de l'équipe. A-t-il eu peur que de nouvelles élections ne donnent encore plus de voix aux deux formations dissonantes?

Tout à fait. Il fallait ne prendre aucun risque. L'Italie, comme tous les pays d'Europe, vit sous une pérenne dictature financière des marchés. Cela veut dire un totalitarisme glamour, le totalitarisme du marché capitaliste. Les marchés demandent, les marchés se sentent nerveux: ils sont des divinités qui décident d'en haut, c'est l'aboutissement du fétichisme bien décrit par Marx. En 2011, l'Italie fut victime d'un coup d'État financier voulu par l'UE. Et encore maintenant cela s'est presque reproduit. Malgré tout, le gouvernement «jaune-vert» (les couleurs du M5S et de la Ligue, respectivement) a été formé, même s'il a souffert de fortes modifications (notamment le rôle de Savona), pour ne pas laisser les marchés trop insatisfaits...

Pourquoi Di Maio et Salvini regardent-ils vers la Russie?

Parce que la Russie de Poutine est aujourd'hui la seule résistance contre l'impérialisme du dollar, c'est-à-dire contre l'américanisation du monde, aussi connue sous le nom de mondialisation. Il vaut mieux un monde multipolaire, comme on dit ces jours-ci, à la place du cauchemar de la «monarchie universelle» (Kant), c'est-à-dire d'une seule puissance qui envahit la totalité du monde. L'Italie devrait sortir de l'OTAN, se libérer des plus de cent bases militaires américaines et chercher à retrouver sa souveraineté monétaire, culturelle et économique, s'ouvrant à la Russie et aux États non-alignés.

Il ne faut pas sauver l'euro, il faut se sauver de l'euro !

Peut-on dire que la crise de l'euro est de retour, concernant la situation en Italie mais aussi en Espagne?

Je crois que oui. Je ne connais pas la situation espagnole comme un expert, mais certainement l'Espagne, comme l'Italie et les autres pays méditerranéens, a beaucoup de souffrances causées par l'euro. L'euro n'est pas une monnaie mais une «méthode de gouvernement» (Foucault): une méthode de gouvernement néolibérale contre les classes travailleuses et les populistes, et créant des bénéfices seulement aux seigneurs du mondialisme capitalistique. Il ne faut pas sauver l'euro, il faut se sauver de l'euro! J'ai soutenu cela dans mon livre «Europe et capitalisme». J'espère que le gouvernement jaune-vert fera sortir l'Italie de l'euro et de l'Union Européenne: c'est la seule voie pour défendre les classes travailleuses et les personnes précaires, en faisant des dépenses publiques et une vraie politique sociale.

Vous dites souvent que la vieille bourgeoisie et le vieux prolétariat font maintenant partie du même groupe opprimé, n'est-ce pas un peu exagéré?

C'est exactement comme ça. Il est le nouveau «précariat»: la vieille souche moyenne bourgeoise et la vieille classe travailleuse, pendant un temps ennemies, sont aujourd'hui opprimées et précarisées, elles forment une nouvelle plèbe paupérisée et privée de droits compte tenu des prédations financières et de l'usure bancaire. La classe dominante est, cette fois-ci, l'aristocratie financière, une classe cosmopolite de banquiers et de délocalisateurs, seigneurs du big business et du dumping. Marx le dit très bien dans le troisième livre du Capital: le capitalisme surpasse sa phase bourgeoise et accède à celle financière, basée sur la rente financière et les vols de la bancocratie. C'est notre sort.

Entretien avec Diego Fusaro, l'homme qui murmure à l'oreille de Di Maio et Salvini

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83 commentaires
  • richy11

    le

    seuls ceux qui n'ont pas lu Marx croient qu'il avait une doctrine , il était un analyste de la société de son temps et essayait de voir l'avenir , jusqu'ici , il a raison , pour l'avenir .....

  • abc6440

    le

    < Il ne faut pas sauver l'Euro mais se sauver de l'Euro >>
    Un de plus qui a tout compris, comme Asselineau et son UPR en France ! N'en déplaise aux grincheux qui aiment vouer aux gémonies les pro-sortie de l'UE et de l'Euro mais sans jamais réussir à donner un seul bon argument si ce n'est la purée eurolâtre habituelle !

  • monaco00

    le

    Je me souviens l'avoir vu, au début de la décennie, dans l'émission "La Gabbia", peut-être le précurseur de la situation politique actuelle en Italie. Pour une émission qui passait sont temps a se vautrer dans des théories conspirationnistes délirantes, il était le champion des formules grandiloquentes et des ébruitements populistes. Et on lui laissait dix minutes sans contradicteurs, car il n'est pas performant du tout en format débat.

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