A l’occasion de la Conférence internationale sur l’avenir des hautes montagnes à Chamonix, du 12 au 14 juin 2018, Ludovic Ravanel, géomorphologue, chargé de recherche CNRS au laboratoire Edytem de l'université de Savoie Mont-Blanc, alerte sur la fonte du "permafrost", qui conditionne la présence de glace cimentant la roche.
Sciences et Avenir : Le lien est-il avéré entre réchauffement climatique et multiplication des éboulements rocheux ?
Ludovic Ravanel : En haute montagne, les températures ont augmenté deux à trois fois plus vite que sur le reste de la planète : +2°C en un siècle. Le permafrost s’est dégradé : les parois dégèlent de plus en plus profondément - jusqu’à parfois plus de dix mètres - ce qui les déstabilise. En utilisant le gigantesque corpus de photos de montagne, les premières datant des années 1850 - et en complétant avec des modélisations 3D, nous avons reconstitué l’histoire de parois comme les Drus ou la face nord des Aiguilles de Chamonix, et retracé les déstabilisations. On a mis en évidence une explosion du nombre d’écroulements (éboulements > 100 m3) depuis deux à trois décennies, en corrélation avec la hausse des températures à Chamonix. Le lien avec le réchauffement est validé.
Plus il fait chaud l’été et plus ça s’écroule ?
On observe une surreprésentation des écroulements durant les étés caniculaires 2003, 2015 et 2017. L’écroulement de l’éperon Tournier, qui s’est produit en septembre 2017 - quelque 44.000 m³, le plus important dans le massif depuis celui du pilier Bonatti aux Drus en 2005, était directement lié à la canicule de l’été. La roche avait emmagasiné assez de chaleur pour atteindre des températures positives et dégeler le permafrost. J’ai pu aller prélever une grosse quantité de la glace dans la cicatrice de l’écroulement. Elle est en cours d’analyse à Grenoble (IGE), on va pouvoir la dater, ce sera une première mondiale !
En août 2017, dans le canton suisse des Grisons, le Piz Cengalo s’est écroulé, ravageant une partie du village de Bondo et tuant huit randonneurs. 3,1 millions de m³ de roches sont tombés : là, la dégradation du permafrost a dû s’opérer sur deux ou trois décennies.
A l’occasion de la Conférence internationale sur l’avenir des hautes montagnes à Chamonix, du 12 au 14 juin 2018, Ludovic Ravanel, géomorphologue, chargé de recherche CNRS au laboratoire Edytem de l'université de Savoie Mont-Blanc, alerte sur la fonte du "permafrost", qui conditionne la présence de glace cimentant la roche.
Sciences et Avenir : Le lien est-il avéré entre réchauffement climatique et multiplication des éboulements rocheux ?
Ludovic Ravanel : En haute montagne, les températures ont augmenté deux à trois fois plus vite que sur le reste de la planète : +2°C en un siècle. Le permafrost s’est dégradé : les parois dégèlent de plus en plus profondément - jusqu’à parfois plus de dix mètres - ce qui les déstabilise. En utilisant le gigantesque corpus de photos de montagne, les premières datant des années 1850 - et en complétant avec des modélisations 3D, nous avons reconstitué l’histoire de parois comme les Drus ou la face nord des Aiguilles de Chamonix, et retracé les déstabilisations. On a mis en évidence une explosion du nombre d’écroulements (éboulements > 100 m3) depuis deux à trois décennies, en corrélation avec la hausse des températures à Chamonix. Le lien avec le réchauffement est validé.
Plus il fait chaud l’été et plus ça s’écroule ?
On observe une surreprésentation des écroulements durant les étés caniculaires 2003, 2015 et 2017. L’écroulement de l’éperon Tournier, qui s’est produit en septembre 2017 - quelque 44.000 m³, le plus important dans le massif depuis celui du pilier Bonatti aux Drus en 2005, était directement lié à la canicule de l’été. La roche avait emmagasiné assez de chaleur pour atteindre des températures positives et dégeler le permafrost. J’ai pu aller prélever une grosse quantité de la glace dans la cicatrice de l’écroulement. Elle est en cours d’analyse à Grenoble (IGE), on va pouvoir la dater, ce sera une première mondiale !
En août 2017, dans le canton suisse des Grisons, le Piz Cengalo s’est écroulé, ravageant une partie du village de Bondo et tuant huit randonneurs. 3,1 millions de m³ de roches sont tombés : là, la dégradation du permafrost a dû s’opérer sur deux ou trois décennies.
"A terme, le risque pourrait atteindre les vallées"
Peut-on aujourd’hui prédire où et quand vont se produire les écroulements ?
Avec un réchauffement observé chaque année du permafrost, il y aura une augmentation de la fréquence et du volume. On sait dans quelle tranche altitudinale ils se produisent généralement : entre 3.100 et 3.500 mètres. On sait aussi que les températures vont augmenter dans la décennie à venir. Mais il nous manque des connaissances sur le lien entre températures et structure géologique du massif, ce qui nous empêche encore de formaliser un "bulletin météo des écroulements". Nous avons néanmoins identifié des zones sensibles qui "bougent" beaucoup. L’Aiguille du Tacul, très peu fréquentée car ce n’est qu’un gros tas de cailloux, et la Tour Ronde, dont la voie normale d’ascension est un itinéraire très pratiqué l’été par les alpinistes.
Y a-t-il un risque pour la population ?
Il est pour l’instant limité compte tenu de l’altitude à laquelle se produisent les écroulements. Les alpinistes sont les plus touchés, mais ce milieu s’adapte rapidement. Les guides réagissent très vite en adaptant les itinéraires ou en réalisant au printemps des courses auparavant faites durant l’été. Avec le retrait et l’amincissement des glaciers, on devra aussi, comme c’est déjà le cas au-dessus de la Mer de Glace, adapter de plus en plus les accès à certains refuges.
À terme, le risque pourrait atteindre les vallées, avec des écroulements provoquant avalanches, chutes de glace et coulées de boue. Les systèmes de surveillance et d’alerte avec forages et capteurs, comme celui qui au Piz Cengalo a permis d’évacuer la population avant que la coulée de boue ne ravage une partie du village – seront multipliés.
Par Eliane Patriarca