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ReportageGrands projets inutiles

Près de Strasbourg, la pression monte contre la Zad opposée à l’autoroute

L’étau se resserre autour des opposants au contournement autoroutier de Strasbourg. Les habitants de la Zad de Kolbsheim sont convoqués au tribunal administratif lundi 18 juin en vue d’une évacuation. Reporterre fait le point de la situation.

  • Kolbsheim (Bas-Rhin), reportage

L’étau se resserre autour des opposants au contournement de Strasbourg. Les quelques personnes engagées sur place sont convoquées au tribunal administratif lundi en vue d’une évacuation. La question d’une résistance physique ou non va bientôt se poser, là où les militants préfèreraient gagner du temps sur le terrain judiciaire.

L’ambiance n’est pas à la veillée d’armes ce jeudi 15 juin sur la zone à défendre (Zad) de Kolbsheim, un petit village placé sur le tracé du Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg. Sous le soleil, de retour après quelques jours pluvieux, on discute, on boit un café, on fume, on s’occupe du quotidien de la Zad, on fauche l’herbe, on écoute les oiseaux, on épluche des pommes de terre…

Seul Daniel, habitant de la Zad depuis le début de l’année, potasse les centaines de pages du dossier qui lui a été remis en main propre. La veille, le réveil a été bien plus matinal. Vers 7 heures, plusieurs dizaines de gendarmes sont venu quadriller la clairière. “Ils ont fait le facteur !”, s’amuse-t-il.

Daniel habite dans un camping-car à la Zad depuis janvier 2018.

Dans une ambiance cordiale - avec le temps les gendarmes du coin et les zadistes se connaissent - les forces de l’ordre ont apporté un papier à signer. Il s’agit d’une notification de convocation devant le tribunal administratif pour lundi 18 juin à 14h. Une requête en référé pour “mesure utile”. La visite s’est accompagnée d’une perquisition de la grange où des cocktails molotov avaient été signalés par les pompiers. Il s’agissait en fait de bouteilles vides. Les gendarmes sont repartis avec… un arc en plastique, qui s’est avéré être un jouet pour enfant.

Le concessionnaire, le groupe Vinci via sa filiale Arcos, demande aux occupants de quitter les terrains dont il a exproprié les anciens détenteurs dans le cadre des travaux à venir. Les zadistes répondent qu’ils ont reçu une autorisation des propriétaires à l’époque où ils sont arrivés et ne se considèrent pas comme illégaux.

Si le juge administratif s’estime compétent et retient l’urgence, sa décision sera rendue sous 72 heures. De telle sorte que si un huissier vient dès le lendemain d’un jugement défavorable, l’évacuation pourrait avoir lieu dès la fin de semaine.

La Zad de Kolbsheim.

En plus de la possibilité d’évacuer les lieux avec l’aide des forces de l’ordre, Vinci demande au juge administratif d’infliger 500 € d’astreinte par personne et par heure de blocage débutée. Bien sûr, le juge n’est pas obligé de suivre cette volonté mais la menace est forte. “La suite... cela dépend de ce que va dire le juge”, résume Daniel. L’argument financier fait mouche, la question du face-à-face physique est remise à plus tard.

En tout état de cause, on imagine mal les habitants déconstruire les quelques constructions en bois : un poulailler permet notamment d’obtenir un oeuf par jour par habitant. “Le plus fun ici, c’est de vivre au milieu des poules et des chèvres“, s’enthousiasme Maritch (pseudo), arrivé il y a quelques semaines sur place. Quelques lapins gambadent dans l’herbe.

Sur ce point névralgique des 24 kilomètres du tracé, la Zad joue un rôle d’alerte. Le nombre des occupants qui y vivent tourne autour d’une dizaine de personnes depuis sa création il y a près d’un an, mais il ne s’agit pas des mêmes personnes. Des constructions en bois prévues ont peu avancé. Mais grâce à l’alerte matinale de quelques zadistes, une mobilisation éclair de plusieurs dizaines depersonnes en septembre avait permis de repousser d’un an des déboisements.

Manu est venue il y a quelque jours en fourgonnette à la Zad.

La convocation nominale au tribunal a d’ailleurs peu de sens, car les habitants changent d’un jour sur l’autre, au gré des allers et venues. Certains ne passent que quelques nuits par semaine, d’autres viennent d’arriver.
C’est le cas de “Manu”, grutière qui habite en Moselle mais travaille en intérim sur des chantiers en Alsace : “J’ai suivi les directs d’Armelle Borel et ça m’a donné envie d’aller à la Zad des Landes. Je me suis renseignée sur ce qu’il y a près de chez moi et c’est comme ça que je suis venue ici. C’est bien de mettre un pouce sur Facebook et dire “je vous encourage”, mais il faut aller plus loin. C’est devenu mon combat, même si on est peu nombreux. Fondamentalement, je ne suis pas contre un contournement, mais pas là, sur un si bel endroit.”

Mais il n’est pas sûr que l’élan spontané de septembre 2017 se reproduise. À l’époque, les opposants avaient placé leurs espoirs dans le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot. Mais le ministre a validé le projet dès octobre et n’a pas sollicité de troisième avis du conseil national de la nature, après un avis défavorable en janvier.

Image de synthèse du paysage de Kolbsheim après l’éventuelle construction de l’autoroute.

Le châtelain Erik Grunelius, dont l’autoroute longe le moulin sur la Zad, a laissé ses terrains à disposition ; il fait partie des personnes résignées. Le maire de Vendenheim, Philippe Pfrimmer, est passé outre une consultation dans sa commune concernant un protocole d’accord avec Vinci pour obtenir un mur anti-bruit et cesser son opposition. Le “non” l’avait emporté d’une courte tête (50,1 %) malgré une faible participation (20 %). Certains élus strasbourgeois opposés à la rocade, membres d’EELV ou de Generation.s, d’habitude prompts à réagir sur le dossier, restent silencieux, déjà focalisés sur l’échéance municipale de 2020.

Malgré ces abandons, la solidarité citoyenne est toujours en place. Deux zadistes ont été condamnés à payer 2.696 € pour s’être enchaînés sous une foreuse de travaux préparatoires : la cagnotte de solidarité a atteint la somme en 24 heures. Les excédents (plus de 3.000 euros aujourd’hui) pourront servir à d’autres combats judiciaires. Mais Claire et Martin, 26 et 31 ans, sont partis, suite à une offre de formation pour l’un d’entre eux.

A ce stade, les espoirs pour retarder et empêcher le projet reposent surtout sur les voies légales. L’avocat François Zind observe qu’avec cette procédure, Vinci “met la pression sur les opposants, alors qu’il aurait pu reprocher à l’Etat ou à la commune de ne rien faire”. De son côté, Stéphane Giraud, directeur de l’association Alsace Nature, et qui coordonne au sein du collectif GCO non merci les aspects judiciaires, rappelle que les travaux prévus cet été ne sont pas encore autorisés : “On remarque une accélération, alors qu’il faut attendre le résultat d’une enquête publique sur les mesures environnementales compensatoires. Le préfet a dit qu’il voulait que les procédures soient exemplaires. Or, l’Etat ne contrôle rien. Le jour même de la présence des gendarmes sur la Zad, des déboisements ont été tentés sur le nord du tracé [par la Sanef, qui s’occupe des travaux d’un échangeur] et empêchés de justesse par d’autres militants. Le système démocratique prévoit des juridictions quand il y a un désaccord. Mais l’Etat construit l’affrontement.”

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