Sans domicile fixe à Paris

Le nombre de sans domicile fixe augmente rapidement en Angleterre.

De l'autre côté de la Manche, le président français Emmanuel Macron a déclaré vouloir éradiquer complètement le phénomène.

Est-ce qu'une solution sera trouvée?

Qui était Tango?

Ce sont des hommages courts et brutaux.

Darius, qui animait la zone autour de la rue Lafitte est mort à l'âge de 43 ans.

Ou Pierre, “découvert par un habitant du quartier près des poubelles dans la rue Jacques Kellner".

Il y a aussi Michel, mort le 21 janvier à la rue Matignon, “dans une place de parking où il vivait depuis 20 ans".

Ces hommages très court, postés sur le site web d'une petite oeuvre de charité, sont rassemblés à partir des détails clairsemés et des bribes de souvenirs par les commerçants locaux, les travailleurs sociaux, les gardiens de parc - tous ceux qui se souviennent des hommes et des femmes mort dans les rues de France.

Parfois, les détails sont si rares que les morts sont honorés sans même qu'on connaisse leur noms ou leur âge. L'heure et le lieu de leur décès sont soigneusement affichés avec une photo ou une vidéo de leur quartier - une tentative de se souvenir d'une vie, même lorsque ses informations les plus élémentaires sont oubliées.

Ces enquêtes sont menées par le Collectif les Morts de la Rue. Leur travail attire l'attention dans les rues bruyantes et enfumées de Paris - une affiche brillante recouverte de plastique attachée à un arbre ou un mur, donnant parfois un nom, mais se terminant toujours par la même requête: «Si vous connaissiez cette personne , ou avez des informations qui nous permettraient de rendre hommage, merci de nous contacter".

Cela aurait pu être l'histoire de Tango. Peu de gens dans le paisible 14ème arrondissement de Paris le connaissaient - pour nombre d'entre eux, il n'était qu'un homme d'une cinquantaine d'années. Il dormait dans un parc. Il était toujours prêt à avoir une discussion amicale mais il avait aussi un problème d'alcool.

Le parc dans le 14ème arrondissement de Paris dans lequel Tango dormait 

Le parc dans le 14ème arrondissement de Paris dans lequel Tango dormait 

Deux ans après sa mort, le souvenir de Tango reste vivace sur les lieux où il habitait. Même pour ceux qui sont arrivés bien longtemps après son départ alors qu'il enterré à plus de 3000 kilomètres de la France.

Clément Etienne gère un café dans une rue calme pas loin du parc de Tango. Ses portes s'ouvrent à 8h et il y a souvent une file d'attente devant la machine à café. Mais contrairement à d'autres café, les fenêtres de celui-ci sont soigneusement teintées pour offrir plus d'intimité. On peut y boire, manger et même dormir gratuitement. C'est un bus à deux étages mis à disposition par un projet de l'organisation Enfants du Canal pour lutter contre l'exclusion des sans-abri à Paris.

Clement Etienne gère un café pour les sans-abris logé dans un bus à étages

Clement Etienne gère un café pour les sans-abris logé dans un bus à étages

Tango avait déjà vécu 20 ans dans les rues avant de rencontrer Clement. Il était déjà une figure locale connue dans la zone par son surnom. "Il n'a jamais dit son vrai nom, indique Clément. Il avait trop honte, inquiet que sa famille découvre sa situation de SDF", ajoute Clément.

Pour cet article aussi, nous avons caché sa véritable identité, et même son vrai surnom, à la demande de ceux qui ont travaillé avec lui.

"Il était plus victime que voyou", se souvient Clément. "Il buvait beaucoup mais il était adorable - il plaisantait toujours, il ne blessait pas une mouche. Il n'était pas un homme cultivé, mais il avait un vrai sens de la gentillesse. "

Lentement, au fil des ans, au fur et à mesure que les deux hommes se sont connus, Tango s'est beaucoup confié à Clément.

“Il avait un rêve. Celui de retourner au Maroc", indique Clément. "C'était plus qu'une fantaisie, vraiment," ajoute-t-il. "Il le savait au fond de lui".

Tango est arrivé en France illégalement, il y a 30 ans. A l'époque c'était un jeune homme venant d'une ancienne colonie française. Il a suivi un des nombreux sentiers de l'immigration menant vers Paris.

Dans les années 1980, en tant qu'immigré illégal, Tango n'avait pas droit aux logements sociaux en France, et dormir dans la rue était considéré comme une infraction.

Mais à l'époque, selon Clément, il était facile pour ceux qui sont entrés de manière illégale d'avoir des papiers. Tango a obtenu la résidence française, a trouvé du travail dans une usine et a commencé à envoyer de l'argent au Maroc.

Il espérait que son histoire se termine, des décennies plus tard, avec une vieillesse confortable et une mort paisible, soutenu par les structures de la société française, entouré de proches parents et d'amis.

Au lieu de cela, il a fini sa vie sur un banc dans un parc de la ville de Paris.

Un ami, qui dormait à proximité, s'est réveillé un matin d'hiver pour le trouver en train de cracher du sang. Il a appelé Clément à l'aide. Tango est mort peu après son arrivée à l'hôpital, d'une embolie pulmonaire.

Les bancs du parc où Tango est mort

Le Collectif les Morts de La Rue a compté 501 morts parmi les sans-abris de la France en 2016, l'année ou Tango est mort. D'autres activistes croient que le vrai nombre est de plusieurs milliers.

L'organisation leur rend hommage au cours d'un mémorial chaque année dans une place située au centre de Paris. Les informations sur chaque individu connu sont marquées sur de simples cartes blanches à côté des fleurs en pot disposé en forme de tombes.

Chacune de ces histoires racontées de manière décousue met en lumière l'un des problèmes les plus insolubles de l'Europe.

Voici celui de Tango.

Devenir sans-abri

Pour la première décennie de sa vie en France, Tango n'était pas un sans-abri. Le jour, il travaillait dans l'usine aux côtés de dizaines d'autres hommes comme lui - la nuit, il vivait avec eux dans des foyers surpeuplés.

Beaucoup de Marocains de sa génération ont une histoire similaire. L'absence d'une femme ou d'enfants lui permet d'envoyer la plupart de ses gains au pays. Mais cela l'a également isolé. ADD MEDIA

"Il était entouré de gens", dit Clement. "C'est une communauté, mais c'est une communauté entièrement composée d'hommes, tous du même âge, venant du même endroit, avec les mêmes illusions. Ils sont tous ensemble, mais ils sont isolés du reste de la société, donc ils sont précaires. "

Dans cette situation, il faut peu de temps pour que tout s'effondre. Dans le cas de Tango, indique Clément, c'est probablement une l'alcoolisme et la perte de son emploi.

Dix ans après son arrivée en France, Tango a été isolé socialement au point de vivre dans les rues.

Il est souvent difficile d'identifier un seul déclencheur dans la vie d'un sans-abris. Les Français parlent d'une «rupture». Des poroblèmes de santé, de travail ou de contrats de location amènent quelqu'un à vivre dans la rue.

L'un des sans-abri qui utilise actuellement le ShelterBus affirmé que le 6 mai 1991 est la date de sa propre "rupture". C'est le jour du décès de sa mère, morte sans laisser les bons papiers de leur maison. Mais pour beaucoup d'autres, cela survient plus lentement et de manière plus floue - une chute progressive à travers les filets de sécurité sociale qui échouent, ou ne sont tout simplement pas là.

“Quand vous passez une journée sans ne rien faire... vous êtes perdu et les gens peuvent le voir dans vos yeux"

Bruno, homeless

Bruno est un autre habitué du ShelterBus de Clement. Physiquement, il ne ressemble pas à un sans-abri. Il est grand et a l'air très propre, avec une paire de lunettes intacte. Il est dans la rue depuis quatre mois, après avoir perdu son emploi d'abord, puis ses prestations sociales. ADD MEDIA

"Il y a un gros problème avec la façon dont les gens vous regardent", dit Bruno. "Ils peuvent voir que tu es un peu perdu. Parce que quand tu passes toute la journée sans rien faire, tu tournes en rond dans ta tête - tu te perds et les gens peuvent le voir dans tes yeux. "

Pour Gilou, autre client de longue date du bus, ce mois marque 28 ans de vie dans les rues de Paris. Il s'asseoit pour discuter tenant sa bouteille de vin rosé à moitié vide, qu'il a surnommée "Titine Rosenbach".

“J'ai travaillé dans le bâtiment", dit-il. "J'étais peintre, ferronnier et chef-cuisinier. J'ai fait toutes sortes de choses. Tout s'est arrêté quand je suis tombé malade et j'ai fini à l'hôpital psychiatrique, puis en prison. J'ai été en prison 14 fois.

Il me montre ses tatouages, une série de traits d'union autour de son poignet pour indiquer un vol, et un symbole signifiant «mort à la police».

"Le plus difficile quand on vit dans la rue c'est de trouver le déjeuner, dit-il. "Le dîner c'est facile à gérer. Après une bonne journée de mendicité, j'ai toujours de la nourriture le soir."

Il sort trois morceaux de fromage qu'on lui a donnés dans une fromagerie voisine.

"Je mendie trois fois par semaine sur le marché. Tous les commerçants me connaissent, et ils m'aiment bien. Le quartier est vraiment sympa. Mais parfois les gens sont froids, et parfois les habitants m'accusent de faire pipi dans la rue même si ce n'est pas vrai".

En 2012, un court-métrage dans les salles françaises, basé sur l'histoire d'un jeune avocat, Joel Catherin, dont le voyage l'a emmené devant une rue près de l'église de la Madeleine à Paris où vit une vieille femme sans abris.

"Je travaillais beaucoup à l'époque", explique Joel Catherin. "J'étais assez isolé et je ne voyais pas beaucoup mes amis et ma famille. Il n'y avait pas beaucoup d'humanité dans ma vie, et c'est alors que je suis tombé amoureux de cette vieille dame sans-abri qui mendiait à côté de chez moi.

“Elle m'a fait penser à ma propre grand-mère », explique-t-il. "Je l'ai soudainement vue comme un être humain."

Catherin a commencé à lui donner à manger, et quand il faisait de plus en plus froid, il a eu l'idée de remplacer l'inscription sur sa pancarte "un euro s'il vous plait" par une simple demande qui la rendait plus "humaine".

Le lendemain matin, il lui a donné un nouveau signe, sur lequel il avait écrit: "Je pourrais être votre grand-mère".

"Quelques jours plus tard", dit-il, "je l'ai vue me faire signe de la main. Elle était très heureuse. De toute évidence, la nouvelle pancarte avait bien fonctionné parce qu'on lui avait donné beaucoup de pièces de monnaie. "

Catherin a fait des pancartes individuels pour d'autres personnes sans-abri, et ses slogans originaux ont commencé à être copiés par d'autres. "Chaleur humaine" demande l'un tandis que l'autre essaie de voler un sourire avec le message "Je suis enfermé dehors". Une troisième pancarte destinée à une femme qui mendie à l'extérieur d'une banque de bouteilles indique: "Recyclable"?

"Le véritable objectif était de réveiller les gens", dit-il. "Je voulais que les gens parlent aux sans-abri - la chaleur humaine est plus importante que de l'argent pour eux. La chaleur humaine c'est là où l'aide commence. "

28 000 sans-abri à Paris, dont environ un quart dort dans la rue

141 500 sans-abris en France en 2012, soit une hausse de 50% par rapport à 2001

Source: INSEE

Comportements

Les comportements envers les sans-abri en France sont complexes. Il y a beaucoup de gens qui les considèrent comme une nuisance. Des perturbateurs qui font baisser les prix de l'immobilier, qui vivent de la mendicité, et qui constituent une menace au bien-être et à la quiétude.

Les Français pensent que le phénomène des sans-abri est un problème structurel. Les Anglais considèrent que cela relève de la responsabilité individuelle et de la dépendance"

Prof Julien Damon

Le professeur Julien Damon de la prestigieuse université Sciences-Po, estime que Paris est plus tolérant et accueillant que Londres.

"Les Français pensent que c'est un phénomène structurel lié au chômage, à la crise du logement. Selon eux, les individus ne sont pas responsables de leur situation. Les Britanniques croient plutôt que c'est la responsabilité individuelle.

Quand l'agence de sondage YouGov a demandé aux Anglais leur avis sur les sans-abris il y a quatre ans, 35% d'entre eux ont déclaré qu'ils croient que les sans-domicile-fixe ont probablement fait de mauvais choix dans leur vie qui les ont amenés dans cette situation.

En revanche, un sondage effectué en 2009 par l'agence de sondage CSA et l'une des principales organisations de lutte contre le phénomène en France a révélé que la majorité des personnes interrogées (près des deux tiers) pensaient que l'État était principalement responsable de la situation des personnes vivant dans la rue, et que les trois quarts étaient solidaires des SDF.

L'État français a modifié son approche vis-à-vis des personnes vivant dans la rue depuis que Tango est arrivé dans les années 1980. En 1994, le fait de dormir dans la rue a été décriminalisé et, en 2007, une nouvelle loi a décrété que tout ceux qui dorment dans la rue avait le droit d'être hébergé - même ceux qui étaient dans le pays sans autorisation.

La France a les lois les plus compréhensifs de l'Union Européenne en ce qui concerne le phénomène, selon la Fédération des organisations des sans-domicile-fixe. (FEANTSA).

Mais beaucoup de migrants illégaux évitent d'avoir accès aux services dédiés aux sans-abris, de peur d'alerter les autorités sur leur statut. Et depuis le mois dernier, le risque s'est étendu à tout les abris d'urgence destinées aux SDF, selon une nouvelle loi introduite par Emmanuel Macron. Ces abris d'urgence doivent fournir les détails de toutes les personnes qui y dorment pour permettre au gouvernement de trouver et de déporter ceux qui n'ont pas le droit d'être en France.

Cette politique suscite une forte résistance de la part des organisations en France, mais la plupart d'entre elles sont entièrement financées par l'État.

De l'autre côté de la Manche, le gouvernement britannique a aussi ciblé les SDF étrangers. En 2016, il a commencé une politique de déportation des ressortissants de l'Union européenne dormant dans les rues en Angleterre. Il estime que c'est une violation du droit à la liberté de mouvement au sein de l'UE.

Chloe Serme-Morin, de la FEANTSA, a déclaré que cette politique criminalisait les migrants qui dorment dans la rue. Et en décembre 2017, la Haute Cour a reconnu que cette politique était discriminatoire et illégale, après que deux Polonais et un Letton ont porté plainte contre le gouvernement. Le Royaume-Uni a maintenant mis fin aux expulsions.

Des deux côtés de la Manche, il existe un ensemble complexe de mesures qui suscitent des critiques de la part des organisations caritatives pour les sans-abri, mais il y en aussi qui sont accueillies comme de grands pas en avant.

À Paris, la RATP a signé une convention avec l'organisation des sans-abri, Emmaüs, qui gère un local et un personnel chargé de surveiller les personnes dormant dans et autour de ses gares.

Malgré les protections légales et la solidarité des individus, les sans-abri à Paris se sentent indésirables.

Clément conserve une étrange collection de photographies sur son téléphone portable. Entre les images de sa fille, il y a des images de sculptures, de rochers, de pointes et de supports à bicyclette le long des murs des immeubles. Durant ses randonnées quotidiennes, il réunit ses images comme une preuve de l'érosion délibérée des places où les sans-abri peuvent confortablement dormir.

"La nuit dernière, j'ai dormi devant un immeuble où ils avaient installé de grandes boules décoratives", confirme Gilou. "Ce n'était pas gentil. Ça fait mal aux hanches. "

C'est une décoration fréquente dans toute la ville. La Fondation Abbe Pierre, l'une des plus anciennes organisations de sans-abri en France, la décrit comme une campagne visant à pousser les personnes qui dorment dans la rue des centres-villes vers des endroits moins visibles. Parmi les exemples qu'ils ont recueillis, il y a une douche froide automatique installée à l'entrée d'un parking privé.

“Les villes touristiques, comme Paris, les installent pour donner un joli visage à la ville pour des raisons économiques», explique Chloe Serme-Morin de la FEANTSA. "Les villes sont de plus en plus en concurrence les unes avec les autres pour attirer plus d'habitants riches, plus de touristes fortunés etc."

Des mesures similaires existent au Royaume-Uni avec des installations contre les sans-abris ou des meubles de rues qui peuvent empêcher les gens de dormir dehors.

Malgré quelques similitudes, les clients du ShelterBus reconnaissent la différence dans l'expérience des sans-abri des deux côtés de la Manche.

"Les Anglo-Saxons ont une manière différente de traiter le phénomène", explique Bruno. «En Angleterre, il faut se battre pour réussir - c'est une bonne chose: en France, nous sommes un pays de fonctionnaires, il faut s'adapter au modèle, si vous ne correspondez pas, vous n'existez pas. "

Rester ou sortir de la rue

Au cours de la campagne électorale , le président français Emmanuel Macron a déclaré qu'il voulait éradiquer le phénomène d'ici la fin de 2017. Ce une promesse qu'il ne pouvait pas tenir.

Sur le ShelterBus sont écrits les noms d'autres hommes politiques qui ont fait exactement la même promesse dans les années précédentes. Il s'agit de l'ancien président Nicolas Sarkozy, l'ancien Premier ministre Lionel Jospin. "Nous allons ajouter le nom de M. Macron quand nous repeindrons", dit Clement.

Mais éradiquer le phénomène des SDF n'est pas aussi fantastique que cela puisse paraître, selon Eric Constantin de la Fondation Abbé Pierre. "Avec les bonnes politiques, le problème dans la région parisienne pourrait être résolu dans cinq à dix ans", dit-il. "Construire des maisons, arrêter les expulsions, contrôler les loyers et mettre en place un système qui prend soin des gens".

Le gouvernement français a investi dans la création des abris d'urgence - 13 000 nouveaux abris ont été ouverts cet hiver. Mais il y a généralement des règles strictes pour y accéder: pas de chien, pas de couple, pas d'alcool. Certains refusent également de prendre ceux qui ont des problèmes de santé mentale.

Gilou a des tas d'histoires sur le fait d'avoir été expulsé des refuges pour avoir tenté d'apporter une bouteille de vin. Buvez dans les locaux, et vous pouvez être interdit d'accès. Bagarrer-vous ou causer n'importe quel genre de perturbation, la même chose s'applique. Restez à l'écart trop longtemps - et vous pouvez également vous voir refuser l'accès à cet abri

Ces règles strictes ont empêché Tango de sortir de la rue, dit Clement. "Il aurait quitté les rues. C'était possible. Nous auvions juste besoin d'un endroit qui prendrait un alcoolique.”

C'est l'une des raisons pour lesquelles le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a raison quand il dit que de nombreux sans-abri choisissent de ne pas utiliser les places disponibles. Forcés de se séparer de leur partenaire ou de leur chien, ou de vaincre la dépendance ou la maladie mentale afin de sécuriser une place, beaucoup refusent. Mais ce n'est pas la même chose que de vouloir rester dans la rue.

De nombreux refuges à Londres ont également des règles strictes sur l'alcool, les animaux domestiques ou le tabagisme. Une étude sur les 28 abris d'urgence disponibles à travers la capitale britannique a révélé que 26 d'entre eux interdisent l'alcool. Tango n'aurait pas trouvé mieux de l'autre côté de la Manche.

Et même ceux qui répondent aux critères peuvent avoir du mal à trouver un lit. Une ligne d'urgence nationale, mise en place en France pour relier les personnes qui dorment à la rue avec des abris, est souvent inondée d'appels et beaucoup de ceux qui appellent sont informés qu'il n'y a plus d'espace disponible.

Cet hiver, les médias français ont diffusé une série de reportages sur les conseils donnés aux sans abris par téléphone. Dormir dans des bus de nuit, des bancs de parc ou sur des matelas mis en place par certains services hospitaliers.

Bruno a vécu en tant que sans-abri pendant un court moment il y a 10 ans, il dit que la situation était complètement différente alors. "Ce n'était rien comparé à aujourd'hui", dit-il. «À l'époque, il y avait beaucoup plus d'endroits dans les refuges pour sans-abri, et beaucoup moins de gens dans les rues. La situation économique était alors différente et tous les réfugiés n'étaient pas là.

Mesurer avec précision le nombre de personnes qui dorment dans les rues de Paris s'est révélé très difficile - les estimations varient entre 7 000 et 8 000 personnes. Mais en 2014, le Bureau français des statistiques a déclaré que le nombre d'adultes sans-abri dans la région de Paris avait augmenté de 84% en une dizaine d'années.

Une partie de cette hausse est imputable à la crise financière de 2008, mais l'expansion de l'UE a également attiré de nouvelles populations dans les rues de la capitale, et les nombreux migrants qui traversent la Méditerranée en Europe ont de nouveau augmenté ces chiffres.

Et, dit Chloé Serme-Morin, Paris a vu apparaître de nouveaux groupes de sans-abri.

«Les familles et les jeunes sont de plus en plus représentés parmi les sans-abri et les refuges», ajoute-t-elle.

"C'est vraiment à cause de la hausse des coûts du logement - en particulier le loyer - et des politiques d'austérité qui font que les familles économiquement fragiles sont incapables de se payer un logement."

Selon M. Serme-Morin, les refuges ne sont pas la solution.

"Il y a eu un véritable changement d'attitude à la suite du changement de la loi en 2007 - On commence à réaliser que la solution est le logement à long terme, et à penser au concept finlandais "Logement d'abord".

Dans un refuge pour sans-abri à Paris

Dans un refuge pour sans-abri à Paris

"Auparavant, il fallait d'abord régler vos problèmes de toxicomanie et de psychiatrie, puis vous avez un logement temporaire pour voir si vous pouvez y faire face, et si vous êtes prêt, vous aurez un logement permanent", explique Serme- Morin. "Le logement d'abord signifie que le logement à long terme est une condition préalable pour trier tout le reste.

Le vrai point d'achoppement est le manque de stock de logements sociaux.


Un centre d'hébergement d'urgence pour les personnes sans domicile, en construction à Paris

Un centre d'hébergement d'urgence pour les personnes sans domicile, en construction à Paris

Eric Constantin, de la Fondation Abbé Pierre, affirme que pour résoudre le problème en Ile-de-France, 70 000 logements doivent être construits chaque année entre 2010 et 2030, dont la moitié est réservée au logement social. Jusqu'à présent, cet objectif n'a pas été atteint pour toutes les années sauf une.
Selon lui, près des trois quarts des habitants d'Ile-de-France sont éligibles au logement social.

"Le modèle français est unique, mais maintenant il est menacé, car le gouvernement pense qu'il devrait commencer à se concentrer sur les plus pauvres des pauvres - ce qui est l'approche de Londres"

Une résidence permanente, sans conditions, aurait pu être la clé pour sortir Tango des rues, mais cela signifie que Paris aurait assez de logements sociaux.

N'ayant pas d'autres options, il a choisi de dormir sur un banc dans un parc parisien en rêvant de reconstruire sa vie.

The end

Le mémorial de Tango a eu lieu un matin d'hiver, dans le parc où il avait vécu.

"Nous avions placardé des avis partout dans le quartier", dit Clement. "Environ 15 personnes se sont présentées: des travailleurs sociaux, des préposés au parc, des commerçants à proximité, ses amis de la rue. Ils avaient mis un matelas sur le sol et disposé des bougies et des fleurs tout autour, avec ses affaires - et quelques bouteilles d'alcool. "

Clément a commencé la cérémonie en faisant un témoignage sur l'homme qu'il avait connu. "Tango était très sociable", dit-il. "La plupart des gens dans la rue meurent seuls".

"Il y avait un autre sans-abri qui est mort récemment dans un coin de la rue", dit-il. "Les résidents locaux lui avaient été hostiles. Ils appelaient souvent la mairie pour se débarrasser de lui. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'ils étaient heureux quand il est mort, mais ... “

Les morts comme celles-ci peuvent être soudaines, et les proches parents difficiles à retrouver. Jusqu'à il y a environ 15 ans, si aucune famille ne pouvait être retrouvée, les sans-abri qui sont morts à Paris étaient enterrés par la municipalité dans une fosse commune. «C'est toujours ce que beaucoup de gens dans la rue pensent qu'il va leur arriver», dit Clement.

Mais des organisations comme la sienne, et le Collectif Les Morts, reprennent le processus en organisant des cérémonies simples dans un coin dédié du cimetière de Thiais, à l'extérieur de Paris. La zone réservée aux enterrements pour sans-abri s'appelle le Carré de la Fraternité.

Dans le cas de Tango, cependant, il y avait quelqu'un de sa famille.

"Il s'agit d'une nièce", dit Clement. "Tango a beaucoup parlé d'elle et m'a donné son numéro. Je lui ai parlé du mémorial, et elle a dit qu'elle viendrait. Elle a envoyé beaucoup de textes, mais elle n'est jamais apparue. Je pense que c'était trop difficile pour elle de savoir ce qu'il avait vécu. "

Elle a quand même payé les frais pour la prise en charge du corps de son oncle. Trois décennies après son arrivée en France, Tango a été rapatrié au Maroc pour son enterrement.

Après 20 ans passés à rêver du retour à la terre natale, Tango a finalement réussi à rentrer chez lui. Enfin.