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Les Aborigènes, ces invisibles du football australien

Si elles représentent près de 3 % de la population en Australie, les populations indigènes sont absentes du paysage du football local. Jade North, le seul Aborigène professionnel, est bien seul à tenter d’y remédier.

Par  (Melbourne, correspondance)

Publié le 21 juin 2018 à 10h59, modifié le 21 juin 2018 à 11h02

Temps de Lecture 4 min.

L’Australien, Jade North (en jaune) à la lutte avec le Japonais Shinji Kagawa, le 12 mars 2012 à Brisbane

C’est une absence qui se remarque lorsqu’on lit la liste des joueurs choisis par le sélectionneur néerlandais Bert Van Marwijk pour représenter l’Australie au Mondial en Russie. Parmi les 23 élus, on ne trouve pas un Aborigène, le peuple des premiers habitants de l’Australie. Dans un pays où ils représentent 2,8 % de la population selon les derniers chiffres officiels, l’affaire pourrait répondre à une certaine logique mathématique. Mais le contraste est saisissant avec d’autres sports.

Au rugby, qui n’a jamais montré l’exemple – 14 indigènes seulement sur les 920 internationaux qu’a comptés le pays –, Kurtley Beale était l’ouvreur des Wallabies samedi 16 juin contre l’Irlande à Melbourne, exactement au moment où les Socceroos défiaient la France, à Kazan. Chez les Kangaroos, cousins du rugby à XIII, c’est encore plus frappant : il est fréquent de voir cinq ou six représentants des populations indigènes dans la sélection.

Le sélectionneur Van Marwijk ne peut pas être blâmé : il n’avait pas le choix. Dans la NRL, le championnat treiziste, 12 % des joueurs sont d’ascendance indigène. Un chiffre presque similaire en AFL, le très puissant championnat d’Aussie Rules, sport iconique du pays où les 81 indigènes représentent 10 % des joueurs de l’élite. Mais en A-League, l’élite du soccer australien, parmi les neuf équipes engagées, un seul de leurs représentants a pris part à la saison 2017/2018 : Jade North, 36 ans, défenseur du club de Brisbane Roar.

Charles Perkins, le pionnier

Ancien international (41 sélections), North a été en 2008 le premier capitaine aborigène des Socceroos. Dix ans plus tard, il fait encore figure d’exception. A cette situation, il existe des explications culturelles et sociologiques. L’auteur Joe Gorman, spécialiste du football australien, résume : « Les Aborigènes sont amenés à pratiquer le sport le plus populaire dans leur Etat. Dans le Queensland et la Nouvelle-Galles du Sud, c’est le rugby à XIII, dans les Etats de South et Western Australia ainsi que dans le Victoria, c’est l’Australian Football. Le plus grand combat que ces peuples ont dû mener, c’est d’être acceptés. Si vous voulez être accepté par l’Australie “mainstream”, pourquoi joueriez-vous au football ? Historiquement, pour eux, s’impliquer dans les sports dominants, c’est aussi prouver qu’ils peuvent battre les hommes blancs. »

Pourtant, le football aborigène a bien eu ses héros. Au premier rang desquels Charles Perkins, parti jouer en Angleterre à Everton en 1957 et devenu en 1961, deux ans après son retour en Australie, capitaine et entraîneur du club de Pan-Hellenic, à Sydney, alors qu’il n’avait même pas la citoyenneté australienne… Perkins, activiste défendant les droits des Aborigènes, sera, en 1966, le premier indigène diplômé d’une université australienne avant de devenir, en 1984, secrétaire d’Etat au département des affaires aborigènes.

Aujourd’hui, Jade North a pris le relais et représente ces 40 493 Aborigènes licenciés de football (dans un pays qui en compte 1,152 million). Et le joueur se désespère à haute voix du désintérêt de la fédération de football australienne (FFA) pour cette cause. « Les fédérations de rugby à XIII ou d’AFL ont d’excellents programmes afin d’impliquer et séduire les populations indigènes. Ce travail ciblé, ma fédération s’en dispense », observe-t-il. Ainsi, la pratique du football s’avère coûter plus cher que d’autres disciplines et les autochtones, plus pauvres que le reste de la population, finissent, faute de bourses ou de tarifs adaptés, par s’en détourner au profit d’autres sports.

Lancé en 2012 et prévu pour durer sept ans, le programme « Football Dreaming », qui avait pour objectif de parvenir à 5 % de joueurs indigènes en A-League et chez les Socceroos, était mort-né après quelques mois. En 2017, la fédération a consacré seulement 10 000 dollars (6 500 euros) à cette cause et encore, il s’agissait d’une subvention à un programme privé fondé par John Moriarty, le premier Aborigène des Socceroos.

Identifier les talents

« Le football australien a certes des problèmes à régler mais l’évidence c’est que la place des populations indigènes n’est pas une priorité. Et c’est une honte », tempête North, lauréat en 2016 du titre de sportif de l’année lors d’une cérémonie nationale visant à récompenser des personnalités indigènes pour leur contribution exceptionnelle à la nation. « Personne de la fédération n’était au courant qu’un footballeur avait gagné cette récompense, déplore-t-il. C’est un de mes amis qui s’est chargé de les en informer… »

Une désillusion qui a au moins renforcé son goût de l’action. Dans la foulée, North a œuvré à la création d’une fondation « Kickin with a Cuz’» qui a pour but de pallier la passivité de la FFA. Il rêve ainsi de « créer un chemin pour les jeunes espoirs aborigènes ». Appel aux sponsors, mécénat : North se débrouille avec son équipe. « La première phase du processus c’est identifier les enfants à accompagner, et ensuite s’impliquer à leurs côtés pour un projet global : football, scolarité, éducation. Les enfants indigènes ont besoin de davantage de soutien. Le football n’est pas qu’un but, c’est aussi un moyen pour donner un avenir. »

North use d’une métaphore : « Ces enfants sont comme des petites mines d’or qui attendent d’être découvertes. Il suffit de leur en offrir l’opportunité. » Lors de la soirée de lancement l’an passé, l’espoir était de mise : « Attendez et vous verrez qu’un Socceroo émergera de ce programme. » Il n’a dit pas dit pour quelle édition de Coupe du monde…

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