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Hellfest: "que Monsieur le curé écoute du metal, les paroissiens s'en fichent un peu"

Le site du Hellfest à Clisson, en Loire-Atlantique, le 17 juin 2016. (Photo d'illustration)

Le site du Hellfest à Clisson, en Loire-Atlantique, le 17 juin 2016. (Photo d'illustration) - Jean-Sébastien Evrard - AFP

A l'occasion du Hellfest, festival de "musiques extrêmes" qui se tient ce week-end à Clisson, en Loire-Atlantique, deux prêtres nous parlent de leur passion pour la musique metal.

"Un camping de festival, en général, ce n'est pas trop l'adoration du Saint-Sacrement", concède le père Robert Culat, réaliste mais pas désenchanté. Ce constat, il le dresse à propos du Hellfest, l'un des plus gros festivals de metal en Europe qui se tient depuis 2006 à Clisson, en Loire-Atlantique.

Pas vraiment l'endroit où l'on s'attend à croiser un prêtre catholique. Pourtant, en 2010, Robert Culat est l'invité d'un débat organisé par une radio chrétienne du département. L'objectif est de faire discuter, au sein même du festival, "pro" et "anti" Hellfest.

Il faut dire que la polémique fait rage. Une pétition lancée par le collectif d'associations "Catholiques en campagne" veut l'interdiction du festival, jugé "violent" et "antichrétien", entre autres reproches. L'histoire se fraie un chemin jusqu'à l'Assemblée nationale, où le député PS Patrick Roy prend la défense du Hellfest et dénonce les propos de Christine Boutin et Philippe de Villiers, qui y voient une "culture de la mort" et un "festival sataniste".

"Si vous enlevez la violence et le sexe du cinéma, qu'est-ce qu'il reste?"

Contre toute attente, Robert Culat ne se rend pas au Hellfest pour le vilipender. Bien au contraire. Auteur de L'âge du metal, publié en 2007 aux éditions Camion Blanc, l'ecclésiastique dénonce la "grosse hypocrisie" des opposants.

"On pousse des cris d'orfraie parce que la musique est violente, parce que ça parle de haine ou de meurtre, de choses horribles, mais bon, quand on bombarde un pays ça nous laisse plutôt indifférents", soutient-il encore aujourd'hui, interrogé par BFMTV.com.

Soulignant "l'obsession" des anti-Hellfest pour la violence des paroles des groupes programmés, l'homme de foi juge inquiétant qu'ils "ne fassent pas la différence entre une violence symbolique et une violence réelle".

"Dans ce cas, si on était logique, il faudrait supprimer 90% des films: si vous enlevez la violence et le sexe du cinéma, qu'est-ce qu'il reste?", lance-t-il.

Robert Culat ne peut être taxé de naïveté ou d'amateurisme. Il commence à s'intéresser au metal quand deux jeunes catholiques se pointent à l'aumônerie du lycée public où il officie. Ils arborent "LE look métalleux", qui détonne dans le Vaucluse de 1994 et après ses cinq années d'études à Rome, plaisante le prêtre. Piqué de curiosité, il ne trouve pourtant pas satisfaction dans les "deux-trois livres qui existent" sur le genre à l'époque.

"Je ne m'y retrouvais pas par rapport à l'expérience réelle que j'avais, avec les gens que je rencontrais", explique-t-il. Après plusieurs années de sondages, d'études et de recherches, il publie finalement L'âge du metal en 2007. Il prépare d'ailleurs un nouvel ouvrage sur le groupe de deathgrind américain Cattle Decapitation et leur rapport à l'écologie.

L'ecclésiastique a plusieurs fois pris position pour défendre le Hellfest et le metal en général mais se montre plus réservé auprès de ses paroissiens francophones de Copenhague.

"Je n'en parle pas en permanence, seulement quand ça me semble correspondre à quelque chose d'intéressant par rapport à la personne que j'ai en face de moi", explique-t-il à BFMTV.com.

"Que Monsieur le curé écoute du metal ou des chants religieux, les paroissiens s'en fichent un peu"

On retrouve la même approche chez Bertrand Monnier, 38 ans et 28 clochers des alentours de Verdun sous sa responsabilité - d'où le fait qu'en juin, période chargée à cause des mariages et baptêmes, il n'a jamais pu se rendre au Hellfest.

"En Meuse, on est vraiment très peu de prêtres. Donc à mon avis, que Monsieur le curé écoute du metal ou des chants religieux, les paroissiens s'en fichent un peu tant qu'il y a un jeune prêtre", fait-il remarquer.

"Je pense qu'ils ont aussi compris que les prêtres ne tombaient pas du ciel, ils ont une vie, ils ont des passions", poursuit l'ecclésiastique. "Même si ce n'est pas toujours facile, je pense que ça oblige un certain nombre de paroissiens à s'ouvrir à la culture actuelle."

Avec quelques amis, il a créé l'association Metalphizik afin de promouvoir le metal dans la Meuse, "une association qui n'a absolument rien de religieux, bien que son siège soit au presbytère", plaisante-t-il.

"Dans le monde du metal, les gens savent que je suis prêtre, et je n'ai jamais eu aucun souci avec ça. J'ai toujours eu un très bon accueil, beaucoup de respect. (...) Une fois qu'on casse un peu les murs des préjugés, c'est génial", assure-t-il.

"Vous allez vous rendre compte que ce ne sont pas tous des psychopathes"

Et pour casser ces préjugés, le curé organise notamment des tables rondes. "Les gens du coin peuvent rencontrer des groupes, des compositeurs, discuter un peu avec eux", explique le père Bertrand Monnier, qui fait d'ailleurs preuve de la même pédagogie vis-à-vis des tatouages ou des jeux vidéo, par exemple.

"Vous allez voir un peu ce qu'est le metal, vous allez en écouter, vous allez discuter avec les gens et vous rendre que ce sont pas tous des psychopathes", résume-t-il.

Ces événements permettent aussi de mettre en valeur la "ténacité" et la "virtuosité" des artistes. "Pour écouter du metal comme pour en jouer, il faut s'accrocher un peu", fait valoir le curé.

Pourtant, il assure "ne pas chercher à faire l'apologie du metal, surtout face à des personnes qui veulent partir en croisade". Sur le ton de la plaisanterie, il concède aussi qu' "en bon metalleux", il a plutôt tendance à "jouer la carte de la provoc' et en rajouter".

"Je ne cherche pas autre chose qu'un vrai dialogue culturel", nuance-t-il plus sérieusement. "Ceux qui râlent, qu'ils ne viennent pas, on se débrouille sans eux, il n'y a aucun souci. On est dans un pays libre."

"Le Hellfest, c'est comme Lourdes pour vous"

Robert Culat a une approche un peu différente: "Quand on est chrétien, il faut dans la mesure du possible essayer de se mettre à la place de l'autre. C'est-à-dire pas seulement voir les choses de son point de vue, mais essayer de se mettre dans la peau du metalleux qui va au Hellfest. Je dis souvent en rigolant, 'Le Hellfest, c'est comme Lourdes pour vous'", plaisante-t-il.

En termes d'acceptation, Robert Culat note une évolution certaine, "même au niveau de l'Eglise en tant qu'institution". Il tient pour preuve son invitation fin mai à une journée d'étude sur le rock et le metal organisée par la faculté de théologie de l'université catholique de Lille, sans caricature ni diabolisation du genre.

"Ce sont quand même des signes que l'on commence à respirer sur le thème, c'est beaucoup moins crispé qu'auparavant", juge celui qui a déjà reçu des lettres - "moins d'une dizaine" - lui signifiant que c'était "honteux qu'en tant que prêtre, (il) prenne la défense de ce milieu".

"Arrêtons de penser que parce qu'ils écoutent une musique violente, les metalleux sont des gens violents, c'est complètement débile comme raisonnement", assène Robert Culat.

Il met en avant la "fraternité entre les festivaliers" du Hellfest. "Même moi, j'étais reconnaissable, habillé avec une tenue de prêtre: je n'ai jamais eu une remarque déplacée", déclare-t-il. Et de conclure: "Il n'y a pas plus doux et pacifique qu'un fan de metal. Ce sont vraiment des agneaux".

Liv Audigane