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Vers la fin des forêts primaires

Malgré le ralentissement apparent de la déforestation mondiale, les forêts vierges primaires disparaissent de plus en plus vite et rien ne semble pouvoir endiguer leur destruction, selon une étude réalisée par l'université du Maryland.
par Charles Delouche-Bertolasi
publié le 24 juin 2018 à 12h31

Entre 2014 et 2016, les forêts primaires ont perdu chaque année une surface de 90 000 km2, soit la superficie d'un pays comme l'Autriche. L'étude présentée à l'université d'Oxford par Peter Potapov, chercheur et directeur de recherche à l'université américaine du Maryland, fait le constat alarmant de la situation de ces forêts qui n'avaient jamais été exploitées mais qui sont désormais touchées par la déforestation.

Cette recherche se base sur des résultats d'analyses d'images satellites comparées à des études similaires conduites en 2008 et 2013. «Ces données en haute résolution nous permettent de détecter les altérations causées par l'homme et la fragmentation des forêts vierges», explique Peter Potapov à l'AFP. Malgré certains efforts pour lutter contre la déforestation, près de 10 % des forêts vierges de la planète ont été morcelées, dégradées, ou tout simplement coupées depuis 2000, comme le montre l'analyse.

Un ralentissement qui masque la réalité

D'après les chiffres de la FAO (l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), la vitesse de perte des surfaces forestières dans le monde est passée de 73 000 km2 par an dans les années 1990-2000, à 33 000 km2 entre 2010 et 2015. Pour Jean-Luc Dupouey, écologue forestier et chercheur au sein de l'unité Silva à l'Inra (Institut national de recherche agronomique), «on observe bien un net ralentissement de la vitesse de disparition des forêts mondiales, au tournant du XXIe siècle. Et dans le même temps, la reforestation s'est accélérée.»

Mais cette baisse cache une autre réalité et masque un double mouvement pernicieux autour de la déforestation. «Cette valeur nette de diminution de la surface forestière est le résultat de deux mouvements bruts opposés : la déforestation d'un côté et le reboisement de l'autre. Et la déforestation touche souvent des forêts dites primaires», précise le chercheur. On détruit des forêts primaires pour les remplacer par des secondaires, par régénération naturelle ou artificielle.

Peu touchées par les actions humaines et fortes de leur naturalité, les forêts primaires sont encore difficiles à quantifier. La plupart des pays ne peuvent supporter le coût des campagnes de terrain nécessaires à l'inventaire des forêts. «La valeur écologique des forêts perdues est souvent plus élevée que celle des forêts regagnées, analyse Jean-Luc Dupouey. Les forêts primaires ont une biodiversité plus élevée que les forêts secondaires. Leurs espèces ont des potentiels de dispersion plus faibles. Leur reconstitution se mesure en siècles.»

Le paysage forestier intact en péril

L'étude menée par Peter Potapov s'articule autour de l'indicateur de «paysage forestier intact» : une zone sans activité humaine majeure, sans route, ni exploitation forestière. Ses analyses montrent que, malgré le ralentissement équivoque de la déforestation initié depuis les années 90, le rythme de disparition du paysage forestier intact serait en augmentation depuis le siècle dernier. «L'an dernier, l'équipe de Potapov avait publié une perte de 7.3 % des surfaces de paysage forestier intact entre 2000 et 2013, tandis que dans le même temps, la surface forestière mondiale n'avait diminué, d'après la FAO, que de 1.2 %, commente le chercheur de Silva. Cela illustre le décalage entre la perte nette de surfaces forestières et la perte des forêts à forte naturalité."

Les principaux coupables de cette déforestation varient : l'agriculture et les exploitations forestières dans les pays tropicaux, les incendies au Canada et aux Etats-Unis, les mines et les forages en Russie et en Australie. En Pologne, c'est le gouvernement ultraconservateur qui mène une campagne de déforestation massive, au mépris des lois de l'UE. Pour Jean-Luc Dupouey, les résultats des travaux de Potapov rappellent que «les forêts à forte naturalité sont un patrimoine dont un connaît mal les modes de reconstitution. Une fois coupée, on ne sait pas combien de temps il faudra pour retrouver une forêt primaire. Des centaines voire des milliers d'années, peut-être jamais.»

Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), ainsi que plusieurs ONG réunies au sein d'une iniative baptisée Nature4Climate ont lancé mercredi un appel à investir davantage dans la foresterie et l'utilisation des terres, un «secteur oublié de la lutte» contre le changement climatique. Selon le chercheur de l'Inra, cette étude montre que «nous devons traiter les forêts à forte naturalité pour ce qu'elles sont : une ressource quasi-non renouvelable et dont la durée d'exploitation risque d'être très courte».

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