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Aurore Bergé (en haut au centre) et Alexandra Valetta-Ardisson (en bas à droite) font partie des députés LREM ayant signé un amendement contre le projet du gouvernement.
Aurore Bergé (en haut au centre) et Alexandra Valetta-Ardisson (en bas à droite) font partie des députés LREM ayant signé un amendement contre le projet du gouvernement.
Jacques Witt / Sipa/SIPA

Associations religieuses retirées de la liste des lobbies : des députés LREM se mobilisent contre le gouvernement

Laïcité

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Plus de 80 parlementaires de la majorité ont présenté un amendement pour s'opposer à un article de la loi sur la confiance, portée par le gouvernement. Pour installer "un climat de confiance" avec les cultes, l'exécutif compte les faire sortir du registre des représentants d'intérêt... et ainsi faire une entorse à la laïcité.

Les macronistes ne se sont pas encore fait de religion sur la question de la laïcité . Nouvelle illustration avec la loi de Confiance, un projet du gouvernement qui revient entre les mains de l'Assemblée après avoir fait la navette au Sénat... et qui déclenche un vent de fronde chez quelques dizaines de députés de la majorité , qui y voient une menace contre la laïcité.

Pour comprendre l'affaire, il faut revenir en 2013 : sous François Hollande est votée une loi sur la transparence qui crée un registre des représentants d'intérêts. Comme cela existe au sein de l'Union européenne, il s'agit d'une liste des lobbies qui doivent tout simplement fournir à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) des informations sur leur activité, notamment leurs interactions avec les acteurs politiques. En 2016, la loi Sapin 2 y ajoute les "associations à but cultuel", c'est-à-dire les religions. Une décision a priori logique mais sur laquelle le gouvernement actuel souhaite revenir.

En effet, en mars dernier, Public Sénat a révélé que l'article 38 du projet de loi "pour un Etat au service d'une société de confiance" prévoit d'abroger purement et simplement la disposition de 2016, et donc de retirer les associations religieuses de la liste des lobbies. Autre volet du projet de loi : la possibilité pour les cultes de détenir et gérer des immeubles à objet lucratif, afin de "renforcer leurs ressources" en bénéficiant notamment de subventions publiques indirectes.

Ces manœuvres ont immédiatement alerté l'ensemble des laïques : le Comité Laïcité République (CLR), l'Union des familles laïques (Ufal) mais également de très nombreuses obédiences maçonniques (y compris le Grand Orient de France) ont adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron et sont intervenus auprès des députés. En première lecture à l'Assemblée, les deux articles mis en cause ont été rejetés par les députés. Mais patatras : lors du passage de la loi au Sénat, ils ont été rétablis illico par les pensionnaires du palais de Luxembourg ! Et le gouvernement semble bien décidé à faire passer ces mesures fort accommodantes pour les religions ...

Fronde laïque chez les députés macronistes

La loi modifiée passe actuellement en deuxième lecture à l'Assemblée, en prélude à son adoption définitive. Fait notable, la mobilisation contre l'article 38 dépasse le cercle des laïques traditionnels : une quinzaine de députés LREM ont décidé de porter un amendement s'opposant fermement au projet de retirer les associations cultuelles de la liste des lobbies. Le texte défend la législation installée en 2013 puis 2016, jugée "équilibrée" : en effet, s'il est "légitime que les associations à objet cultuel puissent interagir avec le ministère des cultes sans être considérées comme des représentantes d'intérêts", et qu'elles peuvent tout à fait "exprimer leurs points de vue sur les questions publiques", lorsqu'elles agissent en dehors de ce cadre, par exemple en prenant rendez-vous avec des députés, le gouvernement ou des administrations publiques, elles sont "bien des représentantes d'intérêts, et doivent bien être considérées comme telles au nom de la transparence de la vie publique".

Et la députée d'argumenter : "Des questions comme la bioéthique, la fin de vie ou la PMA sont actuellement au cœur du débat public. Sur ces questions majeures pour la société, les associations à objet cultuel ont une parole forte et sont porteuses d'une ligne idéologique affirmée. Si leur parole doit être entendue dans le débat public, elle ne peut en aucun cas être injonctive." L'idée de l'amendement est, en définitive, de placer les associations cultuelles "sur le même rang que les autres représentants d'intérêt". Rejeté en commission spéciale le 7 juin dernier, il sera à nouveau examiné le 26 juin prochain... avec un soutien politique renforcé.

En effet, pas moins de 54 députés LREM ont désormais signé la nouvelle mouture de l'amendement. On y retrouve quelques figures connues de l'Assemblée, issues de diverses nuances du macronisme : l'aile droite avec Aurore Bergé, des anciens du PS comme Jean-Louis Touraine ou Laurianne Rossi, des parlementaires d'habitude en soutien total du gouvernement (Guillaume Chiche), d'autres plus habitués aux épisodes de rébellion (Sonia Krimi). Au total, en comptant les députés du MoDem, ce sont plus de 80 pensionnaires du palais Bourbon qui sont désormais mobilisés. Mais la lutte promet d'être ardue : Jean-Pierre Sakoun, président du CLR, relate dans un post Facebook que la députée macroniste à l'origine de l'amendement "a subi des pressions très dures de la part du direction du groupe LREM" pour retirer son projet. Devant son refus, "le cabinet du Premier ministre et celui du président", décrits comme "très mécontents", auraient "sorti l’artillerie lourde". Ces dernières informations nous ont été toutefois fermement démenties par Stéphanie Kerbarh, la députée LREM qui a déposé l'amendement. "Il n'y a pas de pression au sein du groupe parlementaire, le débat et les échanges y restent ouverts", a-t-elle confié à Marianne ajoutant qu'elle n'a eu "aucun retour" ni de l'Elysée ni de Matignon. Il y aurait donc désaccord, mais pas guerre ouverte au sein de la majorité sur ce sujet.

Les députés signataires de l'amendement ne manquent pas d'arguments : appuyés par Transparency International, ils arguent qu'"au niveau européen, les associations cultuelles sont inscrites sur le registre du lobbying sans que cela ne pose de difficultés particulières". Si le texte était adopté, il entrerait "en contradiction avec les pratiques européennes dans ce domaine". Quand la République française est moins laïque que l'UE... Pire, s'inquiètent les députés, l'article 38 pourrait "par un effet domino (...) remettre en cause la laïcité et la séparation des Eglises et de l'Etat (...)". En effet, la loi sur la confiance entérinerait la reconnaissance d'un statut particulier aux religions, ceci même alors que la loi de 1905 a établi que l'Etat "ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". De son côté, en mars, le gouvernement invoquait la nécessité d'installer "un climat de confiance dans les relations entre les pouvoirs publics et les représentants des cultes". Et le président met du cœur à cet ouvrage : ce 26 juin, Emmanuel Macron rendra visite au pape à Vatican pour y recevoir son titre de chanoine du Latran... le jour où la loi sur la confiance sera examinée en séance à l'Assemblée.

Article mis à jour

Mise à jour de l'article

Ajout de la réaction de la députée LREM Stéphanie Kerbarh.

Le gouvernement veut retirer les associations religieuses de la liste des lobbies

Les réseaux cathos de Macron


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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne