Des années sida à la présidence Trump... Comment « I Will Survive » est devenue une chanson politique

Près de 40 ans après sa sortie, « I Will Survive » continue de faire danser les foules. Mais, loin d'être un simple hymne de France 98, la chanson de Gloria Gaynor s'est transformée au fil du temps en symbole de lutte.
Des annes sida à la prsidence Trump... Comment « I Will Survive » est devenue une chanson politique
Michael Jutland / Getty images

« La-lala-la-la »…Ces quelques syllabes résonnent et font aussitôt ressurgir les images de la Coupe du Monde 1998. Depuis 20 ans, la reprise de « I Will Survive » par Hermes House Band est devenue la bande-son officielle de cette période bénie du football français, et une madeleine de Proust qui nous replonge aussi dans les scènes de liesse. Mais avant que Vincent Candela n’introduise ce tube dans les vestiaires des Bleus, avant qu’il ne devienne un condensé d’une émotion collective, le morceau de Gloria Gaynor avait déjà connu une destinée hors-du-commun. Celle d’un hit, confectionné pour les pistes de danse, devenu hymne de résistance.

Après avoir été propulsée sur le devant de la scène grâce au succès de « Never Can Say Goodbye » en 1974, Gloria Gaynor est, quelques années plus tard, à la recherche d’un nouveau titre pour prendre d’assaut les charts. De ses discussions avec le parolier de la Motown Dino Fekaris naît « I Will Survive », parfait écho à son combat de l’époque : elle a été victime, peu de temps avant, d’un accident qui manque de la laisser paralysée. C’est dans un fauteuil roulant, en proie à une douleur physique insoutenable, qu’elle enregistre en 1978 cet hymne à la survie sorti sur la face B d’un 45 tours. La maison de disques préférant promouvoir l’autre morceau « Substitute », la diva imagine un coup de publicité : démontrer son potentiel sur la foule du mythique Studio 54. « Nous avons amené avec nous un responsable de la maison de disques, pour lui montrer que les gens aimeraient cette chanson. Donc Ritchie l’a jouée pendant qu’on attendait en observant. Le public l’a immédiatement adorée. Et vous savez que le public new-yorkais aime rarement quelque chose dès le début », a expliqué Gloria Gaynor. Mission accomplie : un an plus tard, « I Will Survive » se retrouve en tête des hit-parades, et permet aussi à la chanteuse de décrocher le premier (et seul) Grammy Award pour meilleur album disco.

Sorti en pleine deuxième vague du féminisme, « I Will Survive » n’est pas que le récit de l’émancipation d’une femme délaissée par son compagnon. Elle intègre aussi, dans sa forme, cette montée en puissance : une introduction au piano toute en douceur, l’irruption de cette voix si profonde, puis une rupture de ton marquant le début de la libération. Briser ses chaînes, laisser la tragédie derrière soi et se laisser emporter par un refrain euphorisant… Le titre de Gloria Gaynor prend un sens à part pour les minorités qui, en plein 70s, contribuent à porter le mouvement disco et se mêlent sans préjuger sur la piste de danse : femmes, afro-américains, et surtout membres de la communauté queer. Comme le « I’m Coming Out » de Diana Ross, « I Will Survive » devient un véritable hymne gay, tant il est prompt à l'emphase et la théâtralité, validé en tant que tel par la pop culture. Il y a la séquence de danse dans In&Out, ce tacle d’une drag queen dans Boat Trip – « tu veux faire croire aux gens que tu es gay, mais tu connais même pas les paroles de “I Will Survive” » -, et la mythique scène de Priscilla folle du désert où les héroïnes créent une connexion avec des aborigènes en improvisant un numéro flamboyant.

Alors que le Sida frappe la communauté gay, cette célébration de la ténacité et de la résilience prend une toute autre résonnance. En 1981, Bobbi Campbell, un des premiers Américains touchés par la maladie, déclarait dans le journal The Sentinel : « J’ai choisi de porter un pin’s avec le titre du tube de Gloria Gaynor, “I Will Survive”. Cela me paraît aussi être un titre adapté pour cette tribune. J’écris parce que je suis déterminé à vivre. Vous aussi, non ? » Pour l’auteure Naomi Wolf, Gloria Gaynor est sans conteste une des personnalités les plus influentes de la pop culture des années 70-80.

En 2016, « I Will Survive » a d’ailleurs intégré la Bibliothèque du congrès, honneur seulement réservé aux textes comportant une valeur « artistique, culturelle et/ou historique » pour la société américaine. Sans surprise, Hollywood a aussi tenté de se réapproprier le morceau… Pour en faire un chant anti-Donald Trump. En janvier 2017, le gratin du cinéma US reprend en chœur le titre disco, à quelques jours de l’investiture du Républicain. « Si cette chanson a, depuis longtemps, été interprétée sous un prisme social, c’est l’hymne dont nous avons tous besoin aujourd’hui », expliquait W Magazine, à l’origine de cette initiative. Preuve que rien n’est plus cathartique, en temps de crise, que de lever le poing en vociférant : « Did you think I'd crumble, did you think I'd lay down and die ».