Interview

Daniel Cohn-Bendit : «Je défends l’idée d’une agence européenne des réfugiés»

Au lendemain du mini-sommet européen consacré à l’accueil des migrants, l’ancien eurodéputé Daniel Cohn-Bendit plaide pour une politique commune «d’immigration positive».
par Christian Losson et Charles Delouche-Bertolasi
publié le 25 juin 2018 à 20h56

Réunis dimanche à Bruxelles pour un mini-sommet consacré à la question migratoire, les dirigeants de seize pays de l’Union européenne n’ont fait que constater leurs désaccords. Emmanuel Macron a rappelé la possibilité de sanctionner financièrement les pays qui refuseraient d’accueillir les migrants. Dans son viseur : les pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie). Pour Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen, la situation européenne est cruciale à l’aube du sommet des Vingt-Huit.

Pensez-vous comme Emmanuel Macron que les pays qui bénéficient le plus de fonds structurels européens doivent être sanctionnés s’ils font preuve d’absence de solidarité envers les migrants ?

Je ne suis pas persuadé que ce soit la bonne méthode. Comme cette possibilité ne figure pas dans les conditions des fonds structurels, ça m’étonnerait que la France gagne devant la Cour de justice européenne. Je défends plutôt l’idée d’une agence européenne des réfugiés avec un budget conséquent qui serait dédiée à aider les municipalités ou les régions qui accueillent des migrants. Si une ville de Pologne décidait d’accueillir des réfugiés, cette agence pourrait la soutenir financièrement. Pour deux euros donnés à l’accueil des réfugiés, on dégagerait un euro pour le budget social de la ville d’accueil. On ferait ainsi profiter les populations de l’accueil des réfugiés.

Que penser de la volonté de Macron et du chef du gouvernement espagnol de mettre en place des centres d’accueil fermés sur le territoire européen ?

La France a déjà fait la proposition de mettre en place des hot spots dans les pays de transit comme le Niger. Cela pourra permettre à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides [Ofpra] d'organiser le voyage de ces réfugiés, de ne pas les obliger à passer par la Libye et traverser l'horreur. Même si les arrivées de réfugiés se tarissent, le prix payé pour ce flux est la situation en Libye. Il ne faut jamais l'oublier. Les centres y sont abominables et il est de plus en plus difficile de quitter le territoire.

Comment peut-on organiser les arrivées liées à la migration économique ?

Il faut créer une loi d’immigration économique en Europe. En fonction de l’évolution démographique et du marché du travail, il y a un besoin d’immigration dans des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. En faisant une loi d’immigration positive, on pourrait ouvrir des bureaux d’immigration européens dans les pays de départ. Les gens feraient une demande et ils auraient ainsi une chance de pouvoir aller travailler en Europe. S’ils décidaient d’y aller illégalement, ils perdraient cette chance. Avec ce système, on réduirait le nombre de migrants illégaux.

Cette loi ne risquerait-elle pas de créer un appel d’air ?

L’appel d’air fondamental est la pauvreté, le manque de perspectives. Il y aura toujours des personnes qui travaillent et vivent illégalement sur notre territoire car c’est le prix de la société ouverte et de la libre circulation.

L’Aquarius a cristallisé les tensions entre l’Italie et la France au sujet de la crise migratoire. Paris a-t-il été hypocrite ?

Le gouvernement et le président Macron ont fait une erreur avec l'Aquarius. Ils auraient dû l'accueillir dans le port de Bastia et faire ce qui a été mis en place à Valence en créant un centre d'accueil. On aurait envoyé l'Ofpra pour traiter les demandes d'asile. Dans de telles situations, ceux qui n'auraient pas droit à l'asile seraient rapatriés dans leur pays d'origine s'ils ont des papiers. Mais s'ils n'en ont pas, je ne sais pas ce qu'il adviendrait. C'est ça, notre drame. L'Union européenne doit organiser avec l'ONU une conférence sur l'immigration. Comme pour le climat, il n'y a pas de solution nationale, ni de solution européenne. Le problème est mondial. Il faut réfléchir à de nouvelles modalités de régulation, basées sur la solidarité obligatoire.

Est-on arrivé à un moment de vérité pour l’Europe, attaquée sur sa philosophie politique même ?

L’heure est cruciale pour l’Europe. On a perdu le débat idéologique. Quelle est l’acceptation des valeurs qu’on dit «européennes» dans nos propres populations ? En Italie, Salvini surfe sur une opinion publique largement de son côté. En Allemagne, la majeure partie de l’opinion est favorable à la position du ministre de l’Intérieur de refouler les migrants. Le courage politique est de ne pas toujours aller dans la direction voulue par l’opinion. Il ne faut pas la suivre lorsqu’elle est aussi lépreuse et néfaste. Mais il faut être aussi capable de tenir un équilibre pour que l’espace démocratique de nos sociétés ne s’effondre pas.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus