Migrants. Ils racontent l’enfer libyen

Par Fabien Perrier

La Libye, où s’est rendu, ce lundi, le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, est un passage obligé pour de nombreux migrants. Et c’est souvent la partie la plus éprouvante de leur périple, comme en témoignent ces récits recueillis à bord de l’Aquarius, le bateau dont l’accès à un port italien a été interdit, le 10 juin dernier.

Les arrivées successives de migrants sur les côtes italiennes ont suscité de nombreuses opérations de sauvetage de la part des associations humanitaires engagées en Méditerranée mais aussi des réactions hostiles de la part du nouveau gouvernement en place à Rome.
Les arrivées successives de migrants sur les côtes italiennes ont suscité de nombreuses opérations de sauvetage de la part des associations humanitaires engagées en Méditerranée mais aussi des réactions hostiles de la part du nouveau gouvernement en place à Rome. (Photo Hermine Poschmann/AFP)

« Je veux aider ma mère. Quand vais-je être libéré ? » Le Nigérian qui envoie cette phrase via internet, sur un réseau social, s’appelle Jeffrey. Il écrit ces mots depuis un « hot spot » en Sicile, un de ces centres de tri entre les migrants dits « économiques » et ceux qui peuvent demander l’asile. Il a été débarqué en Italie, le 27 mai, par l’Aquarius. Le navire-hôpital affrété par SOS Méditerranée, en partenariat avec Médecins sans frontières (MSF), l’avait en effet récupéré après un sauvetage par les militaires italiens au large de la Libye. Pour Jeffrey, l’Europe signifiait sortir de l’enfer. Désormais, elle est aussi une source d’inquiétude.

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Né en 1996, il a quitté Benin City, sa ville natale au sud du Nigéria, l’année de ses 20 ans. Il a trois ans quand décède son père. Sa mère, pauvre, ne peut payer l’école pour lui, son frère et ses deux sœurs. « Nous devions travailler. Je vendais de l’eau dans la rue », se souvient-il. Son récit mêle espoir et souffrance : « Ma mère a la tuberculose. Un jour, un homme m’a proposé d’aller travailler en Libye ».


« Un miracle que je sois en vie »


Dès que Jeffrey est sur la route, la réalité s’éloigne du rêve qui lui avait été vendu. Malgré la somme payée au passeur, et alors qu’il devait voyager en avion, il se retrouve à effectuer le trajet en bus, à cyclomoteur, et à multiplier les à pied dans le Sahara. En Libye, il devient « esclave ». « J’ai travaillé pendant quatre mois sans être payé chez un carrossier », narre-t-il.

Il est ensuite livré à un vitrier qui ne le paye pas non plus. Il tente un premier passage en Europe par la mer. L’embarcation est interceptée par les gardes-côtes libyens. Il est jeté en prison. Ce qu’il décrit relève du supplice : il est roué de coups, ligoté à des barres pendant que des décharges électriques sont envoyées dans ses bras… « Certains sont morts de faim, de soif… ou des violences », livre-t-il. Le regard plongé dans l’immensité bleue, il ajoute : « C’est un miracle que je sois en vie ». Désormais, il rêve « de travailler pour offrir à sa mère les traitements nécessaires ».


« J’ai décidé de tout faire pour partir en Italie »


Un rêve pouvant se réaliser ? Pas sûr. Actuellement, le règlement de Dublin régit l’asile sur le territoire européen. Ce texte fait peser la charge principale de l’asile sur les pays aux frontières extérieures de l’Union, comme la Grèce ou l’Italie. Mais l’Union européenne externalise ses frontières avec les accords signés, en 2016, avec la Turquie et, en 2017, avec la Libye. Ainsi, les migrants arrivés en Europe depuis ces pays doivent normalement y être renvoyés.

Franck, 26 ans, est lui aussi inquiet. Son père et sa mère ont été assassinés par le groupe terroriste islamiste Boko Haram, en 2014, à la sortie d’une église. Ce chrétien a quitté le pays où il ne pouvait plus payer ses droits de scolarité. Exploitation, racket, tortures sont les maux subis sur son trajet et en Libye. « Le Nigéria va de plus en plus mal. En Libye, nous sommes considérés comme des esclaves. C’est pourquoi, il y a un mois, j’ai décidé de tout faire pour partir en Italie… Je veux y travailler, y gagner ma vie », espère-t-il. Et de conclure : « L’Europe est ma seule chance de survie ».

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