Vis ma vie en CDD : précarité, incertitude... "Ça m'a abîmée"

par Antoine RONDEL
Publié le 26 juin 2018 à 16h01, mis à jour le 2 juillet 2018 à 14h39
Vis ma vie en CDD : précarité, incertitude... "Ça m'a abîmée"
Source : AFP

MARCHÉ DU TRAVAIL - Alors que les embauches en CDD n'ont jamais été aussi fortes, et les CDD proposés jamais aussi courts, le quotidien des travailleurs sous ce statut reste toujours semé d'embûches. Témoignages.

La statistique a de quoi faire lever les yeux. Selon le dernier rapport de la Dares, l'institut en charge de la statistique au ministère du Travail, publié le 21 juin, la part des CDD dans les embauches a atteint un nouveau record ces dernières années, avec 87% d'entre elles qui, en 2017, se sont effectuées par ce biais. 

L'autre enseignement, notable, de cette étude, qui atteste de la dégradation de la stabilité pour les personnes en CDD, est leur durée : en 2017, 30% de ces CDD ne duraient ainsi... qu'une journée.

CDD, intérim, intermittence : vers une surtaxation des contrats courtsSource : JT 20h Semaine

"Le Code du travail ne s'applique pas à notre échelle"

Des durées très courtes, pour un contrat de travail toujours précaire, et aux conséquences loin d'être anodines au quotidien. Cécile, 47 ans, sort ainsi d'une période de huit ans où elle a accumulé les CDD dit "d'usage", à raison de quatre ou cinq par mois, d'une durée de quatre jours. "J'effectuais des missions de commerciale pour une boîte d'événementiel qui m'embauchait indirectement, via une société de portage salarial." Une situation contractuelle illégitime de son point de vue, et qu'elle envisage d'attaquer aux prud'hommes : "Pas pour y retourner, mais pour obtenir la requalification de ces années de travail en CDI."

Car cette période a marqué cette mère célibataire : "Au quotidien, c'est un grand inconfort, permanent. Une incertitude constante qui m'a abîmée. On ne sait pas forcément si on va être rappelée, on ignore, d'un mois sur l'autre, ce que sera notre occupation, et à quel niveau seront nos revenus." 

Difficile, dès lors, de se projeter, confirme Elise, jeune journaliste qui enchaîne les CDD... d'un jour dans les rédactions. Pour elle, qui affiche des revenus compris entre 1600 et 1900 euros net, "le problème avec cette situation n'est pas tant financier que psychologique : on n'ose pas partir en vacances de peur d'être oubliée par les rédactions, on ne refuse rien par peur qu'on ne nous rappelle plus. Résultat, il m'arrive d'enchaîner deux journées de travail dans la même journée (ndlr : pour deux employeurs différents). Et je prends en ce moment ma première semaine de vacances depuis un an et demi." Onze heures de repos minimum entre deux journées de travail, cinq semaines de congés payés par an... autant de dispositions prévues par le Code du travail "qui ne s'applique pas à notre échelle", constate Elise.

Crédit immobilier quasi-impossible

Mais cette précarité ne s'arrête pas au seul aménagement du temps de vie. Plusieurs aspects du quotidien sont impactés par les CDD, quelle qu'en soit la longueur. Difficile, par exemple, de contracter un crédit bancaire : "Ça ne va pas plus loin qu'un crédit à la consommation, raconte Cécile. Je m'étais renseigné pour un crédit immobilier auprès de ma banque. Je n'ai même pas fait de dossier, parce qu'ils n'avaient pas de visibilité sur mes revenus. C'était impossible. Je ne pouvais pas obtenir de promesse d'embauche de la part de mon entreprise et, élevant ma fille seule, je n'avais pas d'autres revenus à présenter." Une absence de confiance qui se double parfois d'une absence de considération : "Ma banque ne comprend pas ce que je fais, explique Elise. Quand j'ai demandé à augmenter mes traites pour finir de rembourser mon prêt étudiant, ils m'ont répondu que c'était un peu compliqué, vu que je n'avais pas encore de vrai travail..."

Les tractations immobilières sont également rendues compliquées. "Rien n'oblige les propriétaires et les agences à accepter un dossier où il n'y a pas de CDI", explique une agente immobilière contactée par LCI, confirmant là les galères que nous racontent nos interlocutrices face à des bailleurs à la recherche de locataires disposant de revenus stables et réguliers. "Pour louer un appartement, même en province, j'ai dû essuyer plusieurs refus. Contrat précaire, mère et célibataire : c'était la triple peine", se rappelle Cécile qui, malgré sa précarité, affiche des revenus oscillant entre 2500 et 3000 euros par mois. "Et puis j'ai fini par tomber sur une agence sympa, à qui j'ai montré mes avis d'impôts des trois, quatre dernières années. Ils ont compris que mes revenus étaient relativement réguliers."

"La flexibilité, c'est bon pour l'employeur, pas pour les travailleurs"

Si Cécile a opté pour la persévérance, Elise, elle, a pris une voie détournée : "Avec ce statut, je savais bien que je n'aurais aucune chance d'être retenue. Alors j'ai demandé à un ami de maquiller un de mes contrats journaliers pour le transformer en CDD long. Mais, même là, ça a été compliqué. D'ailleurs, notre propriétaire, qui connait bien notre situation, n'a pas de scrupule à s'en servir. On lui réclame depuis un an et demi des travaux d'électricité dans notre appartement. Sa seule réponse, c'est 'Allez voir ailleurs', bien conscient qu'on n'en a pas vraiment les moyens."

De maigres avantages viennent compenser une situation qui est avant tout subie : "Au salaire net s'ajoutent les congés payés, la prime de précarité et le 13e mois, ce qui fait qu'à travail égal,  on est mieux payé, même si certaines rédactions ont commencé à baisser les paies", constate Elise, qui prend son parti de cette flexibilité. "Sur les petits contrats, ça offre une certaine liberté. Si le boulot est vraiment mauvais, je sais que je peux partir. Mais ça atteint rapidement une limite, puisqu'il faut payer les factures". Et pour ça, le CDI reste encore le contrat idéal. "La flexibilité, c'est bon pour l'employeur, renchérit Cécile. Pas pour les travailleurs que cette situation rend corvéables à merci, alors qu'ils auraient besoin de revenus stables."


Antoine RONDEL

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