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D’Australie en Sicile, le voyage du cacatoès de l’empereur Frédéric II

Une nouvelle étude du traité d’ornithologie et de fauconnerie, rédigé au XIIIe siècle par Frédéric II, démontre l’étendue des liens commerciaux au Moyen Age.

Publié le 26 juin 2018 à 16h58, modifié le 26 juin 2018 à 16h58 Temps de Lecture 3 min.

Au détour du folio 18v, un héron et un cacatoès.

Le protectionnisme c’est tellement… XXIe siècle. Il y a 780 ans, le concept de mondialisation ne faisait peur à personne. Sûrement pas à Frédéric II – Frédéric de Hohenstaufen (1194-1250) –, roi de Sicile et empereur du Saint Empire romain, ni à la dynastie des Ayyoubides (Egypte, Syrie, Yémen, Libye) et leurs fournisseurs.

Le De Arte Venandi cum Avibus (L’art de chasser avec des oiseaux), traité d’ornithologie et de fauconnerie rédigé au XIIIe siècle par Frédéric II pour son fils Manfred (1232-1266), en apporte l’illustration, de manière éclatante. Au détour des 111 folios de ce manuscrit, entre une grive, un héron, un léopard et un milan on y croise quatre représentations de cacatoès. Encore, fallait-il le savoir.

Cet oiseau, qui appartient à la famille des perroquets, vit en Australie, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et sur certaines des îles d’Indonésie. Sa présence dans le bestiaire moyenâgeux rebat donc les cartes des routes commerciales entre l’Europe et le reste du monde au XIIIe siècle. Jusqu’à présent, la première description des cacatoès remontait à la fin du XVe siècle.

« Le fait qu’un cacatoès arrive en Sicile prouve qu’il existait un réseau d’échanges commerciaux qui s’étendait de l’Australie à l’ouest du Moyen-Orient et au-delà », explique à la BBC la Dr Heather Dalton, de l’université de Melbourne, en Australie, qui a fait cette découverte, avec Jukka Salo, Pekka Niemelä et Simo Örmä, des chercheurs finlandais.

Le cadeau du vice-roi d’Egypte

En 2014, Heather Dalton s’était intéressée à La Vierge de la Victoire, un tableau de 1496 d’Andrea Mantegna (vers 1431-1506), au Louvre, qui montre la première représentation d’un cacatoès.

Après la publication d’une étude intitulée « A Sulphur-crested Cockatoo in Fifteenth-Century Mantua : Rethinking Symbols of Sanctity and Patterns of Trade » (un cacatoès à huppe jaune dans la Mantoue du XVe siècle : repenser les symboles de sainteté et les modèles du commerce) dans Renaissance Studies, et d’une série d’articles, Mme Dalton a été contactée par le professeur Pekka Niemelä, de l’université de Turku (Finlande). Ce dernier, aidé de ses collègues Jukka Salo – un zoologiste – et Simo Örmä – intendant de l’institut finlandais à Rome –, travaillait à l’identification des images dans le manuscrit de Frédéric II.

Un texte en latin à côté du dessin du cacatoès le décrit comme un cadeau fait par Al-Malik al-Kâmil Nâsîr ad-Dîn « le Parfait » (1177-1238), vice-roi d’Egypte de la dynastie des Ayyoubides (1171-1341). « Les chercheurs, y compris moi, savaient que le sultan avait fait don d’un perroquet blanc à Frédéric II, peu savaient qu’il existait des représentations de cet oiseau », précise à la BBC Heather Dalton.

La chercheuse estime que le voyage du cacatoès depuis son habitat d’origine jusqu’à la Sicile, via Le Caire a duré plusieurs années, sachant que cet oiseau peut vivre jusqu’à 50 ans. En examinant les dessins du manuscrit, les chercheurs concluent que l’oiseau est une femelle, en raison de la peinture rouge utilisée pour représenter les yeux : les cacatoès femelles ont les yeux brun-rouge ou rouges, les mâles les yeux noirs. Ils relèvent que la crête de l’oiseau n’est pas dressée, en signe d’agressivité, crainte, surprise ou lorsqu’ils font la cour, ce qui semble indiquer que l’oiseau de Frédéric II se sentait en sécurité lorsqu’il a été représenté.

Les cacatoès femelles, ici, celle qui apparaît au folio 20, ont les yeux brun-rouge ou rouge, les mâles les yeux noirs.

Routes maritimes et routes de la soie

« Cette découverte nous force à réviser notre perception de la région [l’Australasie] et pas seulement l’Australie et les îles alentours, comme étant la dernière à avoir été explorée. Les Européens considèrent que c’est un continent mort et qu’il ne s’y passait rien avant leur découverte », précise encore la chercheuse au Guardian, dénonçant la lecture « européocentriste » de l’histoire.

La chercheuse souligne qu’en plus des routes de la soie, les échanges commerciaux de la Chine avec la région avaient conduit à l’émergence de nouveaux ports commerciaux dans le royaume de Champā (le sud du Vietnam), Sumatra et Java, permettant une circulation des marchandises entre l’Asie du Sud-Est et la Chine, et au-delà vers la région de l’océan Indien, le Moyen-Orient puis la Méditerranée orientale et l’Europe.

Ce n’est pas la première fois que des animaux présumés issus du continent australien sont représentés dans des dessins de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle : un livre liturgique appartenant à Caterina de Carvalho, acheté par la galerie new-yorkaise Les Enluminures, montrait une créature ressemblant vaguement à un kangourou, quelques années avant l’arrivée du premier navire hollandais sur les rivages de l’Australie.

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