Comment Terry Crews est devenu un porte-parole inattendu de #MeToo

Habitué des rôles testostéronés, Terry Crews s'est pourtant imposé en fervent critique de la « masculinité toxique ». Un combat qui lui vaut les critiques et les moqueries d'une partie de Hollywood...
Comment Terry Crews est devenu un porteparole inattendu de MeToo
Christopher Polk/Getty Images For EIF

« J'ai vu de nombreux hommes noirs être provoqués, poussés à la violence. Ils ne sont plus là »… Ainsi répond Terry Crews, les larmes aux yeux, quand un sénateur lui demande : « pourquoi n’avez-vous pas repoussé votre agresseur ? » Ce 26 juin, l’acteur de Brooklyn Nine-Nine est venu défendre la « Sexual Assault Survivors Bill of Rights », loi visant à mieux aider les « survivants » d’abus sexuels, devant le Congrès. Car depuis plusieurs années, bien avant qu’il ne rejoigne le mouvement #MeToo en partageant son histoire, le comédien est parti en croisade contre la masculinité toxique… Avec la ferme intention de bousculer l’ordre établi.

Les premiers engagements

Ancien joueur de la NFL (ligue de football américaine), Terry Crews a forgé sa filmographie dès la fin des années 90 en faisant de son physique imposant un atout. Qu’il joue un membre de gang dans Training Day, un gros bras dans Expendables ou un père hilarant dans Everybody hates Chris…. L’ancien sportif met à profit cette carrure dans des films d’action, mais l'utilise aussi comme un ressort comique. Derrière cette image d’hypermasculinité - teintée d’un certain sens de l’autodérision -, se cache aussi un individu en profonde introspection. Le titre de ses mémoires, sorties en 2014, résume d’ailleurs le questionnement principal de sa vie : comment être un homme meilleur ? Au grand dam de sa maison d’édition qui espérait un livre de développement personnel, l'ouvrage est surtout un récit intime. Le comédien y raconte ces nuits où, enfant, il entendait son père alcoolique frapper sa mère. Il s’interroge aussi sur ses propres privilèges et le rapport qu’il a entretenu avec les femmes. « J’ai été ce gars qui pensait avoir plus de valeur que son épouse et ses enfants », confiera-t-il dans l’émission The Agenda With Steve Paikin. En abordant la question du sexisme sous un prisme personnel - d’autant qu’il a évolué dans deux industries (le sport et le cinéma) où la masculinité toxique règne en maître - il évite aussi l’écueil du mansplaining : il ne veut pas parler au nom des femmes, mais être leur allié en mettant ce sujet au centre du débat.

Rien d’étonnant, au vu de ses déclarations précédentes, que Terry Crews soit un des premiers et rares hommes à rejoindre le mouvement #MeToo. Le 10 octobre dernier, alors que le New York Times vient de publier une enquête à charge contre Harvey Weinstein, son engagement prend un nouveau tournant. « Je venais juste de lire un commentaire sur Twitter à propos de l’une des accusatrices. Cela disait grosso modo : “elle veut juste de l’attention et un salaire”. Cela m’a affecté. Je n’ai pas cessé d’y penser », se remémore-t-il dans le Time. Il prend alors son téléphone et révèle, dans une série de tweets, avoir aussi été victime d’agression sexuelle : « Ma femme et moi étions à un événement l’année dernière quand un ponte de Hollywood est venu vers moi et a touché mes parties génitales. » Un mois plus tard, encouragé par le vent de protestation ambiant, il désigne le coupable présumé – le puissant agent Adam Venit – et dépose même une plainte. Si celle-ci est classée sans suite et que l’agent ne subit aucune sanction hormis une brève suspension, la star n’a nulle intention de refermer la boîte de Pandore.

Impitoyable Hollywood

Bien qu'il bénéficie de soutiens, Terry Crews subit aussi les répercussions de son témoignage : « désormais, quand j’entre dans une pièce, c’est comme si tout le monde s’écartait », racontait-il à Buzzfeed. Il se voit ainsi poussé vers la sortie par le producteur d’Expendables 4, lorsque celui-ci lui suggère d’abandonner les poursuites pour éviter « les ennuis ». Adam Venit compte en effet Sylvester Stallone, la star de la saga, parmi ses prestigieux clients. « Cela demande beaucoup de courage de parler de cela en tant qu’homme, mais surtout d’homme de couleur », confiait Imani Hakim, une de ses anciennes collègues, au média. S’il n’a pas été épargné par le racisme récurrent à Hollywood – « j’ai longtemps joué le faire-valoir d’hommes blancs », confiera-t-il au Guardian –, l'acteur n’en est pas moins critique sur la misogynie latente dans la communauté afro-américaine. « J’ai toujours dénoncé ces abus, cette “pimp culture” qui glorifie des mecs qui ont deux ou trois copines. J’ai été à un rassemblement pour les droits civiques et certains types disaient à leurs femmes : “salope, assis-toi” », racontait-il au Time. Dernier exemple en date de cette mentalité toxique, un tweet moqueur du rappeur 50 Cent mettant en parallèle le témoignage de Terry Crews et une photo de sa musculature. Insensible à cette injonction d’invulnérabilité, le comédien continue de mener son combat et laisse couler ses larmes devant le Congrès. Comme pour dire : « c'est ça, être un homme ».