"Dans le travail de Jean-Michel Basquiat, il y a toujours ce flirt avec la mort"

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"Dans le travail de Jean-Michel Basquiat, il y a toujours ce flirt avec la mort"

Portrait de Jean-Michel Basquiat présenté à la rétrospective qui lui était consacrée  "The Jean-Michel Basquiat Show" à Milan en 2006.
Portrait de Jean-Michel Basquiat présenté à la rétrospective qui lui était consacrée "The Jean-Michel Basquiat Show" à Milan en 2006.
© AFP - Filippo Monteforte

2003. À l'occasion de la rétrospective en 2003 au musée Maillol à Paris, "Jean Michel Basquiat, histoire d'une œuvre 1960-1988", Jean Daive consacre son émission "Peinture fraîche" au roi du street-art en compagnie entre autres, du couturier Jean-Charles de Castelbajac et du critique d'art Germano Celant.

En juin 2003, l'émission "Peinture fraîche" revenait sur l'œuvre prolifique et énigmatique de Jean-Michel Basquiat, à la fois peinture "tribale et noble" selon le critique d'art italien Germano Celant.

Jean-Michel Basquiat c'est le symbole de l'indépendance, c'est le roi de cette tribu. Jean-Michel représentait une dimension tribale. Germano Celant

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Andy Warhol "était la référence de Basquiat" d'après Celant, mais "Basquiat est très cynique dans sa relation, il utilise Andy mais c'est bien parce qu'Andy aime être utilisé !"

C'est une vie parallèle, ça c'est clair car si tu ne connais pas tous les codes d'interprétation, c'est très symboliste. Il y a une manière d'écrire, un langage secret dans son système. Dire des choses parallèles signifie aussi : mon univers existe et par une très grande image je le communique, je communique une histoire sauvage contre votre image décadente. Germano Celant

"Peinture fraîche : peinture et délinquance" (1/2) autour de Jean-Michel Basquiat, le 25/06/2003 sur France Culture

42 min

Pour l'écrivain Alain Jouffroy, "Basquiat c'est une offensive générale, un combat de chevalerie contre l'Occident tout entier".

Il n'y a pas de précédent à l'œuvre de Basquiat et il n'y a pas de véritable successeur, il y a des suiveurs. Il n'y a pas d'équivalent d'un Basquiat aujourd'hui et avant Basquiat, on a beau essayer d'attacher Basquiat à l'action-painting, à Pollock, tout ça... tout ça c'est complètement faux, ça n'a rien à voir. Warhol l'a compris, qui l'a soutenu d'ailleurs. Alain Jouffroy

Il se dit "tatoué" par la peinture de Basquiat, comme s'il avait reçu lui-même des coups, comme "contaminé" par ses tableaux. "Pour lui, la pensée elle-même est une forme de révolte, la peinture elle-même est une forme de révolte."

Récupéré par le marché, par le succès commercial et médiatique, il [Jean-Michel Basquiat] a continué le combat malgré le succès. Il ne s'est pas laissé avoir par le système et on a fini par lui en vouloir. Alain Jouffroy

Jean-Charles de Castelbajac, couturier qui a bien connu Basquiat, tente de définir sa personnalité :

Il est surtout un état insulaire de solitude. Il est quelqu'un en quête d'amour, plus en quête d'amour qu'en quête de célébrité, il est définitivement l'une des personnes qui humainement m'a semblé la plus généreuse. Jean-Charles de Castelbajac

Il raconte sa rencontre avec le peintre âgé alors d'une vingtaine d'années :

Le jour où je l'ai rencontré à Soho, j'ai rencontré un ange. [...] Il était là dans une chemise blanche immaculée, avec une espèce de couronne, et je pense que la métaphore de la couronne que l'on retrouve toujours dans son travail, en fait c'est sa manière tribale de porter ses cheveux. Des yeux très présents et perdus à la fois. J'ai passé sept heures d'affilée avec lui et quelque chose d'intime de presque impudique comme la genèse d'une amitié est née ce jour-là. Jean-Charles de Castelbajac

Le couturier cherche à qualifier l'œuvre picturale de Basquiat qui était "dans une perpétuelle quête" :

Il n'y avait pas un plan de carrière. Quand on voit certains dessins, ils sont la matrice de beaucoup d’œuvres, il y avait un côté répétitif, qui venait de la profondeur d'une recherche, il y avait quelque chose de profondément cultivé chez Jean-Michel mais il y avait aussi une espèce de mesclun de tout : un mesclun de vaudou, un mesclun de Mona Lisa, un mesclun avec une feuille qui venait du Louvre, une feuille qui venait du Prado, une feuille qui venait d'une culture tribale, une feuille qui venait de Malevitch... à la fin ça faisait cette extraordinaire salade au goût différent, au goût dérangeant, au goût qui n'était que l'inscription de sa trace. Je ne peux pas différencier l'homme et l'œuvre. Jean-Charles de Castelbajac

"Peinture fraîche : peinture et délinquance" (2/2) autour de Jean-Michel Basquiat, le 25/06/2003 sur France Culture (large extrait).

37 min

Je me souviens avoir acheté mes tout premiers dessins 200 dollars à l'époque, un petit peu sous les quolibets... et en rentrant en France je suis vraiment parti en guerre pour me battre pour lui parce que je pensais vraiment, et c'était la réalité, que c'était le plus grand dans l'Amérique des années 80. D'abord c'était le premier artiste noir, c'était un peu le pendant de Charlie Parker et d'ailleurs il a eu un peu le même destin que lui [...] Jean-Michel a été plus apprécié au départ en Europe qu'il ne l'a été aux Etats-Unis. Je me suis beaucoup bagarré pour lui. Je l'ai rencontré chez Yvon Lambert et j'ai découvert un être absolument extraordinaire, à la fois charismatique, attendrissant, prodigieux et fragile. Pierre Cornette de Saint-Cyr

Le commissaire priseur Pierre Cornette de Saint-Cyr se souvient de sa découverte de Basquiat et analyse la collaboration Warhol-Basquiat comme une confrontation : "Les collaborations Warhol-Basquiat, c'est la clé de lecture de toutes les guerres actuelles. Tout ce qui se passe actuellement dans le monde c'est Warhol-Basquiat, c'est une sorte de lutte entre l'uniformisation planétaire voulue, mise en place et la revendication des racines culturelles."

Basquiat est un grand inventeur, c'est un grand aristocrate, c'est un grand créateur de formes. Non seulement il a créé des formes, mais il a créé un vrai contenu, il parle de nous, de spiritualité, d'énergie, d'amour des autres. Pierre Cornette de Saint-Cyr

Cornette de Saint-Cyr ne voit pas du tout Basquiat comme un délinquant, car "un délinquant cherche à prendre aux autres, Basquiat ,lui, donnait énormément". Il évoque sa réelle générosité une fois célèbre. Sur la présence de la couronne dans ses toiles, le connaisseur de Basquiat donne son sentiment, "c'était un roi, il s'est auto-couronné, et à juste titre".

[Jean-Michel Basquiat] n'a jamais été aussi contemporain, il n'a jamais été aussi moderne mais surtout il n'a jamais été aussi pérenne. Jean-Charles de Castelbajac

Une vie, une oeuvre
59 min
  • "Peinture fraîche : Peinture et délinquance" 
  • Première diffusion le 25/06/2003
  • Producteur : Jean Daive
  • Réalisation : Clotilde Pivin
  • Indexation web : Odile Dereuddre, de la Documentation de Radio France