Le Champo : la délicieuse histoire d'un légendaire cinéma de quartier

Le cinéma parisien fête ses 80 ans avec des projections et des rencontres. Retour sur l’histoire d’une salle légendaire du Quartier latin. 

Par Caroline Besse

Publié le 28 juin 2018 à 14h10

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h20

C'est la figure de proue de la rue Champollion. Le Champo ー Espace Jacques Tati, cinéma mythique du Quartier latin, dans le 5e arrondissement de Paris, voisin du Reflet Médicis et de La Filmothèque, se fait plutôt discret de jour, au pied d’un classique immeuble haussmannien. Mais, le soleil couché, il s’illumine, tel un phare dans la nuit, grâce à ses néons blancs. Un illustre phare qui fête fièrement ses 80 ans. Les célébrations ont d’ailleurs été inaugurées cette semaine et se poursuivront jusqu’au 3 juillet avec, ce jeudi 28 juin notamment, la projection de La Jalousie, de Philippe Garrel, suivie d’une rencontre avec le réalisateur et son fils Louis.

Ce mardi après-midi, Michèle, élégante Versaillaise elle aussi âgée de 80 printemps, attend un ami pour assister à la première séance de l’après-midi : « Je me rends régulièrement à Paris, et j’en profite pour aller au Champo, explique cette ancienne professeure de lettres classiques. Je viens en fonction des films qui y sont programmés. J’aime beaucoup les polars, les films de Visconti et d’Ettore Scola. » C’est d’ailleurs pour un classique du réalisateur italien, Nous nous sommes tant aimés, qu’elle a fait le déplacement ce jour-là.

Derrière elle, Ysaline, Bruxelloise de 35 ans, patiente également avant la projection du film. Journaliste cinéphile, elle se rend très souvent dans la capitale française pour son travail et ne manque jamais d’aller au Champo, une fois par mois en moyenne : « Je profite des films de patrimoine, bien souvent projetés en version restaurée. Il y a peu d’endroits à Bruxelles où l’on montre de vieux films, et les nouvelles sorties qu’on aura oubliées dans quelques mois, ça m’intéresse peu. Le Champo est un cinéma merveilleux ! » 

Une fois la dizaine de spectateurs répartis dans la salle 1 (Le Champo compte deux salles de 130 places chacune), Daniel Cartier, le projectionniste, qui s’occupe également de la caisse, est disponible pour nous raconter ses souvenirs. Car Daniel, 60 ans, travaille à plein temps au Champo depuis 1982 : « Si je suis là depuis trente-six ans, c’est que je m’y plais, sourit-il. Le boulot, depuis, a bien sûr, beaucoup changé, notamment avec le passage au numérique dans les années 2000. Avant, les films restaient six mois à l’affiche ! Mais quand ça n’a plus marché, on a dû se diversifier. » Avec des soirées-débats, des nuits (la première, organisée il y a une dizaine d’années, en hommage à Tim Burton) et une programmation plus riche. « Les ressorties et rééditions de films font revenir les gens au cinéma, malgré leur disponibilité en DVD », constate-t-il, même si la clientèle, jadis constituée de beaucoup d’étudiants, « n’a pas rajeuni ». Le transfert de l’Ecole polytechnique à Palaiseau n’y est sans doute pas pour rien. « On a perdu beaucoup de clients », confirme Christiane Renavand, la directrice du Champo depuis 1980, année de la retraite de son père, Roger Joly, qui la précédait à ce poste depuis 1938. « J’ai grandi au Champo, puisqu’on habitait dans l’appartement juste au-dessus de la salle, la maison de mes parents, en province, ayant été bombardée pendant la guerre. » 

Elle se souvient avoir été « séduite » par le film Drôle de drame, de Marcel Carné, dont la projection avait essuyé un retentissant échec sur les Champs-Elysées, mais qui, programmé au Champo, avait attiré les étudiants du Quartier latin comme des mouches, et fit la réputation du cinéma. « Quand j’ai pris la direction de la salle, j’étais ignare, explique-t-elle en riant. Je ne savais même pas ce qu’était la TVA. Mais, très vite, j’ai acquis de l’expérience et suis devenue amie avec des distributeurs, qui étaient très heureux de nous proposer des films », dont certains sont aujourd’hui toujours projetés en 35 mm. Christiane Renavand, mémoire vivante du cinéma, se souvient aussi de son combat en 2000, alors que l’immeuble était en passe d’être vendu à des entrepreneurs britanniques : « J’ai alerté les pouvoirs publics, et le cinéma a été classé monument historique ! L’acheteur s’est alors retiré. » Ainsi protégé, le cinéma pourra garder longtemps la mémoire des soirées cinéphiles prestigieuses organisées en ses murs, notamment à l’occasion de ses 50 ans, en 1988, ou des rétrospectives consacrées à Alain Resnais, Woody Allen, Aki Kaurismaki ou Akira Kurosawa… Il conservera aussi le souvenir de François Truffaut, qui disait à ses amis : « Viens au Champo, j’y suis tout l’après-midi », et de Claude Chabrol, qui parlait de cette salle mythique comme de sa « seconde université ».

Tout le programme des 80 ans :

Jeudi 28 juin
19h30  : La Jalousie, de Philippe Garrel, projection suivie d’une rencontre avec Philippe Garrel et Louis Garrel, soirée animée par Philippe Azoury.
20h15  : Coup pour coup, de Marin Karmitz, avant-première Cannes Classics. Projection suivie d’une rencontre avec Marin Karmitz, animée par Jean-Pierre Lavoignat.

Vendredi 29 juin
20h : Searching for Ingmar Bergman, de Margarethe von Trotta, avant-première Cannes Classics. Projection suivie d’une rencontre avec Margarethe von Trotta, animée par Antoine de Baecque.
20h30 : Ils étaient neuf célibataires, de Sacha Guitry, projection suivie d’une rencontre avec Francis Huster, animée par Noël Herpe.

Samedi 30 juin
14h : Le Voyage dans la lune, de Méliès + Charlot migrant + La Maison démontable, de Buster Keaton, projection suivie et animée par Serge Bromberg.
20h : Fitzcarraldo, de Werner Herzog, projection suivie d’une rencontre avec Claudia Cardinale, animée par Antoine de Baecque.

Dimanche 1er juillet
14h : Les 20 ans de Kirikou et la Sorcière, de Michel Ocelot, avec une rencontre en sa présence après la projection.
De 16h30 à 18h :  master class avec Juliette Binoche, animée par Antoine de Baecque.
20h30 : Les Vacances de monsieur Hulot, de Jacques Tati, avec une présentation de Jérôme Deschamps.

Lundi 2 juillet
19h40 : Cinémas mythiques, mémoires des salles obscures, Le Champo, documentaire de Joël Farges, en sa présence, suivi d’une rencontre animée par Antoine de Baecque. 
21h30 : Lettre d’une inconnue, de Max Ophuls, projection suivie d’une rencontre avec Antoine Sire, auteur de Hollywood, la cité des femmes (éd. Actes Sud), animée par Antoine de Baecque.

Mardi 3 juillet
20h30 : La Princesse de Montpensier, de Bertrand Tavernier, parrain des 80 ans du Champo. Projection suivie d’une rencontre en sa présence, animée par Antoine de Baecque. 

Le Champo, 51, rue des Ecoles, Paris 5e, 01 43 29 79 04.

 

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