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Arboretum des Barres
Point de vue

L’Arboretum national des Barres bientôt fermé au public

Le lieu, qui rassemble dans le Loiret un vaste ensemble d'arbres et arbustes répartis sur 35 hectares, n'accueillera plus de visiteurs d'ici la fin de l'année et concentrera son action sur l'entretien et le renouvellement des collections.

Il y a là des séquoias géants qui culminent à quarante mètres, des épicéas de Serbie, des bouleaux blancs de Chine, des cèdres de l’Himalaya, des cyprès chauves de Louisiane, des cèdres bleus d’Algérie, des parrotias de Perse… Et quelques centaines d’autres essences encore. Ces arbres imposent leur beauté depuis plus d’un siècle. Ils appartiennent à la partie la plus ancienne du vaste ensemble que constitue l’Arboretum national des Barres.

Plus de 10 000 arbres ; 2500 espèces végétales ligneuses. Une collection unique en Europe, l’une des plus riches au monde. Pins, ormes, aulnes, noyers noirs, féviers, eucalyptus, thuyas géants, tulipiers, caryas… Une merveille. Oui, une merveille mais à laquelle d’ici la fin de l’année, comme l’a annoncé un communiqué de presse le 11 juin dernier, le public n’aura plus accès. Ce qui est une décision extrêmement grave, vraiment inopportune à l’heure où l’éducation au respect de l’environnement est plus que d’actualité et où la curiosité pour les arbres est de plus en plus grande.

Lieu ignoré des Français

Situé au cœur du Gâtinais, à Nogent-sur-Vernisson, dans le Loiret, à 130 kilomètres au sud de Paris, l’Arboretum des Barres, est géré depuis 2009 à la demande de l’État par l’ONF (Office national des forêts). Un État qui est aujourd’hui clairement mis en cause dans l’annonce de cette fermeture accueillie avec stupeur : « La demande de prise en charge était assortie d’un engagement de financement de l’État, et des collectivités locales jusqu’en 2012. Depuis, malgré plusieurs études menées pour valoriser le site, aucun nouveau financement n’a pu être mobilisé, laissant une part de plus en plus importante du déficit à la charge de l’ONF. » Soit 300 000 euros, l’exploitation du site coûtant annuellement 800 000 euros alors que les ressources ne sont que de 500 000 euros tout compris.

« Dans le contexte économique actuel, l’ONF ne peut plus assumer cette dépense, la décision a donc été prise de limiter en 2019 son action à la stricte réalisation des actions d’entretien et de renouvellement des collections financées par le ministère, et ainsi de mettre fin à toute intervention de ses personnels pour les missions d’accueil du public dès la prochaine saison. » Car force est de constater que le nombre des visiteurs, bien que passé en neuf ans de 11 000 à 17 000, ne suffit pas à assurer l’équilibre économique. C’est que, périodiquement sillonné par des experts et amateurs venus du monde entier, l’Arboretum des Barres, faute de publicité, souffre cruellement d’être ignoré des Français.

Labélisé « Jardin remarquable » en 2004

L’histoire des Barres fut longtemps liée à la passion des Vilmorin, grande famille de la graineterie française. C’est Philippe-André de Vilmorin qui, en 1821, était devenu propriétaire de ce domaine pour entreprendre de le boiser. En 1866, l’État en achetait une partie pour y ouvrir une école forestière. Son directeur Constant Gouet, implantait alors une collection d’espèces américaines, méditerranéennes (Afrique), européennes et asiatiques quand, sur la partie privée, Maurice de Vilmorin créait un fruticetum : aubépines, rosiers botaniques, chèvrefeuilles et camérisiers, magnolias, rhododendrons, lilas, cornouillers, etc. sans oublier une très rare collection de vignes rescapées du phylloxéra.

Par la suite, l’arrivée de Léon Pardé, nommé Directeur de l’École des Barres en 1919, relançait les opérations de plantations quelque peu délaissées pendant la période de la guerre avant que l’État n’acquière en 1936 la totalité du site avec son château (280 hectares dont 90 de plantations) labélisé « Jardin remarquable » en 2004. Les arbres y sont classés par paysages géographiques, par genre ou par essence. Les Barres possèdent également une collection, regroupée dans l’arboretum Lemosse, de sujets à port étonnants, hors du commun, comme le hêtre de Verzy, le noisetier tortueux ou le séquoia pleureur.

L’avantage de cet ensemble ancien et prestigieux, que constitue l’Arboretum des Barres, est bien sûr d’apporter le témoignage irremplaçable pour le scientifique, le forestier mais aussi pour le paysagiste, de l’adaptation d’un nombre important d’espèces. Et puis, de telles collections dendrologiques servent à mieux faire connaître la richesse et la diversité du monde des arbres.

Mais surtout, comme au Louvre, c’est une collection de patrimoine héréditaire, la réunion en un seul lieu de gènes du monde entier de sorte que la fermeture au public de ce site remarquable est une très mauvaise nouvelle pour tous les passionnés d’arbres. Nombreux sont ceux qui bien sûr sont consternés de cette déplorable décision. Le propre d’une collection, qui a toujours un rôle à jouer, que l’on peut dire essentiel, en matière pédagogique, n’est-il pas en effet d’être vue, d’être ouverte à tous ? Au-delà on peut même se demander ce qu’il en sera de la gestion sur place de cet ensemble unique d’arbres et si ce n’est pas finalement la meilleure façon de le ruiner.

Désengagement progressif de l’État

Le problème pour l’ONF n’est-il en effet que celui d’une fréquentation insuffisante venant à creuser toujours un peu plus son déficit ? Car, depuis des décennies, les moyens, qui lui sont affectés, pour assurer la maintenance et la pérennité du site sont en réalité dérisoires. Il faut planter, replanter, rénover, entretenir. Rappelons que, déjà en 1987, Raymond Durand, professeur de botanique forestière, responsable scientifique de l’Arboretum à cette époque, lançait un cri d’alarme : « Ce patrimoine est dans un état critique ; on est à l’extrême limite. Un millier d’espèces, sur les 3500 présentes en 1962 ont déjà disparu complètement disparu. Avec des pertes proches de 80% chez certains genres, tels les cyprès [1]. » Une campagne de dons était même lancée récemment pour permettre à tous les arbres d’avoir leurs étiquettes botaniques : 5000 euros permettant d’installer 1000 étiquettes, soit toutes les étiquettes manquantes ou cassées de la plus ancienne des collections, celle de Gouet.

Dans ces conditions déjà difficiles s’est ajouté un désengagement progressif de l’État et du Conseil départemental du Loiret, la subvention accordée par le premier passant de 300 000 euros en 2012 à 229 000 euros cette année, et celle du second, qui versait 100 000 euros en 2012, n’étant plus, depuis 2015, que de 25 000 euros annuels. Seule celle accordée par la région Centre Val-de-Loire a été maintenue à 60 000 euros. D’ailleurs, dès 2014, la Cour des comptes alertait l’ONF en lui recommandant de se retirer totalement de la gestion de l’Arboretum des Barres – ce qui n’est pas à l’ordre du jour puisqu’il a décidé de s’y maintenir mais en supprimant purement et simplement l’ouverture au public qui était effective de mars à novembre depuis 1985. Aujourd’hui, l’Arboretum des Barres est placé au seuil d’un passage crucial : celui où il serait bon qu’il bénéficie d’une réorientation radicale afin que le public n’en soit pas privé et que ne s’efface de son souvenir un ensemble exceptionnel.

[1] L’Express – du 3 au 9 juillet 1987, Les arbres avaient un Louvre, p. 50.

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Eryck de Rubercy

Eryck de Rubercy

De formation philosophique, Eryck de Rubercy a publié avec D. Le Buhan "Douze questions à Jean Beaufret à propos de Martin Heidegger" (1982, nouv.éd. Univers-Poche, 2011). Essayiste ("Parfums", Fata morgana, 2009), critique littéraire, traducteur de grands poètes et écrivains allemands (prix Nelly-Sachs 2004) et éditeur des "Aperçus sur l’art du jardin paysager" de H. von Pückler-Muskau (prix historique P.J. Redouté, 2015), il vient de faire paraître "La matière des arbres" (Klincksieck, 2018).

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3 Comments to "L’Arboretum national des Barres bientôt fermé au public"

  1. Avatar
    GARNAUD Jean-Paul 2 juillet 2018 at 12 h 28 min

    Si l’Etat décide de ne plus assurer ses missions de service public et de sauvegarde du patrimone national, sert-il encore à quelque chose ? L’avenir de nos enfants est intimement lié au sort des arbres…

  2. Avatar
    garde 15 octobre 2018 at 15 h 18 min

    Un gâchis inadmissible, surtout à notre époque actuelle ou l’éducation à la nature et à la biodiversité est capitale !
    Ne peut-on pas prévoir une action de crowdfunding ou tout autre action de com pour arrêter ce gâchis ?

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