«Panthéonisation» : onze petites histoires des «grands hommes»

Simone et Antoine Veil reposeront au panthéon à partir de ce dimanche. Ils rejoignent 75 autres «grands hommes». Avec, pour chacun d’eux, une histoire...

 Le Panthéon avait été illuminé en 2002 pour le transfert des cendres d’Alexandre Dumas. 75 personnes y reposent. Ils seront 76, à partir de ce dimanche, avec Simone et Antoine Veil.
Le Panthéon avait été illuminé en 2002 pour le transfert des cendres d’Alexandre Dumas. 75 personnes y reposent. Ils seront 76, à partir de ce dimanche, avec Simone et Antoine Veil. Le Parisien

    Avis aux amateurs, il reste de la place ! Sur les 300 disponibles dans la crypte du Panthéon, seules 75 sont occupées. Et la plupart par de « grands »… inconnus : une armada de généraux et de sénateurs honorés sous Napoléon et tombés depuis aux oubliettes de l'histoire de France.

    Celle-ci ne manque pourtant pas de figures héroïques : Jeanne d'Arc, Montaigne, Molière, Descartes, Diderot, Olympe de Gouges, Clemenceau, de Gaulle… ou même le soldat inconnu (sous l'Arc de triomphe) pour ne citer qu'eux parmi les illustres absents de la nécropole nationale. Sans parler des rois de France qui, eux, font bande à part dans la basilique de Saint-Denis.

    Chassé-croisé. Le premier « grand homme » à faire son entrée au Panthéon est un héros de la Révolution : le 4 avril, le comte de Mirabeau y est inhumé le jour même de la publication du décret vouant l'église Sainte-Geneviève au culte des grands hommes. Un passage éclair puisqu'il en est expulsé trois ans plus tard, accusé post-mortem d'avoir joué un double jeu après la découverte de sa correspondance avec le roi. La place est encore chaude quand le radical Marat (assassiné dans sa baignoire par Charlotte Corday) s'installe dans son tombeau, mais « l'ami du peuple » est éjecté à son tour, jugé infréquentable par les nouveaux hommes forts de la Révolution. « À cette époque, la définition du grand homme dépendait des circonstances politiques du moment », explique Pascal Monnet, administrateur du Panthéon.

    Voltaire vaut bien une messe. Le 10 juillet 1791, le cercueil du grand Voltaire est ramené de l'Aube et pénètre à Paris sur un char orné de fleurs tiré par 12 chevaux blancs. Une cérémonie tout aussi splendide est organisée trois ans plus tard pour le transfert de Rousseau. Les philosophes rivaux se font depuis face à l'entrée de la crypte. Mais un autre coup du sort s'abat sur Voltaire, grand pourfendeur de l'Église, à la restauration. Que faire de sa statue, maintenant que le monument est consacré comme église ? Si Louis XVIII n'ordonne pas la « mise à l'égout » que réclamaient certains fervents catholiques, le buste de Houdon est déplacé vers le péristyle. « Il sera assez puni d'avoir à entendre la messe tous les jours », raille le souverain.

    Le solitaire du caveau 22. Napoléon a réservé la part belle aux militaires, en panthéonisant 19 de ses frères d'armes, tombés en Italie, à Austerlitz ou en Russie. Mais dans ce bataillon, un sort du lot : Jean Lannes, fauché par un boulet de canon à Essling en mai 1809. Surnommé « l'Ajax français », le courageux maréchal est le seul pensionnaire de la crypte à bénéficier d'un caveau pour lui tout seul, comme l'a voulu Napoléon, son ami, qu'il tutoyait. Le couple Curie lui aussi fait chambre à part dans le caveau 8.

    La Marseillaise attendra. En 1915, le front s'enlise. Pour redonner souffle au patriotisme fatigué, on en appelle à Rouget de Lisle, le père de la Marseillaise. Le président Poincaré signe l'acte d'inhumation, la procession s'ébranle, mais les deux chambres parlementaires sont alors trop occupées pour donner - c'était alors obligatoire - leur aval. Rouget doit rester aux Invalides, en attendant. Un siècle après, son « jour de gloire » n'est toujours pas « arrivé »… D'autres ont aussi raté le coche, comme Louis Pasteur, après le refus de sa femme qui préférait un emplacement plus humble (sous son institut). Idem pour Albert Camus, après les protestations indignées de la gauche et le veto de son fils qui préfère le laisser sous le soleil provençal de Lourmarin.

    Where is Napoléon ? Environ 700 000 personnes visitent le monument chaque année. Parmi eux, une grande part de touristes étrangers qui espèrent y voir le tombeau de Napoléon. Raté : sa dépouille repose aux Invalides. « Sous Louis XVIII, il a même été effacé de la fresque au profit de Louis XVI, mais reste présent - presque le seul personnage reconnaissable - sur le fronton », explique Olivier Le Naire, co-auteur d'« Entrez au Panthéon » (l'Express-Omnibus, 12 euros) qui retrace de façon très ludique l'histoire du monument.

    Inhumé ici ? Plutôt mourir ! Obscure et glaciale, la crypte du Panthéon a de quoi refroidir même les trépassés. Le général de Gaulle, qui pressentait qu'un jour ce pourrait être son tour, avait coupé court. L'homme du « Non » a mis en garde son Premier ministre Pompidou qu'il ne voulait « sous aucun prétexte » finir dans ce « nid à poussière, sans air et sans lumière ». Le socialiste Jean Jaurès n'a pas été écouté, lui. Après une visite au Panthéon, il confia qu'à la perspective d'y être déplacé un jour (ce sera en 1924, dix ans après son assassinat), « le reste de sa vie en serait empoisonné ».

    Les inséparables. Marie Curie, première femme inhumée au Panthéon, en 1995 ? Et non… La pionnière s'appelle Sophie Berthelot, mais elle le doit uniquement à sa qualité d'épouse de Marcellin, grand chimiste (1500 brevets à son actif) et ministre au long cours. Un couple prolifique - ils ont six enfants - que la IIIe République n'a pas eu le coeur de séparer : en mars 1907, Sophie, à la santé fragile, meurt après le décès coup sur coup de sa fille et d'un de ses petits-enfants. Quand il la découvre, il s'effondre à ses côtés et s'éteint presque aussitôt, sans que l'on sache s'il s'agissait du choc ou d'un suicide.

    Pauvre Dreyfus ! Le 3 juin 1908, Alfred Dreyfus est du cortège conduisant Emile Zola, qui l'a défendu jadis dans son célèbre « J'accuse », au Panthéon. À l'intérieur, un journaliste antidreyfusard tire deux fois sur le commandant, qui sera blessé au bras. Pas un lieu pour lui, décidément, puisqu'en 2006, le projet de le panthéoniser à l'occasion du centenaire de sa réhabilitation est vite remis dans le tiroir après une longue polémique. Motif : Dreyfus est une victime, pas un héros.

    La résurrection de Jean Moulin. Si la panthéonisation de Victor Hugo en 1885 - qui voyait le monument comme « un gros gâteau de Savoie » - reste la plus mémorable, avec deux millions de personnes pour accompagner l'écrivain, c'est celle de Jean Moulin, en décembre 1964, qui est désormais associée au Panthéon. « Entre ici… » L'éloge emphatique du ministre de la Culture, André Malraux, frappe les esprits et ressuscite la mémoire du grand résistant, tombé dans un certain oubli après la guerre. Faute de dépouille, c'est un cercueil plein de sable qui entre dans la crypte.

    VGE se rattrape. Après le spectaculaire transfert de Moulin, les défunts glorieux ne se bousculent pas au portillon : rien pendant 23 ans et l'entrée du père de la Déclaration des Droits de l'homme en 1958, René Cassin. Si François Mitterrand le panthéonise en 1987, le décret est pris quelques jours avant l'élection présidentielle de 1981, par Valéry Giscard d'Estaing. Une décision un brin électoraliste, qui ne serait plus possible aujourd'hui : la loi interdit désormais d'inhumer un « grand homme » un an avant une présidentielle. VGE l'a reconnu bien plus tard dans ses « Mémoires » : avec Cassin, résistant de confession juive, il s'agissait de se faire pardonner la gestion pour le moins légère de l'exécutif après l'attentat de la rue Copernic.

    Le « coup » de Mitterrand. Avec sept entrées à son actif, François Mitterrand est le plus grand panthéonisateur de la Ve République… certes loin derrière les 43 de Napoléon. Monnet, l'Abbé Grégoire, Monge, Condorcet, les Curie… « Il avait compris toute la dimension symbolique de ce lieu, explique Olivier Le Naire. Et ce dès le début du septennat. Le 21 mai 1981, il entre seul, dans la nef, déposer trois roses sur les tombes de Jaurès, Moulin et Schoelcher, qui avait aboli l'esclavage. Malgré les repères au sol pour que le nouveau président ne se perde pas, il se trompe de couloir et sort un bref instant du champ des caméras ! »