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Mère bigote
Adulée par les hommes, détestée par les femmes, moquée par la critique et surexploitée par les majors dans un Hollywood naissant où les Harvey Weinstein étaient déjà légion, sa célébrité précoce ne lui laissa aucun répit: sa vie privée dépasse en tragédies n’importe quel scénario du genre. Son beau-père est un escroc incestueux qui rafle ses cachets. Sa mère, bigote, toxique et manipulatrice, précipitera sa mort en l’empêchant de se faire soigner. Pour lui échapper, Harlean se précipite dans les bras de ceux qui veulent bien l’aimer.
Affreusement seule, incapable de jouer la comédie cruelle et hypocrite du monde du cinéma, elle rêve d’un enfant pour éponger ce dont elle a manqué, mais les médecins jurent qu’elle est stérile. A 25 ans, elle est déjà trois fois divorcée. Et veuve, puisque à peine deux mois après leur mariage, Paul Bern se tire une balle dans la tête, probablement désespéré par son impuissance sexuelle. L’affaire régale les tabloïds, la machine à rumeurs s’emballe. Pendant ce temps, l’actrice des Anges de l’enfer est clouée au lit. La veille de son suicide, son époux l’a rouée de coups, lui laissant pour seul héritage des séquelles qui précipiteront quelques années plus tard l’insuffisance rénale qui lui sera fatale.
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Un corps jeté pâture
Que vaut la vie d’une femme à Hollywood? Confisqué par une industrie insatiable, le corps de Harlean Carpenter fut jeté en pâture sur les écrans et déchiqueté par le désir brutal de ses millions de spectateurs. C’est cette dépouille que Platine ressuscite. Si le titre fait référence à la chevelure exceptionnellement blonde de la star, il dit aussi que sa plastique n’était pas son seul bien précieux.
Aidée par les outils de la fiction, Régine Detambel libère la petite fille de Kansas City de son statut de fantasme national. Préférant faire parler, à la place de la Jean Harlow voluptueuse des magazines, la femme qui souffrait jusqu’à s’évanouir sur les plateaux de tournage. Tout en respectant une base de faits réels, l’auteure – par ailleurs bibliothérapeute, c’est dire si elle connaît le pouvoir réparateur des mots – réinjecte dans cette courte vie brisée des gestes et des pensées intimes. Elle précise ses luttes intérieures, son courage muet face à la maladie. Elle imagine son désarroi docile face aux exigences des puissants. Comme on redresserait une plante qui ploie, elle lui fabrique une armature tressée d’espoirs et de colères. Passant du «elle» au «je», comme pour mieux pousser le lecteur à se glisser dans la peau de celle qui, de son vivant, ne s’appartenait déjà plus.
Régine Detambel
Platine
Actes Sud, 192 p.