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Interview

Jacques-Antoine Granjon : « Si l'on veut rivaliser avec les Gafa, il faut que les entrepreneurs arrêtent de penser petit »

Jacques Antoine Granjon
Jacques Antoine Granjon (Jean-François Robert)

Par Philippe Bertrand, David Barroux

Publié le 29 juin 2018 à 10:00Mis à jour le 29 juin 2018 à 10:59

Comment se porte vente-privee ?

Vente-privee se porte bien : 6.000 collaborateurs dans 14 pays ont mis en oeuvre la vente de 125 millions de produits en 2017, avec une décote moyenne de 65 % auprès de nos 72 millions de membres, pour un chiffre d'affaires de 3,3 milliards d'euros en progression de 10 %. Nous expédions 150.000 colis par jour. 2018 s'annonce déjà comme une autre belle année. Au premier semestre, nos ventes ont progressé d'environ 15 %.

Pourquoi êtes-vous silencieux depuis un an ?

Nous sommes dans une période de transition et de transformation profonde. Vente-privee a mené récemment, en parallèle à sa croissance organique, un fort mouvement de croissance externe, réalisant de nombreuses acquisitions à partir de 2016. Nous avons acquis plusieurs acteurs leaders et profitables des ventes événementielles en Europe. Le plus important étant Privalia, leader en Espagne, Italie, Brésil et au Mexique. C'est un virage qui demande beaucoup de vigilance et de doigté dans l'exécution de l'intégration. La séquence 2011-2015 a été intense et difficile : il fallait digérer la croissance extrêmement forte des années précédentes et la nouvelle taille de l'entreprise, devenue moins agile ; nous nous sommes retirés des Etats-Unis, où nous avions tenté une aventure avec American Express ; il fallait digérer notre échec ; certains associés à l'origine de vente-privee ont quitté l'entreprise et ont vendu leurs actions au fonds souverain Qatar Investment Authority ; j'ai renouvelé la moitié du comité exécutif de Vente-privee et me suis séparé du directeur général Hervé Parizot. Depuis trois ans, Charles-Hubert de Chaudenay exerce cette fonction. Il est l'homme au coeur de nos acquisitions, de leur intégration et de notre transformation actuelle.

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Longtemps, votre modèle a eu du mal à s'exporter. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Peut-être, mais nous sommes désormais leader en Europe et en Amérique latine. Présents dans 14 pays, nous réalisons 45 % de notre chiffre d'affaires à l'étranger. C'est suffisamment rare pour une entreprise française 100 % pure player que nous pouvons le clamer haut et fort. Pour parvenir à ce résultat, nous avons fait évoluer notre culture et nos process. C'est en parfaite synergie avec les fondateurs et les dirigeants des sites acquis que nous travaillons à accélérer notre croissance. Sans chercher à imposer nos équipes dans ces filiales, nous avons profité de la qualité de leurs collaborateurs et de leurs expertises. Tous ces talents confirmés ont apporté un souffle nouveau à notre organisation.

Des e-commerçants comme vous peuvent-ils avoir un avenir face à l'ogre Amazon ?

Amazon ne fait pas le même métier. Amazon répond à un besoin. Nous sommes dans le domaine de l'achat d'impulsion, du désir, de la surprise agréable du quotidien. Et surtout du service aux marques pour gérer leur « off price ». Tous les jours, 4,5 millions de visiteurs uniques viennent découvrir nos nouvelles offres. Nos premiers partenaires sont les 7.000 marques qui nous confient leurs stocks. Notre métier d'origine est notre relation privilégiée avec elles. Certes nos métiers bougent. Nous devenons une place de marché très puissante à leur service. Nous mettons notre trafic naturel à leur disposition en échange d'offres très agressives. A nos débuts, nous mettions en scène leurs produits dans un écrin digital en shootant les catalogues dans nos propres studios. Nous le faisons encore, mais nous nous interfaçons désormais avec leurs catalogues digitaux. Nous travaillons en permanence à améliorer la « user experience », pour satisfaire nos membres. Donc oui, nous croyons en notre avenir de pure player français européen.

Quand la France se veut « start-up nation », cela vous semble possible ?

On peut faire naître et développer une entreprise digitale en France, mais sortir de nos frontières pour attaquer le marché européen reste compliqué. Les règles fiscales ou sociales demeurent trop différentes d'un pays à l'autre. Si l'on veut pouvoir rivaliser avec les Gafa, entre autres, il faut que les entrepreneurs arrêtent de penser petit, qu'ils aient du courage. Il faut que les politiques créent les conditions pratiques pour passer de multiples marchés de 20 à 80 millions de personnes à un marché unique de plus de 600 millions. L'Europe doit aller vers une harmonisation sociale et fiscale. « Start-up nation » c'est bien, mais cela ne suffit pas.

Pourquoi vente-privee est-il le seul e-commerçant français à être profitable ?

Tout simplement parce que nous offrons un service de qualité aux marques sur leur déstockage et leur « off price » et que nous sommes rémunérés avec notre marge commerciale. Les offres agressives génèrent un trafic quotidien naturel, nous affranchissant d'une dépendance financière importante envers Google et les réseaux sociaux. C'est rare et précieux. Vente-privee n'a jamais levé d'argent d'ailleurs.

Que vous inspirent les déboires en Bourse de votre concurrent Showroomprive ?

Nous avons eu des différends sur le terrain judiciaire, mais je ne me réjouis jamais des difficultés des autres. Lorsque vous êtes coté en Bourse, vos prévisions sur votre activité et sur votre rentabilité doivent être fiables. Or, dans l'industrie du déstockage, il est difficile de faire des prévisions fiables. Nous sommes très dépendants des stocks et volumes proposés par les marques. C'est pourquoi vente-privee n'a de cesse d'élargir son offre et de s'affranchir de cette dépendance. Aujourd'hui, nous réalisons 300 millions de chiffre d'affaires dans le voyage, près de 200 millions dans la billetterie et le spectacle. Nous sommes leader de la vente de vin en ligne en France et réalisons 120 millions d'euros de chiffre d'affaires dans le secteur des alcools et de l'épicerie fine. Showroomprive justifie souvent son partenariat avec Conforama, et désormais avec Carrefour, en disant que leurs clients pourront retirer leurs commandes en magasin. Je ne crois pas que ce soit une raison pertinente pour avoir Carrefour à son capital.

Mais, vous, pourriez-vous vous introduire en Bourse pour accélérer votre croissance ?

Dans la vie d'une entreprise, il faut maîtriser son rythme. Chez Vente-privee, nous avons une vision long terme de notre aventure. Nous nous sommes lancés en 2001 et, jusqu'en 2004, l'encéphalogramme des ventes était plat. Nous avons ensuite connu une accélération fulgurante et totalement autofinancée. De 0 à 1 milliard d'euros entre 2004 et 2009. Toujours profitables, nous avons financé notre croissance, nos investissements, nos bons comme nos mauvais choix. Cette indépendance financière est un atout dans la poursuite de notre stratégie d'expansion. La Bourse n'est pas d'actualité.

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La Bourse est donc une option qui reste exclue ?

Je n'ai rien contre la Bourse, mais nous n'en avons pas besoin aujourd'hui. Dans notre modèle économique, le besoin en fonds de roulement est négatif et a été un des facteurs de notre réussite. Notre trésorerie est importante, et nous n'avons pas besoin de lever d'argent pour financer de nouvelles acquisitions. Certains entrent en Bourse pour assurer la liquidité de leurs actionnaires. Ce n'est pas la priorité actuellement même si je n'exclus rien. Une entreprise cotée doit tenir ses promesses envers ses actionnaires. Dans le cas contraire, les sanctions sont immédiates. Nous avons besoin de sérénité dans notre aventure, d'actionnaires solidaires, et pas de gestion court-termiste de notre activité.

Et vendre votre entreprise. Est-ce une option ?

Je suis entrepreneur depuis que j'ai vingt-deux ans. Je suis dans ce métier depuis 1985. Je chéris ma liberté. Je me suis lancé parce que je voulais être indépendant et je le suis encore aujourd'hui. J'ai connu échecs et réussites. Et j'ai surtout appris à m'entourer de nombreuses personnes talentueuses et motivées. Nous sommes au milieu du gué d'une transformation digitale, et je pense que nous ne sommes qu'au début de l'aventure. Mon moteur c'est cette aventure et tout ce qui va avec : la prise de risque et la fierté de voir mûrir son entreprise grâce au travail de milliers de collaborateurs. Vendre aujourd'hui ne fait pas partie de mon projet de vie.

Vous êtes propriétaires de trois théâtres. Comptez-vous en racheter d'autres ?

Nous avons fait l'acquisition de quatre salles en tout. Nous mutualisons nos moyens au service de spectacles de qualité. C'est la partie production de Vente-privee Entertainment. Aujourd'hui, nous n'avons pas pour projet d'acquérir d'autres théâtres, mais nous ne refuserions pas une belle salle de concerts.

La mode est à l'omnicanal, le mariage entre le numérique et le physique. Est-ce un enjeu pour vous ?

Nous sommes devenus le dernier pure player indépendant de l'e-commerce français. Nous resterons 100 % digital et fidèles à notre promesse de proposer des articles de marques, de façon créative, en affichant des prix très agressifs pour des raisons industrielles ou promotionnelles. Le digital nous permet à la fois une grande liberté créative et l'accompagnement des millions d'acheteurs dans cette expérience de shopping de plus en plus mature. Le numérique a rendu le pouvoir aux clients, qui veulent désormais tout, tout de suite et au meilleur prix. Sans jamais les traquer nous connaissons nos clients ; ce qui est un atout considérable pour nos marques partenaires. Notre stratégie de croissance ne repose pas sur la diversification des canaux. Bien au contraire, le digital est un formidable atout dans notre métier bien spécifique, pour enrichir nos offres et nos services. L'omnicanal c'est le sens de l'histoire, mais pas pour vente-privee.

Que vous inspire la politique actuelle ?

La France a la chance d'avoir à sa tête un président courageux qui cherche à rendre notre pays plus agile, plus riche, plus fort sur l'échiquier et plus solidaire. C'est en créant de la valeur que l'on peut redistribuer ensuite la richesse. Et les besoins de redistribution vont être de plus en plus importants. La révolution digitale n'a pas fini de bouleverser bien des métiers et des industries. Il va falloir accompagner beaucoup de gens, et cela passera certainement par une forme de revenu universel. Santé, logement, éducation et culture doivent être à la portée de tous. Pour financer ce système il faudra des entreprises très rentables. Le monde de demain devra être à la fois très libéral et très social. Il faut créer plus de richesse et en même temps apprendre à mieux la partager et la redistribuer. C'est là le challenge que nous devons affronter en commun. Il faut donner à chacun les moyens de vivre sa vie, ses aspirations. Pas seulement de survivre.

David Barroux et Philippe Bertrand

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