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En République démocratique du Congo, des laboratoires éphémères contre le virus Ebola

La ville de Mbandaka, dans le nord-est du pays, cristallise les craintes des spécialistes de la fièvre hémorragique, qui tentent de soigner les patients en testant de nouveaux traitements.

Par  (Mbandaka, envoyé spécial) et

Publié le 30 juin 2018 à 11h26, modifié le 01 juillet 2018 à 21h09

Temps de Lecture 5 min.

Une zone de sécurité sanitaire liée au virus Ebola au centre de santé de Lyonda, près de Mbandaka, en République démocratique du Congo, le 1er juin 2018.

Dans la grosse bourgade de Mbandaka, encerclée par le fleuve Congo et la forêt équatoriale, le spectre du virus Ebola plane toujours, même s’il n’a pas vraiment bouleversé les modes de vie du 1,2 million d’habitants quivivent là. Les bars ne désemplissent pas, les marchés continuent de vendre de la viande de brousse et les thermomètres laser restent une denrée rare. Depuis le début de la neuvième épidémie, en mai, quatre cas positifs et trois décès ont été recensés, mais cela a suffi pour que la capitale de la province de l’Equateur, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), cristallise les craintes des spécialistes de la fièvre hémorragique.

Avec son unique route défoncée qui mène aux territoires de Bikoro – l’épicentre de l’épidémie – et sa myriade de petits ports sur le fleuve Congo, Mbandaka est un carrefour pour les voyageurs et les commerçants. On y fait halte pour rejoindre la Centrafrique et le Congo-Brazzaville, sur l’autre rive, ainsi que la capitale de la RDC, Kinshasa, à 700 km. Dans cette région délaissée par le pouvoir central, l’économie, tout comme le système de santé, est exsangue ou presque. On se rend à l’hôpital pour mourir, comme disent les habitants. Traiter des patients mais aussi tester de nouveaux traitements dans un tel contexte constitue un vrai défi.

« Donner aux malades une chance de guérir »

« Dans l’urgence d’une épidémie, il s’agit de donner aux malades une chance de guérir, tout en améliorant la recherche, en respectant des règles éthiques très strictes. Un comité scientifique international a retenu cinq traitements susceptibles d’être proposés », souligne le ministre de la santé, Oly Ilunga. Parmi les médicaments testés figure le mAb114, le « bébé » du professeur congolais Jean-Jacques Muyembé, codécouvreur du virus, qui dirige l’Institut national de recherche biomédicale (INRB), à Kinshasa. « Le protocole d’administration doit encore être perfectionné. Compte tenu de l’évolution de la courbe épidémiologique, je ne pense pas que nous aurons l’occasion de tester beaucoup de molécules, et le mAb114 ne devrait donc pas être administré », précise cependant le ministre.

Le ZMapp, un cocktail de trois anticorps monoclonaux, testé chez 72 patients lors de l’épidémie de 2014-2016 en Afrique de l’Ouest, n’a pas non plus été utilisé. « La chaîne du froid est complexe et l’administration du traitement requiert un gros suivi médical. Il aurait fallu multiplier par dix le personnel », explique Luis Encinas, spécialiste d’Ebola chez Médecins sans frontières (MSF). Le Regn3470-3471-3479 – des anticorps monoclonaux dont l’efficacité n’a été évaluée que chez le singe – est lui aussi resté dans les cartons.

Un nouvel antiviral semble prometteur : le remdesivir, administré à un seul patient, un nouveau-né, lors de l’épidémie en Guinée. Il pourrait servir si un nouveau cas se présente. « Nous avions prévu de traiter la première patiente avec le remdesivir le 6 juin, mais elle est décédée le matin même à Bikoro, et il n’y a pas eu de nouveaux cas depuis le 7 juin », précise Axelle Ronsse, coordinatrice d’urgence pour MSF.

« Etre prêts pour la prochaine épidémie »

In fine, le seul médicament pour lequel des données auront été collectées est le vaccin mis au point par le laboratoire américain Merck. Depuis le 21 mai, il a été administré à 3 139 patients, des personnes ayant été en contact avec des malades ou avec des contacts de malades. Dans quelle mesure a-t-il contribué à la maîtrise de l’épidémie ? « Il est un peu tôt pour tirer des conclusions, estime le professeur Denis Malvy, spécialiste des maladies infectieuses au CHU de Bordeaux. Il faudrait peut-être ajouter un troisième anneau de vaccination, mais cela impliquerait d’avoir davantage de doses à disposition. »

L’usage de ces différents médicaments est encadré par un protocole proche de celui des essais cliniques, baptisé « Meuri » (Monitored Emergency Use of Unregistered and Investigational Interventions), supervisé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « L’idée est d’être prêts à intervenir lors de la prochaine épidémie, pour ne pas avoir à tout réinventer à chaque fois, dit le professeur Malvy. Il faudra sans doute plusieurs épidémies dans plusieurs pays pour réunir un nombre de patients suffisant pour les essais cliniques. »

La mise en place de ces derniers est difficile dans ces régions. « Cela suppose des prises de sang régulières et un suivi compliqué à mettre en place dans un pays où le système de santé est défaillant, ajoute M. Encinas. Par ailleurs, la relation au sang n’est pas évidente pour des populations non sensibilisées. »

Au-delà des médicaments, les scientifiques espèrent que les moyens déployés pendant l’épidémie contribueront au renforcement des systèmes de santé. « L’arrivée de laboratoires dans des villages reculés, c’est aussi une façon de partager les dernières innovations de la recherche scientifique avec des populations privées de médecine moderne », veut croire Pierre Formenty qui dirige le département des fièvres hémorragiques virales à l’OMS.

« Il faut un transfert de compétences »

Au bord d’une piste cahoteuse du centre-ville de Mbandaka, un bâtiment colonial décati reste debout, tel un vestige d’une prospérité perdue au milieu des herbes hautes et des palmiers. Au premier étage du laboratoire provincial de santé publique, le directeur, Jacques Likofata Bokete, 47 ans, pianote sur son petit ordinateur privé d’accès à Internet dans un bureau vide qui bénéficie d’électricité depuis un mois seulement. « C’était autrefois le grand laboratoire de microbiologie d’Afrique centrale, avant l’Institut Pasteur de Bangui et celui de Brazzaville », dit-il avec une pointe de nostalgie.

Ce laboratoire inauguré en 1957 a été fermé dans la décennie écoulée avant de rouvrir en janvier 2017, sans moyens ni diesel pour alimenter le générateur. C’est ici que les premières analyses ont été effectuées. « C’était le 19 mai, sur un patient Ebola de Mbandaka qu’on avait prélevé pour la deuxième fois. Les premiers prélèvements ont été envoyés à Kinshasa et ils sont arrivés aux mêmes résultats que nous », dit ce biologiste parti en Guinée durant l’épidémie de 2014-2016 avec une équipe américaine.

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Depuis, ce directeur de laboratoire a vu débarquer les organisations internationales à Mbandaka, où ont été créés de toutes pièces des laboratoires modernes. L’OMS et MSF ont entamé des campagnes de vaccination et les meilleurs spécialistes d’Ebola au monde sont arrivés. M. Bokete ne fait pas vraiment partie du dispositif de riposte et se bat avec le peu de moyens dont il dispose. « Il y a désormais des laboratoires et du personnel importés. Mais on n’en bénéficie pas, nous, les scientifiques congolais, déplore-t-il. Il faut un transfert de compétences. Ce sont nos frères qui meurent, et on doit pouvoir les soigner ».

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