« Goldorak est une épopée écologiste qui touche au mythe »

VIDÉO. Il y a 40 ans, la mythique série japonaise débarquait sur Antenne 2. Deux universitaires décryptent le phénomène dans un livre à paraître en septembre.

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Goldorak, le robot imaginé par Go Nagai, fit ses débuts au Japon trois ans avant la France.

Goldorak, le robot imaginé par Go Nagai, fit ses débuts au Japon trois ans avant la France.

© AB

Temps de lecture : 10 min

« Nous avons un nouveau feuilleton qui s'intitule Goldorak et qui... heu… c'est un feuilleton japonais, qui se passe en l'an 2884 sur une petite planète bleue et qui a un tas d'histoires. Vous allez voir, il y a des soucoupes volantes, il y a des fusées, il y a un tas de choses... Enfin, nous allons voir dans quelques instants le premier épisode » : lundi 3 juillet 1978, dans la toute première émission pour enfants Récré A2 sur Antenne 2, le co-animateur de Dorothée, Gérard Chambre, présente en ces termes lyriques une mystérieuse série animée dont le héros est un robot de trente mètres de haut avec de grandes cornes jaunes et un pantalon pattes d'eph' en métal. Ce que Gérard ignore encore, c'est que Goldorak va littéralement foudroyer les jeunes téléspectateurs, devenant un phénomène culturel et médiatique retentissant dans la France de Giscard. À peine remis de La Guerre des étoiles, sorti en octobre 1977, les écoliers fascinés par le cosmos succombent sans résistance à l'épopée d'Actarus, extra-terrestre protégeant la Terre contre les forces maléfiques de l'empire Vega, à bord d'un colosse d'acier dérobé à l'ennemi. Orphelin de sa propre planète Euphor, ravagée par l'armada fasciste, Actarus est adopté sur Terre par le professeur Procyon et, avec ses amis Alcor et Vénusia, ne cesse de repousser les attaques destructrices des robots monstrueux de Vega.

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Créée en 1975 par le mangaka Go Nagai, Goldorak fut importé en France par le producteur Bruno-René Huchez, fasciné par la série lorsqu'il la découvre au Japon. Paradoxalement, le feuilleton impactera infiniment plus les jeunes Français que les Japonais, malgré une diffusion erratique de ses 74 épisodes au fil des années 80. Dès la rentrée 1978, les audiences avoisinent les 100 % de parts de marché et les génériques de la VF enchantent les cours d'école, notamment les titres « Accours vers nous prince de l'espace » et « Goldorak le grand », respectivement chantés par Enriqué Fort et Noam. Ce dernier vendra ainsi plus de 4 millions d'exemplaires du 45 tours, véritable tube star des goûters d'anniversaire. Longtemps considéré comme une « japoniaiserie » violente et débilitante, Goldorak a bien évidemment depuis gagné en respectabilité. La transmission générationnelle a fait son œuvre, les bambins sont devenus des adultes, la japanimation une culture légitime et Goldorak son précurseur en France. Quarante ans après son apparition sur Antenne 2, le « formidable robot des temps nouveaux » fait l'objet d'un premier ouvrage d'analyse universitaire collectif, à paraître en septembre et dirigé par deux anciennes fans. L'une d'elles, Sarah Hatchuel, professeur quadragénaire spécialisée en études cinématographiques et audiovisuelles à l'université Paul-Valéry-Montpellier, nous en dit plus. Goldorak, go !

Quels sont vos premiers souvenirs de Goldorak ?

Sarah Hatchuel : Ce fut un formidable choc. Contrairement au cliché d'usage, beaucoup de petites filles étaient fans de Goldorak. J'ai des souvenirs précis de ces premières images, de ces couleurs très saturées, contrastées, chatoyantes, très différentes de celles d'un Albator que je n'aimais pas vraiment, trop ténébreux. Goldorak, c'était l'espoir et l'optimisme de la vie. Et puis j'étais emportée par cette mélancolie, ce ton parfois poignant de la série et la nostalgie d'Actarus pour son paradis perdu Euphor. Un héros très vulnérable avec sa blessure radioactive au bras. La petite fille que j'étais était forcément amoureuse, on voulait le soigner, le sauver. Il était un héros qui nous permettait aussi d'être fort pour lui. Il y avait aussi dans Goldorak des personnages féminins très forts comme Phénicia, la sœur d'Actarus, qui n'a rien à envier aux héroïnes actuelles.

Un look inoubliable pour les enfants de l'époque.

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Comment expliquez-vous le succès gigantesque de Goldorak en France ?

On n'avait jamais vu ça. Pour la première fois, les enfants découvraient une série animée feuilletonnante avec des rebondissements et un enjeu capital, la protection de la Terre. On avait enfin l'impression qu'une histoire nous prenait au sérieux, qu'il en allait de l'avenir de la planète et nous, petits enfants, suivions une histoire qui avait une importance énorme. Goldorak était un vrai drame familial, avec l'idée du paradis perdu d'Euphor pour Actarus. Les parents ne comprenaient pas, ils voyaient juste des combats horribles entre Goldorak et les Golgoths et restaient insensibles à cette épopée qui touchait au grandiose, au mythe, avec des préoccupations très écologistes : dans Goldorak, il faut protéger la Terre comme écosystème. Il y avait une véritable intensité dramaturgique et une progression de l'intrigue. Dans notre ouvrage, Guillaume Soulez évoque l'importance du robot d'acier pour les jeunes garçons, avec cette idée de la métamorphose du corps. Go Nagai a dit aussi que, selon lui, Goldorak permettait aux enfants de se sentir plus puissants que leurs parents.

La grande qualité de la VF de Goldorak explique-t-elle aussi son impact chez nous ?

Oui, les comédiens de doublage, dirigés par Michel Gatineau (qui était aussi la voix du professeur Procyon et, dans La Petite Maison dans la prairie, de Charles Ingalls), ont fait un travail extraordinaire. Il y a une vraie qualité d'interprétation mais aussi le travail d'adaptation des textes qui font presque de la VF de Goldorak une œuvre parallèle au modèle d'origine. Gatineau a donné aux humains des noms liés aux étoiles (Procyon, Antarès, Rigel…), tandis qu'il a emprunté aux mythologies grecques et romaines pour les forces de Vega, comme Hydargos et Minos. Actarus est le seul « alien » à porter, comme les humains, un prénom d'étoile, pour mieux symboliser son lien avec nous. Dans la version japonaise, les personnages avaient davantage des consonances anglophones, tel Hydargos qui s'appelait le Commander Blaki. Au Japon, les armes légendaires de Goldorak avaient aussi des noms anglophones. Nous, en VF, avons connu le Cornofulgure, le Fulguropoing ou encore le Clavicogire, leurs équivalents japonais respectifs étaient le « Space thunder », le « Crusher punch » et le « Shoulder boomerang ». Michel Gatineau se livrait à un vrai brainstorming avec les acteurs, notamment Daniel Gall (interprète d'Actarus, décédé en 2012, NDLR), pour trouver ces noms. Goldorak, en revanche, a été trouvé par le distributeur Jacques Canestrier, en mixant « Goldfinger » et « Mandrake ».

Dans la VF de Goldorak, les références trop japonaises ont-elles été atténuées pour faciliter l'identification du public ?

Dans la VF, on ne défend pas le Japon mais la terre entière. Toutes les allusions culturelles explicites ont été gommées, les personnages parlant plutôt de « région » plutôt que du Japon. On a d'ailleurs parfois l'impression que Goldorak se passe aux États-Unis en raison de la présence du ranch du Bouleau Blanc. Un article de notre ouvrage, signé Jean-Étienne Pieri, revient sur le processus d'occidentalisation de Goldorak, mais qui tient aussi à l'œuvre elle-même. L'iconographie westernienne tient une grande place dans la série, avec le ranch, la récurrence des scènes de chevaux, l'apparence très Sergio Leonienne d'un des méchants avec son long manteau (le capitaine Ergastule, épisode 34, NDLR), des motifs musicaux à l'harmonica et à la guitare country… Goldorak emprunte aussi beaucoup à la science-fiction hollywoodienne et, dans le même article, l'auteur rappelle que le parcours d'Actarus sur Terre est similaire à celui de Superman. Les scénaristes de Goldorak ont été influencés par la SF et le fantastique occidentaux, comme lorsque des monstres géants attaquent la ville. Mais Hollywood elle-même était souvent influencée par le cinéma japonais. Le feuilleton témoigne ainsi de cette fascinante circulation de motifs entre les cultures japonaise et occidentale.

Goldorak dans sa soucoupe porteuse, d'où Actarus menait parfois ses combats. Mais pour les corps à corps avec les fameux "Golgoth" ou "Anterak" de Vega, Actarus se déplaçait dans le poste de pilotage situé dans la tête de Goldorak. La séquence de transfert du héros entre la soucoupe et le robot est devenue un des moments cultes du dessin animé.

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Le robot en lui-même était aussi un objet de fascination pour les enfants...

Surtout avec cette idée révolutionnaire chez Go Nagai d'un pilote à l'intérieur du robot et un ensemble à deux niveaux : la soucoupe porteuse ou le robot. Cela créait différentes échelles de combat et donc une richesse dramaturgique incroyable. On a l'impression que Goldorak a une connexion intime avec Actarus. Il y a aussi l'idée puissante qu'une machine peut faire le mal comme le bien puisque, à l'origine, Goldorak était un Anterak de Vega, volé par Actarus pour fuir Euphor.

Goldorak se prête-t-il aussi à d'autres niveaux de lecture ?

Goldorak a trop souvent été taxé de japoniaiserie sans voir à quel point son sous-texte était riche et complexe. En le revoyant, on est frappé de voir à quel point ce dessin animé est suffisamment ouvert pour se prêter à des interprétations historiques. Certaines allusions iconographiques et verbales peuvent nous amener à comparer le peuple d'Euphor au peuple juif. On ne sait pas si les auteurs avaient en tête la Shoah, mais il y a clairement des liens très forts entre certaines scènes et l'univers concentrationnaire. Un personnage accepte par exemple de collaborer avec les forces de Vega parce qu'il veut sauver sa mère, qui a été envoyée dans un camp sur une planète ravagée. Une autre mémoire traumatique convoquée par la série est évidemment celle des victimes d'Hiroshima et de Nagasaki. Le traumatisme nucléaire est omniprésent dans Goldorak, qu'il s'agisse de la planète d'Actarus ravagée par les radiations ou ces Golgoths qui finissent toujours par exploser dans d'immenses champignons atomiques.

Actarus, orphelin de sa planète Euphor, ravagée par les forces de l'empire Vega.

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Votre livre contient même une postface signée Pierre Berthomieux intitulée… De Shakespeare à Goldorak !

Oui, où il démontre que les grands méchants de Goldorak, tels que Minos, Hydargos et le Grand Stratéguerre, sont tous de grandes figures shakespeariennes de scélérats et laveurs de cerveaux, dignes de Richard III, Macbeth et Othello. Minas, l'épouse du transformiste Minos, dissimulée sous son propre visage est écrite sur le modèle de Lady Macbeth, cette femme manipulatrice plus forte que son mari et qui lui dicte sa conduite.

A l'époque de sa diffusion, Goldorak n'a pourtant pas vraiment fait l'unanimité en France...

Il fut vilipendé ! Il y a eu des ouvrages contre lui, comme le A cinq ans seul avec Goldorak de Liliane Lurçat en 1981. Des psychologues l'ont jugé dangereux pour les enfants, d'autres voyaient en lui le symbole d'une invasion de produits commerciaux standardisés venus d'Asie… Le tournant s'est opéré dans les années 90, quand certains des enfants de Goldorak ont commencé à travailler dans des rédactions. Aujourd'hui, Goldorak est enfin perçu comme un classique de l'animation japonaise.

Votre ouvrage évoque-t-il aussi l'importance de la musique dans le succès de la série ?

Nous avons un chapitre écrit par le musicologue Florian Guilloux, qui réhabilite les merveilleux thèmes entendus dans Goldorak. Pas seulement les génériques mais aussi ces musiques propres aux scènes de combat, d'attaques, qu'on chantonnait à l'école. Il y a aussi dans Goldorak des mélodies nostalgiques absolument poignantes pour accompagner notamment certaines scènes de retrouvailles. On est bien loin de la « musique débile » dont l'avait qualifié l'universitaire Jacques Aumont.


C'est donc l'objectif de votre ouvrage : réhabiliter culturellement Goldorak ?

Je le vois surtout comme une mission pour démontrer à quel point ce dessin animé a compté pour notre génération. Notre introduction, « Revoir Goldorak », revient sur l'expérience de revisiter Goldorak, 40 ans après. Quand on revoit le feuilleton aujourd'hui, même si l'animation a vieilli, on voit que ses enjeux écologiques sont toujours d'actualité, encore plus que dans les années 70. Énormément d'artistes peintres, sculpteurs, auteurs ont été influencés par Goldorak.

Goldorak, l'aventure continue. Ouvrage dirigé par Sarah Hatchuel et Marie Pruvost-Delaspre (ed. PUFR), sortie le 6 septembre.

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Commentaires (5)

  • Jl87

    N’aimait pas !
    On aurait bien dû se douter que c’était plutôt pas mal...

  • Flexi

    @Cygnus
    Non, Goldorak est un robot conçu par les forces de Vega qu’Actarus leur a dérobé...

  • AllonsBon

    A l époque où cela est sorti, on pouvait encore s offrir le luxe de trouver cela trop violent. Aujourd hui, de voir une violence qui ne soit pas gratuité mais dirigée contre le mal, avec un objectif somme toutes assez sain, ca fait du bien !