Le Seascan d'Eca Robotics fasse à une mine à Orin le 16 septembre 2016

Détecter, identifier, neutraliser : telles sont les missions des drones sous-marins, comme ce Seascan développé par le français ECA Group.

ECA Group

A quai dans le port de Brest, il ressemble à un vulgaire navire de plaisance. Une dizaine de mètres de long, une coque en matériaux composites, un pont dégagé et une étrave à peine saillante. Pas vraiment l'image d'un fier navire ! En Bretagne, on le qualifierait de "pêche-promenade". Pourtant, ce modeste bâtiment de surface pourrait représenter l'avenir de la Marine nationale. Nom de code : USV, pour Unmanned Surface Vehicle. Une embarcation autonome et sans pilote, qui devrait effectuer ses premiers essais dans la rade de Brest d'ici à quelques semaines. Après les voitures sans conducteur, les avions sans pilote, l'ère des bateaux sans marin semble sur le point d'advenir.

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Ecoutez Bruno D. Cot nous parler de ces drones plein d'avenir, qui ont abandonné le ciel pour l'eau - mais pas les militaires (sur SoundCloud).

"Ces quinze dernières années, le domaine des drones aériens a connu un rapide développement, explique Alexis Morel, le directeur de la branche sous-marine de Thales. Les Etats-Unis ou Israël sont devenus des champions dans cette catégorie lorsque l'Europe n'a pas su faire émerger de concept. Aujourd'hui, à nous de ne pas manquer le virage des drones sous-marins." Parce que les besoins sont là.

Dans le domaine civil, les véhicules sous-marins autonomes (AUV) se multiplient. Ici, pour des expéditions scientifiques ou archéologiques afin de couvrir de vastes zones - l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) a, par exemple, chargé ECA Group de concevoir un engin capable d'atteindre une profondeur de 6 000 mètres afin de cartographier le plancher océanien ; là, pour le secteur offshore, où les AUV servent depuis des décennies à trouver de nouveaux champs d'exploitation, mais aussi à faciliter les travaux d'inspection et de maintenance des installations comme les pipelines ou les câbles de télécommunications. "L'homme peut difficilement accéder à des profondeurs supérieures à 1 000 mètres, si bien que les engins sous-marins sont utilisés quotidiennement dans le domaine pétrolier", souligne Guénaël Guillerme, le directeur général d'ECA Group. Avant de préciser : "Longtemps, nous disposions de robots télé-opérés via un câble mais, depuis cinq à dix ans, au fur et à mesure qu'on retire leur 'laisse' et qu'ils deviennent plus autonomes, le terme de drone s'impose."

Science and technology - Science et technologie

Les AUV, comme ce A-18 développé par ECA GROUP pour la société Petrus, sont spécialisés dans le domaine offshore pour les travaux d'exploration et de maintenance à de très grandes profondeurs.

© / ECA Group

Mais la "dronisation" des mers passera avant tout par la mise au point d'outils sophistiqués pour des applications militaires. Le "monde du silence" tel que le commandant Cousteau l'a décrit est un univers où tout s'écoute, s'épie, se scrute, le plus discrètement possible. "L'emploi des drones s'intégrera aux missions qui incombent à la chasse aux mines à savoir la défense de notre littoral et de nos ports d'une part et la capacité à se projeter d'autre part, pour assurer la liberté de mouvement de nos unités sur un théâtre d'opérations maritimes", détaille le capitaine de vaisseau Bertrand Dumoulin, le chef du Service d'informations et de relations publiques de la Marine (Sirpa).

Ainsi, lorsqu'un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) part en mission depuis sa base de l'Ile-Longue, la rade de Brest (Finistère) peut être ratissée au peigne fin à la recherche d'un engin explosif. De même selon certaines sources, durant le conflit libyen en 2012 lors du déploiement de notre groupe aéronaval, ce type de danger aurait été plusieurs fois "neutralisé" par les militaires. La guerre des mines, loin d'être un combat d'arrière-garde - il en resterait encore 300 000 issues de la Seconde Guerre mondiale -, demeure cruciale pour les armées. "Peu coûteux et faciles à concevoir, ces redoutables matériels explosifs restent d'actualité et sont souvent appelés "l'arme du pauvre", explique le capitaine de vaisseau Laurent Sudrat, de l'état-major de la Marine. En effet quelques mines rudimentaires suffisent pour bloquer un port ou un détroit et pourraient être employées par une organisation terroriste dans le cadre de conflits asymétriques."

Ainsi, en 2017, les Etats-Unis ont publié un avertissement sur la possible présence de mines au large des côtes ouest du Yémen : en mars, un navire avait été touché dans le port de Moka, entraînant la mort de deux gardes-côtes. "Mais des nouveaux types de mines, discrètes et sophistiquées, sont également développées par les puissances militaires de premier rang, et cette menace doit aussi être prise en compte", ajoute Laurent Sudrat.

Même si les chiffres restent difficiles à confirmer, ces grandes puissances disposent d'arsenaux modernes : à elle seule, la Chine compterait de 50 000 à 100 000 mines de 30 types différents ! La France, de son côté, possède une expertise reconnue dans le domaine de la lutte antimines, notamment en termes de radars et de sonars. Avec la Grande-Bretagne, elle développe le programme futuriste Maritime Mine Counter Measures (MMCM). Objectif : mettre en place un système de drones afin d'éloigner les hommes des zones de danger pour détecter, identifier et neutraliser les mines.

rov

Une fois la mine identifiée à l'aide d'un drone sous-marin, les militaires envoient un robot autonome (ROV) afin d'aller y déposer une charge explosive pour la neutraliser.

© / SAAB

Concrètement, la première composante du système est un drone sous-marin chargé d'explorer les fonds. Développé par ECA Group et baptisé "A-27", il peut être mis à l'eau depuis un navire classique. "Totalement autonome, il est rapide, précis, stable et peut opérer à grande profondeur", détaille Guénaël Guillerme. Deuxième élément, le fameux USV de surface. Lui aussi pourra être mis en oeuvre depuis une "embarcation mère". L'engin de 18 tonnes naviguera seul, à une vitesse de 20 noeuds et sur une distance allant jusqu'à 200 milles nautiques (370 kilomètres). "L'autonomie de navigation et le rayon d'action sont des impératifs si l'on souhaite disposer d'un outil performant", explique Bruno Quellec, responsable technique chez Thales.

Les missions des drones sous-marins

Les missions des drones sous-marins

© / L'Express

Une fois parvenu sur zone, ce bateau de support peut mettre à l'eau un sonar remorqué (T-SAM) qui, comme le A-27, cartographiera les lieux. "Les deux appareils ont la même finalité mais sont complémentaires selon la profondeur et la force du courant", précise le capitaine de corvette Augustin Blanchet, spécialiste des systèmes de drones de guerre à l'état-major de la Marine. Une fois réapparu à la surface, le sonar remorqué, qui ressemble à une longue torpille dotée de grosses moustaches (des ailerons garantissant sa stabilité), verra ses données récupérées. "Sous l'eau, il est très compliqué de mettre au point un système de communication qui nous permettrait de faire de l'analyse en direct", précise Véronique Guégan, directrice technique des activités de systèmes de lutte sous la mer de Thales, sur le site de Brest. Les informations ainsi collectées grâce à une antenne acoustique sont alors renvoyées sur terre, où des marins les exploitent grâce à un logiciel de reconnaissance des mines baptisé Practis.

"Automatiquement, il émet une alerte dès qu'il détecte un objet, explique Véronique Guégan. Grâce à la résolution fine du sonar d'environ 10 centimètres, on peut alors le scruter sous plusieurs angles avant de l'identifier." Une fois la mine ciblée, le drone de surface déploie, avec une rampe et toujours de façon autonome, la dernière composante du système MMCM, un robot démineur(ROV). Conçu par l'industriel Saab, celui-ci se dirige vers la mine, y dépose délicatement une charge, s'éloigne et déclenche cette dernière, qui la fera exploser. "A chaque étape, même à distance, nous pouvons toujours reprendre la main, conclut Alexis Morel. Comme les drones de combat n'ont pas supplanté les avions de chasse, les drones sous-marins ne feront pas disparaître les chasseurs de mines." Mais, à long terme, comment ne pas imaginer une armada d'engins sous-marins, naviguant de conserve, communiquant entre eux et dotés de toujours plus d'intelligence artificielle ? Le monde du silence sera plus encombré et les marins moins nombreux.

ZOOM : Thalès a imaginé un drone digne de James Bond

AUSS

Le drone de surveillance Auss développé par Thales.

© / THALES

Thales développe un système de drone hybride capable de naviguer sous l'eau mais aussi d'opérer en surface pour des missions secret défense, baptisées ISR (Intelligence, surveillance, reconnaissance) que même les scénaristes de James Bond auraient peine à imaginer. L'Auss - Autonomous Underwater and Surface System - ressemble à une grosse torpille avec ses 5,5 mètres de long, sa taille de guêpe (53 centimètres) et ses 600 kilos d'instruments. Sans gouverne ni ailerons, il possède deux hélices contrarotatives qui lui permettent de se mouvoir à 360 degrés dans un volume très réduit.

Après avoir été mis à l'eau, l'Auss se déplace horizontalement comme un avion, mais une fois arrivé à destination, il évolue verticalement comme un hélicoptère. L'engin se cabre, pivote sur lui-même et remonte à la surface, où il déploie son nez - un immense mât doté de différents moyens de surveillance (capteurs, caméras, système d'écoute).

Ce drone peut, par exemple, être utilisé dans le cadre d'une mission de contre-terrorisme en s'approchant d'un navire ennemi pour le surveiller discrètement, transmettre un maximum d'informations en direct et aider au déclenchement d'une opération commando. "Il s'agit d'un concept disruptif pour lequel nous avons investi une dizaine de millions d'euros afin de construire un prototype testé et validé par cinq campagnes d'essais à la mer, conclut Alexis Morel, de chez Thales. Nous sommes désormais dans l'attente d'un contrat officiel avant de passer au stade industriel."

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