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Lobbying des associations religieuses : le tour de passe-passe de Gérald Darmanin

La question de les exclure ou non de l’obligation d’inscription dans un registre des lobbys a donné lieu à des débats passionnés, mardi, à l’Assemblée nationale, jusque tard dans la nuit.

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Publié le 04 juillet 2018 à 13h40, modifié le 04 juillet 2018 à 17h35

Temps de Lecture 4 min.

Faut-il, ou non, exclure les associations cultuelles de l’obligation d’inscription dans un registre des lobbys ? La question a donné lieu à des débats passionnés à l’Assemblée nationale jusque tard dans la nuit du mardi 26 juin.

Ce jour-là, les députés examinaient le projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance » — texte qui cherche à simplifier et à rendre plus transparente l’activité des administrations. Et c’est sur l’article 38 qu’ils se sont longuement attardés, des élus de La République en marche, de la Nouvelle Gauche et de la Gauche démocrate et républicaine contestant cet article et conduisant Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, à induire en erreur les députés.

Ce qu’il a dit

« Il est fort à parier que si votre Assemblée adoptait l’un des amendements proposés, (…) le Conseil constitutionnel, (…) censurerait cette disposition. »

Et le ministre d’ajouter que l’article qui a créé le registre des lobbys, introduit par la loi Sapin II en 2016, « n’a pas été examiné » par le Conseil constitutionnel et « n’a pas été déclaré conforme à la Constitution ».

Pourquoi c’est faux

Il faut tout d’abord revenir sur ce que propose le gouvernement aujourd’hui.

  • Que dit cet article 38 sur les associations religieuses ?

Déposé à l’initiative du gouvernement, cet article vise à élargir l’exclusion des associations religieuses du registre des lobbys.

En 2016, la loi Sapin II avait en effet créé un registre des lobbys, afin de publier tous les noms des acteurs ayant « pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique » et souhaitant entrer en contact avec certains élus ou leurs collaborateurs.

Pour protéger la liberté de culte, le dispositif prévoyait de dispenser de déclaration les associations religieuses, uniquement dans le cas où elles entraient en contact avec le ministère de l’intérieur.

« On peut considérer qu’implicitement mais nécessairement, si ces associations s’adressent à d’autres entités, comme Bercy pour demander des subventions ou aux parlementaires pour assouplir la réglementation les concernant, elles auraient dû se déclarer » à partir du 1er juillet, date d’entrée en vigueur prévue de la mesure de 2016, explique Vincent Couronne, chercheur en droit public et directeur de publication du collectif Les Surligneurs.

L’article 38 de l’actuel projet de loi prévoit d’étendre cette exception de manière générale, c’est-à-dire de dispenser les associations religieuses de toute déclaration au registre des lobbys, même lorsqu’elles traitent avec les parlementaires ou le ministère de l’économie.

Pour s’opposer à ce que l’ONG Transparency International a appelé un « détricotage » de la loi Sapin II, certains députés de La République en marche, de la Nouvelle Gauche et de la Gauche démocrate et républicaine, ont donc déposé des amendements visant à maintenir l’obligation de déclaration introduite par la loi Sapin II de 2016 dans la loi relative à la transparence de la vie publique de 2013.

  • Quels sont les arguments invoqués par M. Darmanin ?

A ces députés, le ministre de l’action et des comptes publics a mis en garde contre le risque d’inconstitutionnalité : « Il est fort à parier que si votre Assemblée adoptait l’un des amendements proposés, (…) le Conseil constitutionnel (…) censurerait cette disposition. »

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Puis, face aux protestations des députés de l’opposition, qui estimaient cette censure impossible, puisque la loi Sapin II a été validée par le Conseil constitutionnel en 2016, il a poursuivi :

« Nous devons partir de la réalité. (…) Je vous invite (…) à le vérifier sur le site du Conseil constitutionnel : cet article (…) n’ayant pas été examiné par ses soins, il n’a pas été déclaré conforme à la Constitution. »

  • Sur quoi s’est prononcé le Conseil constitutionnel ?

Par « cet article », Gérald Darmanin désigne l’article 18 (section 3 bis), qui définit le périmètre du registre des représentants d’intérêt. Cet article, absent lors de la promulgation en 2013 de la loi relative à la transparence de la vie publique, a été introduit dans cette même loi en 2016, par l’article 25 de la loi Sapin II. Or, en 2016, le Conseil constitutionnel avait bien été saisi par des parlementaires au sujet de l’introduction par l’article 25 du registre des lobbys dans la loi de 2013… et avait déclaré ce registre conforme, le 8 décembre 2016.

En jouant sur la confusion entre les numéros des articles de loi, mardi 26 juin, Gérald Darmanin a tenté de faire croire que les amendements à son projet de loi pourraient être jugés inconstitutionnels. Or, comme ces amendements visent à maintenir un article de loi ayant été validé par le Conseil constitutionnel en 2016, ils ne pourraient pas être censurés par ce même Conseil.

  • L’article 38 pourrait, lui, faire l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel

L’article 38 du projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance », examiné en ce moment, n’a lui, en revanche, pas encore étér évalué par le Conseil constitutionnel. Si le projet de loi est adopté en l’état, cet article pourrait l’être, si soixante députés ou soixante sénateurs saisissent le Conseil.

Un autre recours contre cet article serait théoriquement possible : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Mais Vincent Couronne ne croît pas trop à cette option : « Cela me parait compliqué. Il faudrait qu’il y ait un procès, un renvoi par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation. Je vois mal comment il pourrait y avoir un procès précis sur cet article. »

Si l’article du gouvernement est voté comme tel et validé par le Conseil constitutionnel, il restera possible d’entrevoir les actions de lobbying menées par les associations religieuses auprès de l’Assemblée nationale, en consultant la liste des personnes auditionnées, toujours présente à la fin des rapports.

Reste que cette option est loin d’être aussi ambitieuse que le répertoire géré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui permet d’avoir une vue d’ensemble sur les actions des lobbys, quel que soit leur interlocuteur public et quel que soit le rapport pour lequel ils sont entendus.

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