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L’araignée géante, terreur de l’Antarctique

Comme si les fonds marins n’étaient pas assez effrayants, voilà que des araignées de 25 centimètres y pullulent… et grossissent de plus en plus, selon un mécanisme dit de gigantisme polaire

La longue excroissance du corps qui pourrait faire croire que l’araignée des mers possède un abdomen est en réalité une arme d’aspiration massive: une puissante trompe qu’elle plante dans le corps de ses proies. — © Bill Curtsinger/NAtional Geographic/Getty Images
La longue excroissance du corps qui pourrait faire croire que l’araignée des mers possède un abdomen est en réalité une arme d’aspiration massive: une puissante trompe qu’elle plante dans le corps de ses proies. — © Bill Curtsinger/NAtional Geographic/Getty Images

Les animaux badass, késako? Si vous cherchez les problèmes avec ces bestioles, vous allez les trouver. A coups de cornes, de griffes ou de venin, ce sont des êtres féroces, au comportement qui force le respect. Bienvenue chez eux, en saison 2 après l’été 2017

Episodes précédents:

Les poissons sont-ils arachnophobes? En tout cas, ils le devraient. Car dans les eaux glacées qui lèchent l’Antarctique, il est un animal étrange et endurant. Un monstre prompt à nourrir les cauchemars les plus abominables: l’araignée géante des mers. Elle affiche couramment ses 25 centimètres sur la toise, pattes déployées. C’est parfois le double voire le triple, de quoi faire régner la terreur dans les abysses.

Cette araignée de mer est une dure à cuire. Non pas dans les gamelles puisqu’elle ne présente vraisemblablement aucun intérêt gustatif. C’est un tronc hérissé de huit pattes – parfois dix ou douze – qui n’a rien à voir avec le délicieux crabe-araignée qui fait la joie des amateurs de crustacés. L’araignée de mer possède des gènes familiaux à toute épreuve, ceux des pycnogonides, du grec ancien puknos (serré) et gonou (genou).

Elle en hérite de lointains ancêtres qui ont géré le pire: les glaciations et déglaciations, les changements de température et d’acidité de l’eau… Ils ont survécu au cataclysme qui raya de la carte, il y a 65 millions d’années, les dinosaures et la majeure partie des espèces du globe. On a même retrouvé un pycnogonide fossile dans des cendres volcaniques vieilles de 425 millions d’années, c’est dire que ces gènes sont endurants!

Arme d’aspiration massive

Quand on l’observe, l’araignée géante des mers affiche un vague air de ressemblance avec les arachnides terrestres. Les deux invertébrés n’ont pourtant rien en commun. La longue excroissance du corps qui pourrait nous faire croire que l’araignée des mers possède un abdomen est en réalité une arme d’aspiration massive, une puissante trompe qu’elle plante dans le corps de ses proies: anémones, éponges et hydroïdes – des créatures apparentées aux méduses. Il ne lui reste qu’à aspirer, lentement, les jus et ainsi ôter toute once de vie à ces corps engourdis.

On trouve ces animaux étranges dans tous les océans du globe. Il en existerait même plus d’un millier d’espèces. La plupart sont à peine visibles: d’une taille d’un millimètre à une paire de centimètres, elles vivent cachées sous des pierres ou dans des anfractuosités. Mais dans les abysses et sur les plateaux continentaux, et en particulier dans l’océan austral qui encercle le sixième continent, l’araignée de mer affiche un gigantisme qui en fait la reine des profondeurs, un monarque sans ennemi connu.

Ce gigantisme n’est qu’une demi-surprise. C’est une manifestation de plus d’un phénomène baptisé «gigantisme polaire». En dépit d’un métabolisme presque paralysé par les eaux glaciales (le thermomètre y affiche souvent moins de zéro degré), la vie prend son temps jusqu’à former toutes sortes de monstres, et l’araignée de mer antarctique n’y échappe pas. L’explication la plus communément admise est que ces eaux polaires sont très riches en oxygène, beaucoup plus que les mers chaudes ou tempérées. Un phénomène que l’on peut constater soi-même quand on oublie une bouteille de soda sur la table au lieu de la ranger au frigo.

Sans branchies, sans poumons

L’araignée de mer géante a une manière toute à elle de profiter du bon air (sous-)marin. Elle n’a bien évidemment pas de poumons. Elle n’a pas plus de branchies, ces organes que l’on rencontre chez les poissons, crustacés et autres amphibiens. Elles sont trop encombrantes. L’araignée de mer a imaginé un truc tout simple: elle respire… à travers sa carapace, dont les minuscules pores laissent entrer des bulles d’oxygène qui sont ensuite dissoutes dans l’hémolymphe, c’est-à-dire l’équivalent de notre sang.

Ce fluide est ensuite distribué dans l’ensemble de l’organisme grâce à un système là encore inédit. L’araignée ne possède pas toujours un cœur, ce sont des estomacs logés dans les pattes qui font le travail! Des chercheurs l’ont confirmé en plongeant des araignées dans une eau appauvrie en oxygène. Le résultat publié en 2017 dans la revue Current Biology fut immédiat: les tubes digestifs logés dans les pattes se contractaient de plus en plus rapidement pour compenser le déficit en oxygène. Ce dispositif fait sens d’un point de vue physiologique, car un petit cœur central est bien trop faible pour irriguer les longues pattes. Celui des pycnogonides – quand ils en ont un – se contente d’oxygéner les deux paires d’yeux et ce qu’il est difficile de qualifier de cerveau.

Les organes sexuels du mâle et de la femelle sont eux aussi enfouis en partie dans les pattes pour économiser la place. Quand la femelle est prête, le mâle lui grimpe dessus, sans pénétration: les œufs sont fécondés, dans l’eau, au fur et à mesure qu’ils sont expulsés du corps de leur génitrice. Le mâle en profite pour les enrober d’une substance adhésive pour les agglomérer et former des paquets en forme de donut, qui seront accrochés autour de deux micropattes dévolues au rôle de coolie. Mais si d’aventure, au cours d’une hallucination suggérée par ces mots, vous deviez plonger dans les entrailles glacées de la mer de Ross pour séduire une belle, ne vous trompez pas de cible. Chez l’araignée de mer, c’est le mâle qui porte les œufs!