"Des voitures voleront un jour dans Paris", assure le directeur de l’innovation d’Airbus Helicopters

Pour Tomasz Krysinski, le directeur de l’innovation d’Airbus Helicopters, le savoir-faire automobile sera précieux pour rendre les taxis volants compétitifs.

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Tomasz Krysinski, le directeur de l’innovation d’Airbus Helicopters - © Pascal Guittet/DR

L'Usine Nouvelle - À quand remonte la convergence entre les secteurs automobile et aéronautique ?

Tomasz Krysinski - Il ne faut pas oublier que la première voiture électrique à avoir dépassé les 100 km/h est la Jamais contente, en 1899, établissant alors un record de vitesse surpassant les voitures à pétrole. Quand on observe cette voiture, sa forme de cylindre préfigure ce qui se fera dans l’aéronautique.

Du côté des hélicoptères, trois grandes périodes jalonnent leur histoire. D’abord celle des pionniers, où l’enjeu était de parvenir à décoller. Puis après la Seconde Guerre mondiale, où des hélicoptères propulsés avec un moteur à piston, puis par une turbine, ont été utilisés dans les domaines civils et militaires. Aujourd’hui, nous entrons dans une nouvelle ère, avec les projets d’aéronefs à décollage et atterrissage verticaux munis d’une propulsion électrique. Ces engins adaptés aux trajets courts constituent l’étape la plus aboutie de la convergence entre l’automobile et l’aéronautique.

Cette convergence vous amène-t-elle à multiplier les contacts avec les acteurs de l’automobile ?

J’ai moi-même passé trois ans chez PSA, je suis donc très favorable aux échanges entre les deux secteurs. Nous sommes régulièrement en contact avec les constructeurs automobiles en France et en Allemagne, au sujet des capteurs, des batteries, des moteurs électriques, mais également pour échanger sur les moyens industriels et les processus. Ces échanges visent à définir quelles technologies nous pouvons partager ainsi que les méthodes pour les appliquer.

 

"Airbus expérimente deux types d’engins volants"

 

Bénéficiez-vous des avancées réalisées dans les batteries par les acteurs de l’automobile ?

Il est clair que l’on doit la maturité des batteries lithium-ion à l’industrie automobile. Néanmoins, pour les embarquer dans des aéronefs, cela suppose un développement supplémentaire, notamment pour les aspects de sécurité. Airbus expérimente deux types d’engins volants : le CityAirbus, qui pèse deux tonnes, et le Vahana, d’un poids de 750 kg environ.

Pour chacun, la batterie représente près d’un tiers de la masse. C’est la limite physique de stockage d’énergie qui nous amène à cibler des distances courtes, entre un aéroport et un centre-ville, par exemple. La densité énergétique actuelle des batteries nous permettra de parcourir une cinquantaine de kilomètres dans un avenir proche, ce qui est suffisant pour adresser des missions de transport urbain.

Comment expliquer ces limites ?

Les engins volants sont bien plus énergivores que les véhicules terrestres. On parle aujourd’hui d’une densité énergétique de 200 Wh par kilogramme de batteries avec la technologie lithium-ion. En simplifiant, on peut dire qu’un litre d’essence équivaut à une batterie électrique Li-ion d’une trentaine de kilos. En parallèle, l’efficacité des moteurs électriques a augmenté. Au final, pour les voitures électriques, on est passé d’une autonomie d’une centaine de kilomètres à plus de 300 kilomètres, voire au-delà. Une voiture électrique a besoin en moyenne de 40 kW de puissance pour circuler, tandis que 400 kW de puissance seront nécessaires à un engin volant de masse identique pour tenir le régime stationnaire. Il y a donc un facteur dix entre les deux usages, et c’est là que toute la difficulté commence…

Quid de votre positionnement dans les nouvelles solutions de mobilité urbaine ?

La convergence entre les deux secteurs nous a amenés à réfléchir sur la chaîne de valeur. Nous cherchons à comprendre quelles sont les habitudes des clients pour les transports urbains en utilisant la troisième dimension que le vol vertical permet. Dans ce sens, Voom, le spécialiste de la réservation en ligne d’hélicoptères, a rejoint Airbus Helicopters en janvier. Implanté à São Paulo, au Brésil, où il cumule plus de 10 300 heures de vol, Voom vient d’ailleurs d’ouvrir une nouvelle plate-forme à Mexico. Airbus Helicopters croit en ce modèle puisque nous avons signé dernièrement un partenariat avec l’américain Blade qui propose du transport de passagers haut de gamme par hélicoptère à New York.

Au-delà de la location d’hélicoptères, l’enjeu est de comprendre les besoins des clients et quels sont les coûts qu’ils accepteraient de payer. À partir de là, Airbus travaille sur différents concepts de véhicules tels que CityAirbus, Vahana et PopUp, afin de définir quelle sera la solution la mieux adaptée en termes de sécurité, d’autonomie, de taille, de performance et de coût pour s’adresser au public le plus large.

Ce type de transport ne sera-t-il pas accessible qu’à une clientèle aisée, sinon riche ?

J’ai récemment passé deux heures dans un taxi londonien pour me rendre à une réunion. Je suis arrivé très en retard et cela m’a coûté très cher. Blague à part, je suis convaincu que de petits engins volants pour ce genre de trajets pourraient être compétitifs. Ce qui renvoie à la problématique du coût de production. Car ces projets sont en rupture technologique, mais aussi en rupture dans les méthodes de production qui se pratiquent aujourd’hui dans l’industrie aéronautique. Pour réduire leurs coûts, je suis certain que le modèle de l’automobile sera très enrichissant.

L’an passé, Guillaume Faury évoquait un seuil d’accessibilité aux environs de 150 à 200 euros le trajet…

Je ne peux pas vous donner davantage de détails sur le modèle économique, mais il est évident que notre système doit challenger les moyens existants. Nous allons standardiser les composants comme dans l’automobile pour offrir un coût acceptable. Je suis convaincu que des voitures voleront un jour dans Paris. Outre les taxis volants prévus pour les vols urbains, nous développons le démonstrateur de recherche Racer, un hélicoptère hybride rapide. Il permettra de voler une fois et demie plus vite qu’un hélicoptère classique et de façon plus économique. Racer pourra assurer un vol interurbain à la vitesse de 410 km/h. Ainsi, on pourra faire Paris-Londres en une heure en évitant la congestion des aéroports. Cet écosystème dessine un futur service complet.

L’acceptation sociétale représentera-t-elle un frein majeur ?

Les deux enjeux majeurs pour Airbus Helicopters seront la sécurité des passagers et l’impact environnemental de ces engins volants. Dans les premiers d’entre eux, comme pour les voitures autonomes aujourd’hui, on trouvera des pilotes. Cette phase d’expérimentation laissera place à des vols autonomes, rendus possibles grâce à l’intelligence artificielle. Au-delà, des solutions de gestion du trafic aérien permettront de réguler la circulation, adaptées pour chaque ville concernée. On évoque plus de 60 mégapoles d’ici à vingt ans. Il faudra nécessairement envisager d’autres modes de déplacement. On assistera alors à un mariage de tous les moyens de transport.

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